Colloque de l’Institut Pastoral d’Etudes Religieuses

Lyon

Piété et dévotions populaires.

Expressions contemporaines d’une foi incarnée

28 mai 2015

 

 

Je n’évoquerai que ce que j’ai pu observer depuis 2011, date de ma nomination, dans les communautés de rite latin rattachées aux paroisses du diocèse de Lyon, donc pas dans les communautés de rite oriental qui sont rattachées directement aux Eglises orientales, et pour lesquelles c’est un autre délégué épiscopal qui a reçu mission. Je vais citer des faits sans trop les commenter car je n’ai pas assez de connaissance sur le sujet.

 

Deux allusions au risque de réduction des expressions culturelles jusqu’à en faire des stéréotypes :

 

-      Un prêtre portugais me disait : il n’y a pas que Notre-Dame de Fatima dans la foi vécue par les Portugais d’aujourd’hui

 

-      Une jeune femme antillaise : on n’en assez de nous faire apporter bananes et ananas à l’offertoire ; nous aussi on peut lire et commenter l’Evangile 

 

Trois exemples de liaison avec la religion civile, dont j’ai observé deux formes :

 

+ Celle du culte rendu à la nation :

 

-      A la messe croate sur les cierges d’autel était collé en décalcomanie le drapeau croate : les Croates sont catholiques comme les Serbes sont orthodoxes ; et sous le régime yougoslave l’identité religieuse ne pouvait pas se confondre avec une identité politique

 

-      Lors de leur messe de rentrée, les catholiques sud-américains hispanophones, c’est-à-dire venant d’une vingtaine de pays, hors Brésil, pays parfois en rivalité les uns avec les autres, les fanions de chaque nation sont alignés sur l’autel entre les cierges.

 

+ Religion civile qui peut aussi prendre la forme d’une fête calendaire comme les fêtes du Nouvel An pour les catholiques chinois, la Fête du Têt pour les catholiques vietnamiens, alors que chez nous le Nouvel An n’est pas une fête religieuse. Les catholiques cambodgiens honorent eux aussi cette date mais ils n’ont une liturgie en langue propre, en khmer, que depuis les années 1990 : auparavant ils célébraient en langue vietnamienne.

 

Un rite qui ne se rattache à ma connaissance ni à l’Ecriture Sainte ni à la Tradition des Pères :

-      Les Polonais ont coutume de venir faire bénir des œufs par le prêtre le jour de Pâques ; ce semble être une coutume aussi ancrée chez eux que chez nous de ramener des rameaux de buis à la maison le dimanche précédent. Les œufs de Pâques sont chez nous une coutume non religieuse.

 

Un exemple de mélange d’expressions culturelles :

-      Les Hmongs sont un peuple des hauts plateaux conjoints à la Chine, au Vietnam et au Laos, qui a reçu les premiers missionnaires après-guerre en 1949. Après les guerres en 1975 beaucoup ont dû quitter leur patrie. Certains vivent en France, surtout en Guyane. A Noël ils m’avaient invité ; ils ont chanté « Il est né le Divin Enfant », dont j’ai reconnu la mélodie apportée par des missionnaires français, avec un texte en langue hmong, accompagné par des jeunes à la guitare électrique.

 

Il y a aussi des fêtes patronales comme pour les bateliers :

 

-      Fête du Pardon à Lyon, au printemps, avec des activités festives organisées par une confrérie de bateliers, avec une messe sur le bateau-chapelle et une bénédiction des bateaux.

 

-      Fête de saint Nicolas, à Roanne, début décembre ; c’est une fête organisée par les bateliers avec un homme habillé en Saint-Nicolas qui bénit les enfants ; la paroisse, qui n’est pas partie prenante, s’appelle Saint-Pierre-des-Mariniers.

 

Je cite cela parce que les gens confondent parfois ce qui relève de l’expression publique de la foi (une procession) et ce qui relève de l’expression culturelle locale animée par des confréries ou des offices du tourisme.

 

 

Parmi ces fêtes patronales il y a évidemment la célébration de la figure majeure chez tous les catholiques : celle de Marie. Ainsi plusieurs communautés ont déposé à la crypte de Fourvière une représentation d’une figure de Marie propre à leur pays :

 

-      les Tamouls indiens qui sont des catholiques francophones de l’ancien protectorat français de Pondichéry, sur la côte est de l’Inde, ont déposé en 2005 une représentation de la Vierge de Vélankani apparue au XVIème siècle, implorée pour garder ou pour retrouver la santé. Le tsunami du 26 décembre de l’année précédente avait tué plus de 5000 pèlerins à Vélankani.

