L’IMAGE DE L’EGLISE
dans
la campagne publicitaire de Fourvière (déc. 1991 – juin 1992)
et
celle du Denier de l’Eglise du diocèse de Lyon (fév.-mars
1992)
L'IMAGE DE L'EGLISE
ET LA CAMPAGNE DE FOURVIERE
CONTEXTE
La Commission de Fourvière, propriétaire de la basilique et des jardins environnants, était composée à l'origine de quelques personnalités lyonnaises qui avaient lancé l'idée d'une église sur la colline de Fourvière en 1853. Elle a le statut d'association loi 1901 depuis 1960. Elle comptait sur l'aide 4000 bienfaiteurs en 1991, mais ne pouvait faire face aux travaux nécessaires. Notons que la première souscription publique eut lieu en 1880 pendant la construction même de la basilique entre 1872 et 1884.
Depuis quelques années la Commission de Fourvière faisait appel, pour une action de publipostage, à l'aide bénévole d'une personne spécialisée dans les relations publiques.
Le 09/12/1991, la Commission demande à cette personne de l'aider dans le publipostage de 780 000 appels à donateurs. Cette personne avait attiré plusieurs fois l'attention de la Commission sur d'autres types d'action plus efficace. Elle renouvelle ses remarques et la Commission lui donne carte blanche pour monter une opération avant Noël.
Le 19/12/1991, elle organise donc, avec son agence IPSO FACTO spécialisée dans les actions médiatiques, une conférence de presse à la basilique de Fourvière. L'information sera reprise dans un journal télévisé de TF1 et connaîtra un succès inespéré.
A partir de là l'idée d'une affiche 4x3 mètres sur les panneaux publicitaires de l'agglomération germera. Elle sera conçue par les membres de l'agence, qui d'ordinaire n'assurent pas ce type de travail et qui l'accomplissent bénévolement. Les techniciens de FR3 Lyon se proposeront de réaliser un spot télévisé. Des groupes prendront des initiatives plus ou mains couronnées de succès : ventes de pin's, d'objets d'art, etc.
La diffusion des spots télévisés en dehors de plages publicitaires sur FR3 LYON, comme celle des affiches ou des encarts dans la presse écrite, se fera à titre gracieux, selon les disponibilités de chacun des supports médiatiques : il n'y a pas eu de plan-media.
Les deux projets d'affiche non retenus évoquaient l'un l'idée d'un ébranlement des racines de la basilique, l'autre celui de son déchirement. Sera retenu celui de son effritement.
L'entreprise RHONE POULENC, qui a mis au point un produit de traitement de la pierre, affiche sa publicité à l'entrée de la basilique, reprenant le septième et dernier thème que décline sa campagne de communication "Bienvenue" inaugurée il y a 5 ans :
"bienvenue
dans un monde qui renaît à l'abri du temps, de la poussière, du ruissellement,
une politique active de protection du patrimoine" .
Le résultat financier de la campagne publicitaire dépassera toutes les espérances.
ANALYSE
OBJECTIF : susciter une adhésion des
lyonnais au projet de réfection de la basilique
STRATEGIE
- créer un choc sentimental devant la disparition possible de la basilique
- passer de l'attachement affectif des lyonnais à cet édifice à la participation financière à sa réfection
MOYENS
- une action médiatique :
- une conférence de presse le 19/12/1991 devant la basilique,
- des relais par les media
- presse écrite : 46 articles
- journaux télévisés : un passage sur TF1 et sur A2, un passage dans les réseaux locaux privés de TLM et CTV, quatre passages sur FR3 LYON
- radio : trois passages sur les radios nationales, douze passages sur les radios locales lyonnaises, trois passages sur Radio Fourvière
- une campagne publicitaire
- une affiche 4 x 3 m reprise en affichettes
- un spot télévisuel
- des initiatives privées : vente de pin's, d'objets d'art, etc.
AFFICHE
image
un graphisme représentant la basilique s’effritant |
image stylisée ramenée à l'essentiel |
effet de surprise appel à l’imaginaire |
trois couleurs : noir, rouge, blanc |
indice de contraste fort lisibilité excellente |
attention maximale |
texte
sans |
vous |
fourv |
vière |
s’en |
va |
sã |
vu |
fur |
vjεr |
sã |
va |
correspondances des sons : ã, u
sã |
vu |
fur |
vjεr |
sã |
va |
sans |
vous |
four |
vière |
s’en |
va |
ã |
|
|
|
ã |
|
|
u |
u |
|
|
|
correspondance des consonnes : s, v
sã |
vu |
fur |
vjεr |
sã |
va |
sans |
vous |
fourv |
vière |
s’en |
va |
s |
|
|
|
s |
|
|
v |
|
v |
|
v |
Il y a une double correspondance
sã
vu
-----------
sã
va
sã |
vu |
fur |
vjεr |
sã |
va |
sans |
vous |
fourv |
vière |
s’en |
va |
s |
|
|
|
s |
|
ã |
|
|
|
ã |
|
Type de consonnes
V |
fricative labiodentale sonore |
effet de souffle |
S |
fricative dentale sifflante |
|
F |
spirante labiale sourde |
La correspondance sã vu / sã va forme inclusion autour du nom propre furvjεr et l'inscrit dans une assertion : Fourvière est au cœur du message.
