ALEXANDRE Jérôme, 2010, L’Art contemporain, un vis-à-vis essentiel pour la Foi

publication du Collège des Bernardins

 

 

Théologien qui parle d’art contemporain en connaissant son sujet, tel est Jérôme Alexandre, qui n’ignore rien des différents courants artistiques actuels, même si sa thèse en théologie concerne davantage le siècle de Tertullien ; il enseigne au Collège des Bernardins, dont l’audace du projet est saluée même par les plus rétifs à la modernité.

 

Certes, le lecteur peut être agacé par le parti que prend l’auteur de montrer que l’artiste et le croyant partagent une démarche identique, comme si tous les artistes ou tous les croyants se ressemblaient. Mais le rapprochement est fécond qui permet de pénétrer l’expérience artistique et d’entrevoir l’expérience croyante, car l’art comme la foi, répète-t-il, s’expriment tous les deux dans le sensible et non dans des idées.

 

 

L’art contemporain, vigie du monde

 

Citant abondamment les artistes eux-mêmes commentant leurs œuvres, Jérôme Alexandre nous introduit dans les secrets du processus créatif en art. Que se passe-t-il dans la tête, le cœur, les yeux, les mains d’un écrivain, d’un sculpteur, d’une performeur… ?

 

+ L’artiste nous dit son monde, nous dit le monde. «  L’art contemporain ne représente plus le monde, il l’exprime » (p.13). « Il s’y tient comme vigie » (p.26).

 

+ L’œuvre artistique recrée le monde. Tout objet de ce monde devient art par le regard que pose sur lui l’artiste. « Il suffit par exemple de retourner un objet, de le détourner de sa fonction ordinaire, de le donner explicitement à voir, pour prendre conscience qu’il n’était jusqu’alors pas regardé » (p.33).

 

+ Le spectateur est invité lui aussi à poser son regard, à tendre l’oreille, et, à partir de cet objet d’art, à re-voir le monde autrement. « Entrer pour de bon dans la démarche créatrice est comme se laisser convaincre de refaire le monde, de fond en comble » (p.34).

 

Auteur, objet, récepteur : trois constituants indissociables de l’art contemporain. « Le sujet de l’œuvre, dit le sculpteur Luciano Fabro, est l’expérience qui se tisse entre spectateur, artiste et œuvre » (p.43).

 

 

La vérité de la vie

 

La foi n’est-elle pas, elle aussi, cette expérience d’une rencontre par laquelle le croyant refait le monde « de fond en comble » ? Sa maison n’en est-elle pas mise sens dessus dessous, de la cave au grenier ? Le monde n’en est-il pas tout retourné, des enfers jusqu’au cieux ? Certainement, s’il s’agit-il de la vérité d’une vie qui se joue dans le processus créatif et non d’une mise en scène de la vie, d’une représentation du monde qui s’ajoute à d’autres.

 

Peut-être plus qu’en d’autres temps, l’art actuel exige un engagement du spectateur qui accepte l’éventuelle remise en question de ses certitudes, de ses canons de la beauté, qui accepte de cheminer un moment avec un artiste qui s’expose devant lui.

 

Souvent, dans l’apathie ambiante, cet appel à la « vie vraie » prend le ton de la provocation pour retenir l’attention du passant ; encore ne faudrait-il pas qu’il détourne celle des moins réceptifs, comme une profession de foi trop abrupte fait fuir l’hésitant.

 

C’est par la sincérité de sa recherche que l’artiste parvient à accrocher la sincérité du spectateur : son œuvre en est le medium. « Aussi touche-t-elle le spectateur par le questionnement qu’elle lui renvoie plus que par son propre réel. C’est cela l’effet de vérité en art, d’où résulte le sentiment d’intensité » (p.66) A l’inverse, l’art académique flatte l’œil ou l’oreille ; il représente, il répète et copie ; il demeure à la surface épidermique et n’atteint pas au cœur.

 

Vous le voyez, il est ici question d’ « essentiel » : de quête spirituelle, de foi, de vérité de nos vies.

 

L’artiste, comme le croyant, est d’abord le témoin d’une vérité qui le précède et qu’il lui est donné d’entrevoir et de retraduire.

