Analyse du discours du Pape Benoît XVI au Collège des Bernardins, 12 septembre 2008

(texte intégral)

 

Le discours du Pape Benoît XVI : c’est un exposé magistral et non pas magistériel.

 

A preuve des indices littéraires :

 

L’adresse :

Monsieur le cardinal, Madame la ministre, chers amis, et non pas mes chers frères, chers fils,

 

Le mot de la fin :

merci beaucoup, et non pas Amen, ou que Dieu soit béni.

 

Il s’agit donc d’un exposé magistral sur la place de la théologie dans la construction d’une culture européenne.

 

J’aimerais vous parler ce soir des origines de la théologie occidentale et des racines de la culture européenne…la culture monastique

 

La thèse en est :

 

+ que cette culture européenne prend naissance dans une conjoncture particulière : une fracture culturelle due à l’effondrement de la culture antique, grecque,

 

nous pouvons dire qu’au cours de la grande fracture culturelle, provoquée par la migration des peuples et par la formation des nouveaux ordres étatiques, les monastères furent des espaces où survécurent les trésors de l’antique culture et où, en puisant à ces derniers, se forma petit à petit une culture nouvelle.

 

+ que le monachisme, caractérisé par la quête de Dieu, fonde, sans l’avoir cherché, cette nouvelle culture en se déployant au VIème siècle

 

Avant toute chose, il faut reconnaître avec beaucoup de réalisme que leur volonté n’était pas de créer une culture nouvelle ni de conserver une culture du passé. Leur motivation était beaucoup plus simple. Leur objectif était de chercher Dieu, quaerere Deum.

 

D’autres thèses peuvent être soutenues comme la culture chrétienne européenne commence avec l’Edit de Milan de Constantin en 313, les Christiana tempora. Et la question se pose : pourquoi, lorsque la Rome chrétienne s’est effondrée en 476 devant les Barbares, ceux-ci (les Barbares) ont-ils adopté progressivement la religion des vaincus ?

 

Deux ouvrages récents font le point sur ces questions :

 

+ Dumézil, Bruno, Les Racines chrétiennes de l’Europe. Conversion et liberté dans les royaumes barbares  Vè-VIIIè siècle, 2005, Paris, Fayard

+ Iogna-Prat, Dominique, La Maison-Dieu. Une histoire monumentale de l’Eglise au Moyen-Age (v.800-v.1200), 2006, Paris, Seuil

 

Benoît XVI reprend, lui, l’argument du colloque du Conseil pontifical de la culture, tenu à Conques en l’an 2000 sur le sujet :

+ Conseil pontifical de la culture, Abbayes et monastères aux racines de l’Europe. Identité et créativité : un dynamisme pour le IIIème millénaire, Conques, 2000

 

 

Si le monachisme chrétien, qui repose sur la quête de Dieu, est au fondement de la culture européenne,

Alors, on ne peut pas réfuter cette quête de Dieu, comme le fait la culture positiviste.

En conséquence, la culture positiviste n’appartient pas à la culture européenne.

 

Une culture purement positiviste, qui renverrait dans le domaine subjectif, comme non scientifique, la question concernant Dieu, serait la capitulation de la raison, le renoncement à ses possibilités les plus élevées et donc un échec de l’humanisme, dont les conséquences ne pourraient être que graves.

 

 

Question :

 

Pourrions-nous connaître aujourd’hui une nouvelle conjoncture, qui verrait l’effondrement de la culture ancienne, née avec le monachisme, et naître une culture nouvelle marquée par l’ignorance de la quête de Dieu ? ou de nouvelles cultures marquées par d’autres conjonctures et d’autres histoires dans d’autres continents ?

 

Réponse : non

 

Pourquoi ?

 

Parce que toute culture repose sur cette quête de Dieu.

En dehors de cette quête de Dieu, il n’y a pas de culture véritable.

 

Ce qui a fondé la culture de l’Europe, la recherche de Dieu et la disponibilité à L’écouter, demeure aujourd’hui encore le fondement de toute culture véritable.

 

Objection :

 

Pourtant dans la culture européenne contemporaine grandit l’indifférence envers Dieu.

 

Réponse :

 

Non, nos contemporains cherchent, eux aussi, le Dieu inconnu, malgré tout, malgré les apparences contraires.

 

Pour beaucoup, Dieu est vraiment devenu le grand Inconnu. Malgré tout, comme jadis où derrière les nombreuses représentations des dieux était cachée et présente la question du Dieu inconnu, de même, aujourd’hui, l’actuelle absence de Dieu est aussi tacitement hantée par la question qui Le concerne.

 

Déjà, la culture antique, grecque, reposait sur cette quête du Dieu inconnu.

Paul a annoncé le Christ ressuscité aux grecs.

Il nous faut donc agir de même.

 

Paul n’annonce pas des dieux inconnus. Il annonce Celui que les hommes ignorent et pourtant connaissent : l’Inconnu-Connu. C’est Celui qu’ils cherchent, et dont, au fond, ils ont connaissance et qui est cependant l’Inconnu et l’Inconnaissable.

 

 

Il y a ici, en fait, deux thèses :

 

+ La quête de Dieu fonde la culture européenne qui naît avec le monachisme.

+ La quête de Dieu fonde toute culture.

 

 

Conclusions :

 

Nier la quête de Dieu, c’est ne pas appartenir à la culture européenne.

Ignorer la quête de Dieu, c’est ne pas appartenir à une véritable culture.

 

Question récurrente : Peut-il exister une culture sans quête de Dieu ?