L’image et le texte concourent tous deux à un triple effet de :
- effritement par le dessin et le souffle,
- choc,
- mobilisation affective par l'inclusion.
L'action qui indique l’issue après ce choc est inscrite en bas de l’affiche : envoyez vos dons à la Commission de Fourvière
SPOT TV
un mouvement de caméra
une plongée aérienne circulaire avec en arrière-plan la ville de Lyon on tourne autour de Fourvière à partir du Nord |
Ici Fourvière est inscrite dans la ville : elle n’est pas au-dessus de la ville selon l’iconographie traditionnelle |
effet de fusion ville-Fourvière |
effritement progressive de Fourvière reconstitution de l'arrière-plan lyonnais sans Fourvière |
préfiguration de la situation si Fourvière disparaissait |
effet de vide effet de manque |
une musique
saccadée |
|
effet de dramatisation |
un texte
Fourvière est malade |
annonce d’un fait |
effet de dramatisation de l'information |
FR3 avec Europe2, Le Progrès et FourvièreFM |
annonce de la mobilisation des médias |
effet d’exemple |
vous proposent de la
sauver |
annonce d'une action |
effet d’incitation |
pour que ceci n'arrive jamais |
|
effet de choc |
envoyez vos dons à la Commission de Fourvière |
|
|
L'effet de dramatisation de l'information et l'effet de vide créé par l'image, cherchent à susciter un choc, puis à réveiller un attachement affectif chez les lyonnais,
pour montrer une issue possible en mobilisant les énergies : celles des médias associés dans cette opération et celles des lyonnais.
Nous avons une construction en tryptique qui nous est donnée par le texte du spot :
(Fourvière est) malade |
(il faut la) sauver |
(pour cela il faut) donner |
Cette construction correspond à une autre qui nous est donnée dans les reportages de la presse écrite ou des journaux télévisés :
Fourvière est victime de la pollution |
il faut donc entamer des travaux de réfection |
il faut s’engager dans la participation au sauvetage |
Ce message (sauver Fourvière de la maladie de la pollution) était celui des premières ébauches de l'affiche. Il est disparu de l'affiche finale qui ne conserve que la mention de l'action (envoyez vos dons). Ce message initial n'est donné que dans les reportages ou les commentaires.
Il s'agit donc d'une campagne de communication des media à double titre par :
- la recherche du choc affectif suscité par les média : affiche et spot
- l'explication qui en est donnée par les reportages de presse,
- l’exemple de la mobilisation des medias lyonnais.
On remarquera:
- que cette campagne parle de Fourvière mais non pas de la basilique,
- qu'à part une ou deux interviews du Cardinal DECOURTRAY, ce sont surtout des membres de la Commission qui seront sollicités.
Il s'agit davantage d'une communication de sauvegarde du patrimoine lyonnais que d'une communication de l’Eglise diocésaine de Lyon proprement dite.
D'ailleurs dans le même temps le diocèse lancera sa première campagne publique par affiche et publipostage pour la collecte du Denier de l'Eglise, qui se trouvera vampirisée par celle de Fourvière.
C'est l'indice d'une absence de coordination dans l'action de l'Eglise diocésaine. Cette incohérence s'était déjà produite en 1989 lorsque le diocèse lançait ensemble pour le Carême trois opérations relativement médiatisées : la campagne du CCFD, la réforme du baptême et le pré-synode. Cela dénotait une situation de concurrence des annonces et un compromis minimal appelé consensus : on décidait de "faire en même temps" plutôt que de "faire l'un après l'autre", mais cela n'était pas "faire ensemble" .
C'est aussi l'indice de l'absence d'intérêt pour le témoignage médiatique que l'Eglise donne d'elle-même. Les membres de l'Eglise catholique depuis quelques décennies sont très attentifs au témoignage immédiat qu'ils donnent dans le contact inter-personnel, les rencontres de groupes, le style des constructions, etc. Une fois admis que des médias tels que la télévision et l'affichage publicitaire peuvent supporter la pastorale, il reste toutefois difficile pour la plupart des responsables catholiques d'analyser les effets voulus et seconds d'un "témoignage" ainsi médiatisé.
Ainsi dans la campagne de Fourvière l'image de l'Eglise est-elle associée à celle d'une action de sauvetage du patrimoine. Souvent l'Eglise parle de sauver les personnes. Des débats montrèrent bientôt l'irritation de groupes, en particulier des partisans du synode, devant l'importance que prenait Fourvière dans la pastorale diocésaine. Opérations de salut certes : non pas de personnes (actions spirituelle et sociale) ni d'un diocèse (synode) mais d'un édifice.