(p.75)

L’œuvre d’art ne fait qu’ouvrir un chemin de proposition ».

(p.74)

 

Pour Jérôme Alexandre la foi chrétienne ne s’impose pas mais se propose.

 

 

L’épreuve sensible

 

Certes le propos des artistes contemporains parfois hérisse, montrant ce que l’œil ne veut voir ni l’esprit comprendre.

L’art ne vient pas égayer nos soirées ou embellir nos salons ; il vient nous sortir de nous-mêmes et de nos torpeurs en nous forçant à voir la réalité. « Même lorsqu’il scrute les plus obscures profondeurs de l’âme ou les plus bouleversants aspects du mal, l’artiste se fait en quelque sorte la voix de l’attente universelle de la rédemption ». C’est une citation de la Lettre aux artistes de Jean-Paul II (p.75).

 

L’art contemporain n’a pas pour fonction l’élévation morale ou esthétique, mais la révélation de la vérité de la vie. Trop facile d’écarter d’un mot ou d’un geste une œuvre au prétexte que : « ceci n’est pas de l’art » ; quand un artiste nous donne à voir, entendre et toucher ce que lui nomme art, il nous donne son monde, artistique.

 

Peu importe (…) l’équivoque qui (porte) sur l’idée a priori de ce qui est ou n’est pas artistique. Le débat, on le voit, est idéologique et n’est nullement artistique, le refuge dans l’idéologique n’étant après tout qu’une ruse pour éviter le seul moyen de vérifier la vérité : l’épreuve sensible ».

(p.88)

 

Ne pas s’étonner dès lors des réactions à cet ouvrage citées en bas de cette page.

 

Abscons l’art contemporain ? Pas plus qu’une symphonie de Mozart, un tableau de Delacroix, une pièce de Beckett ou un sonnet de Mallarmé. Pas plus qu’une parabole évangélique, ajoute Jérôme Alexandre, pour qui a des yeux pour voir, des oreilles pour entendre, un cœur pour ressentir, un esprit pour comprendre. « La parabole, comme l’œuvre d’art, rend visible » (p.96).

 

L’ « épreuve sensible », à laquelle nous invite l’art contemporain, c’est la rencontre :

-      d’un artiste qui donne à la vérité de la vie d’apparaître,

-      d’une œuvre qui la rend visible, audible, palpable…,

-      d’un spectateur qui s’en fait l’écho dans sa propre vie.

L’objet d’art relie des sujets jusqu’à « l’effacement de la médiation matérielle entre l’idée et la forme » (p.100).

 

 

Le propos de Jérôme Alexandre, dans cet ouvrage très facile à lire, est de comprendre la démarche artistique par la démarche croyante et la démarche croyante par la démarche artistique, sans jamais les confondre, mais en vis-à-vis sur ce qui est l’ « essentiel » : « la vérité de la vie ».

 

L’art est, comme la foi, le seul lieu qui interroge pour de bon ce que vivre et mourir veulent dire.

(p.125).

 

 

Soyez-en certains : vous ne regretterez pas d’avoir lu puis conservé ce livre dans votre bibliothèque.

 

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Autres recensions

-      recension dans le journal La Croix

-      entretien avec l’auteur par La Procure

-      critique de Chantal Delsol, Figaro, Valeurs actuelles, La Table Ronde

-      réponse de Jérôme Alexandre à Chantal Delsol

-      critique de la Fondation de Service politique

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liens externes des recensions

http://www.la-croix.com/Culture-Loisirs/Culture/Livres/L-art-contemporain-un-autre-langage-de-la-foi-_NG_-2010-02-03-572131

http://www.dailymotion.com/video/xbzqw1_jerome-alexandre-l-art-contemporain_creation

http://recherche.collegedesbernardins.fr/parole-art/art-contemporain-foi-jerome-alexandre/

http://recherche.collegedesbernardins.fr/parole-art/art-contemporain-un-vis-a-vis-essentiel-pour-la-foi/

http://www.revuedesbernardins.com/spip.php?article165

http://recherche.collegedesbernardins.fr/parole-art/reponse-a-chantal-delsol-art-contemporain/

http://www.libertepolitique.com/culture-et-societe/5874--une-defense-l-theologique-r-de-lart-contemporain

 

DECOURT Georges, 2010