 

Deux réponses possibles : oui ou non

 

Si c’est NON, alors

+ la culture européenne est le modèle de toute culture,

+ la culture européenne est la matrice de toute annonce du Christ,

+ et annoncer le Christ, c’est L’annoncer avec cette culture.

 

 

 

Si c’est OUI, alors,

+ pour annoncer le Christ dans une culture en l’absence de quête de Dieu,

+ il faudrait reprendre le modèle évangélisateur du monachisme :

+ être soi-même en quête de Dieu dans une culture qui lui est étrangère (une culture barbare),

+ et, comme l’ont fait les moines, sans Le chercher, fonder ainsi une toute nouvelle culture.

C’est ce qu’on nomme l’inculturation de la foi chrétienne

 

« l’inculturation (est) l’incarnation de l’Evangile dans les cultures autochtones, et en même temps l’introduction de ces cultures dans la vie de l’Eglise » (Jean-Paul II).

 

Ce type de question n’est pas nouveau, souvenez-vous :

 

 

le premier cercle des disciples du Christ était constitué de Juifs donc :

       de personnes de culture juive (par leur mode de penser, de nourriture, leur langue, etc.)

       confessant la foi de leurs Pères (la Loi et les Prophètes)

 

le deuxième cercle des disciples du Christ était constitué de Juifs de la diaspora :

      lisant la Bible dans sa version grecque

      citoyens de Rome, de Tarse ou d’ailleurs

      confessant la foi juive

 

le troisième cercle était constitué de Prosélytes :

       qui n’étaient pas de culture juive, mais grecque

       qui étaient Parthes, Mèdes ou Elamites

       mais qui ont adhéré à la foi juive et épousé, en partie, l’histoire et la culture du peuple élu

 

le quatrième cercle était constitué des « Gentils » :

       c’est-à-dire tous les « gens », de partout (Act.15/23)

       qui n’étaient pas de culture juive

       qui n’ont pas adhéré à la foi juive

       mais qui ont adhéré à la personne du Christ.

 

 

La question s’est posée au sujet de ces nouveaux disciples-là :

doivent-ils épouser la foi juive et la culture juive de Jésus et de ses premiers disciples ?

 

La réponse a été difficile à élaborer et difficile à mettre en œuvre, elle a été : NON

 

 

La règle de foi pratique édictée fut :

 

+ chacun peut entendre et vivre le message du Christ

         dans sa propre langue

         sans être circoncis

         sans monter au Temple

sans aller à la synagogue

etc.

 

 

La règle de foi (théo-logique) sur laquelle repose cette règle pratique est :

         Dieu s’est fait Homme en la personne de Jésus

         à Bethléem au temps d’Hérode,

         crucifié sous Ponce Pilate

donc un homme particulier, d’une culture particulière, datée historiquement et située géographiquement

 

et, nous confessons, comme Paul devant les Grecs,

         qu’il est ressuscité

c’est-à-dire :

         qu’il ne connaît plus ces limites d’espace et de temps

         qu’il est ici et là,

         en vous et en moi,

         qu’il est hier, aujourd’hui et demain

 

 

et, en conséquence, les communautés ecclésiales ont cette règle pratique interne :

plus de discriminations basées sur les règles sociales des autres groupes : riches/pauvres, hommes/femmes, maîtres/esclaves, Grecs/Juifs, etc.

 

 

Cette règle de foi, avec ses conséquences pratiques, ce sont les évêques qui en sont les garants

+ en tant que successeurs des apôtres, pour que cette règle traverse tous les siècles,

+ en tant que membres du Collège épiscopal, pour que cette règle traverse tous les continents.

 

Cette règle traverse donc toutes les cultures sans discrimination.

 

On peut vivre la foi chrétienne, chercher Dieu, dans toutes les cultures, quelles qu’elles soient.

 

 

Le message du Christ est universel :

s’il se vit dans des cultures particulières, datées historiquement, situées géographiquement, comme la culture européenne née avec le monachisme ou la culture judéo-chrétienne des premiers disciples ou la culture gréco-chrétienne à Smyrne ou Ephèse ou la culture arménienne après Grégoire l’Illuminateur,

ce message n’est lié à aucune culture particulière.

 

C’est la règle de foi qui nous a été transmise par la Tradition apostolique.

 

 

Ce discours de Benoît XVI nous le rappelle : le modèle évangélisateur à suivre est le monachisme, c’est-à-dire chercher Dieu et se laisser accueillir par Lui.

 

Cette quête de Dieu a des effets culturels, sociaux, économiques, etc., des effets non négligeables, mais qui ne constituent pas l’objectif primordial de la communauté des disciples du Christ.

 

C’est dans cette quête de Dieu que prend naissance l’annonce du Christ par la parole, l’écrit, le chant, la liturgie, le travail, mais aussi par le silence, l’action sociale, l’art, la connaissance, etc.

 

Avant toute chose, il faut reconnaître avec beaucoup de réalisme que leur volonté n’était pas de créer une culture nouvelle ni de conserver une culture du passé.

Leur motivation était beaucoup plus simple.

Leur objectif était de chercher Dieu, quaerere Deum.

 

 

 

Voici donc ce que je retiens de ce discours :

 

  1. la posture modeste adoptée par l’autorité ecclésiastique universelle, qu’est le Pape, dans l’espace public français, avec cet exposé magistral et non magistériel,

 

  1. la vision particulière de la construction de la culture européenne avec la notion de culture monastique,

 

  1. la présentation de la religion chrétienne dans sa dimension mystique résumée ainsi :

 

chercher Dieu et se laisser accueillir par Lui.

 

Decourt Georges, Lyon, 13 décembre 2008