L'IMAGE DE L'EGLISE
ET LA CAMPAGNE DU DENIER DE L'EGLISE
La campagne du Denier de l'Eglise lancée cette même année peut se lire par comparaison avec celle de la basilique de Fourvière.
AFFICHE
image
un prêtre en tenue ecclésiastique {col romain et croix au revers d'une veste noire) instruisant deux adolescents.
L’image choisie est sur le mode du récit : on regarde un prêtre en train d’enseigner des enfants.
On identifie l’action à cette relation.
Mais on n’inclut pas dans la relation au prêtre le spectateur qui reste spectateur : personne ne le regarde ni l’interpelle.
texte
au centre
Il vit pour donner
Donnez-lui de quoi vivre
dans la colonne de droite de l'affiche
denier
de l'Eglise
92
Le Diocèse
de Lyon
a
besoin de
vos dons
Il y a une proposition d'échange {vivre pour donner / donner pour vivre)
et une affirmation de besoin {de quoi vivre).
L’échange repose sur deux doubles significations:
A 1 |
Il vit |
pour donner |
B 1 |
B 2 |
Donnez |
de quoi vivre |
A 2 |
A 1 = vivre (pour les autres)
A 2 = vivre (matériellement)
B 1 = donner (sa vie)
B 2 = donner (de l'argent)
En 1 nous avons le sens figuré et en 2 le sens matériel.
L'échange consiste à intervertir les données :
A 1 + B 1 |
vie + don |
B 2 + A 1 |
don + vie |
Mais autant le sens 2 est ordinaire (avoir besoin de quoi vivre), autant le sens 1, figuré, suppose une adhésion.
Il faudrait donc que soit :
- d’une part, compris le sens de « donner sa vie »,
- d’autre part, ressenti le besoin d’avoir des prêtres.
Il manque la figuration d’un besoin vital du prêtre ressenti par les fidèles. Il est supposé que les fidèles ressentent le besoin du prêtre dans leur vie, pour comprendre le message et conduire à une participation financière au Denier de l'Eglise, mais ce besoin vital n'est pas évoqué ici.
En regard de la campagne de Fourvière, nous avons là une campagne qui s'adresse davantage à la raison qu'au coeur.
Il n'y a pas trace de dramatisation ni de choc ni de relation affective,
Dans la colonne de droite est affirmé le besoin du diocèse de recevoir des dons pour le Denier de l’Eglise. A cet indicatif correspond l’impératif de la campagne de Fourvière, plus mobilisateur et incitatif à l’action : envoyez vos dons à…
La campagne de Fourvière suppose, pour conduire à une participation à sa sauvegarde, un attachement des lyonnais à Fourvière : elle imagine donc la disparition de la basilique et le vide ressenti alors dans le paysage lyonnais. Cela provoque une action de salut (de sauvegarde).
Ce schéma n'est peut-être pas applicable à une campagne de Denier de l'Eglise. En effet, il faudrait s’appuyer sur l’émotion suscitée par la disparition du prêtre du paysage social pour engager une opération de sauvegarde, de survie en faveur du clergé.
La communication politique ou sociétale traite identifie généralement la personne qu’on veut faire élire, l'institution qu’on cherche à promouvoir, le comportement qu’on veut susciter…, à une ville, à un programme, à une action, à une qualité… Sans doute y aurait-il intérêt à s'inspirer de la communication de service public telle qu'elle apparaît, par exemple, dans des slogans comme : "des hommes au service des hommes", "avec vous j'ai confiance », "apprenons à vivre ensemble", "bouge ton coeur", etc.
Peut-être y aurait-il aussi avantage à distinguer les types de message selon les types de média comme dans la campagne de Fourvière:
- l'affiche ou le spot télévisuel, c'est-à-dire l'image et le slogan pour dire l'émotion,
- le texte (écrit, parlé. commenté) pour expliciter le motif de l'émotion.
Souvent dans les campagnes des organismes humanitaires l'image sert à créer le choc, et la presse parlée ou écrite à expliquer. Une campagne en faveur de l'Eglise pourrait dans l'image et le slogan évoquer un sentiment et dans les textes expliciter le besoin de dons pour faire vivre le clergé. Si le besoin (assurer la vie matérielle du clergé) demeure d'année en année, en revanche le choix affectif qui sert de support à la campagne peut changer en fonction des situations locales et des contextes sociaux.
Une opération de communication ne peut réussir que s'il y a des orientations affirmées et très visibles ainsi que des priorités dans les divers programmes d'action : c'est ce qu’on nomme la stratégie de l'entreprise, qu'elle soit marchande ou caritative comme les organismes humanitaires.
Une bonne communication
ecclésiale suppose pareillement
-
des objectifs pastoraux
clairement définis
-
et, par conséquent, un
management pastoral efficace.