 

-      les Sud-Américains en 2014 ont déposé la représentation de la Vierge de Guadalupe au Mexique ; c’est une vierge enceinte apparue sur un tissu en 1531 ; la signification pour les catholiques sud-américains est celle-ci : la Vierge est enceinte des nombreux peuples qu’elle a fait naître à la foi dans le Nouveau Monde, pour reprendre les paroles du pape Jean-Paul II en 1999. A cette occasion un groupe de catholiques, d’origine française pour la plupart, ont voulu faire de cette vierge enceinte l’icône de leur lutte contre l’avortement. Les catholiques sud-américains ont été très très profondément blessés par ce qu’ils ont estimé être un détournement de leur dévotion. Un évêque du Mexique est venu le rappeler ici-même et de manière assez nette. On ne manipule pas impunément les significations vécues par les fidèles.

 

-      Il y a aussi les représentations à la crypte de Fourvière de Notre-Dame de Fatima déposée par les Portugais, de Czestochowa par les Polonais, de Gyor par les Hongrois, de Lorette par les Italiens, de La Naval par les Philippins, et du Liban.

 

Chacune de ces figures de Marie a sa propre histoire, son contexte particulier, sa signification originale vécue par chaque communauté, qui donne lieu à des pèlerinages en liaison avec le calendrier liturgique des diocèses d’origine. Ce qui occasionne, vous vous en doutez, quelque problème de cohabitation dans un diocèse comme celui de Lyon qui a un calendrier marial assez chargé.

 

Lors de leur pèlerinage à Fourvière les Tamouls comme les Gens du voyage font une procession sur l’esplanade en portant sur leurs épaules une statue de leur vierge.

 

Les Gens du voyage sont une catégorie administrative propre à la France, reprise par la Conférence des Evêques, regroupant les Gitans ou Kalé, les Manouches ou Sinté, les Yéniches, les Romani, les Tsiganes, etc. Ceux du diocèse de Lyon gardent leur statue à Irigny. Ils pratiquent beaucoup les pèlerinages, à Ars, Lisieux, Paray-le-Monial avec la Communauté de l’Emmanuel, Lourdes ou les Saintes-Maries ; c’est une forme d’expression bien adaptée à leur style de vie.

 

Maintenant deux notes à propos du sacrement de mariage :

 

-      Lors d’un mariage tamoul, la tante de la mariée peut nouer autour du cou de la mariée une fine cordelette de laine.

 

-      Lors d’un mariage espagnol, certains font le rite des arras. Ce sont des pièces de monnaie que le marié verse dans les mains de son épouse en lui promettant de toujours prendre soin d’elle et la mariée fait de même envers son époux.

 

Voici enfin trois rites qui relèvent eux aussi des expressions culturelles locales et sont intégrés dans la liturgie eucharistique de certaines communautés depuis la réforme voulue par le dernier concile.

 

-      Dans la liturgie eucharistique tamoule, à la fin de la Prière eucharistique, à la place du bref échange que nous, nous connaissons entre le prêtre qui dit ou chante : Par Lui, avec Lui et en Lui à Toi Dieu le Père Tout puissant tout honneur et toute gloire… auquel les fidèles répondent Amen, il y a chez eux un chant de 4 à 5 minutes pendant lequel le célébrant tient en ses mains devant lui l’Hostie et le Calice comme dans notre rituel, tandis qu’arrivent du fond de l’église trois jeunes filles revêtues de leur sari, esquissant un pas de danse. L’une d’elle porte la lumière, l’autre des fleurs, et la troisième de l’encens. Arrivées au pied de l’autel l’une après l’autre puis toutes les trois ensemble elles élèvent lumière, fleurs et encens. C’est le rite indien de dévotion appelé Arati en l’honneur ici du Corps et du Sang du Christ.

 

-      Dans la liturgie eucharistique malgache, à la place de notre Alleluia, il y a un chant qui dure aussi 4 à 5 minutes pendant lequel arrive du fond de l’église le Livre de l’Evangile porté à bout de bras au-dessus de sa tête par un jeune homme, qui le montre à tous, à droite, à gauche, revenant en arrière et reprenant sa marche en avant, suivi de jeunes gens qui avec lui esquissent le même pas de danse jusqu’à l’ambon où il est déposé.

 

-      Toujours dans la liturgie eucharistique malgache, au moment où nous, nous donnons la Paix du Christ par accolade deux par deux, les Malgaches se donnent tous la main et les élèvent au-dessus de leurs têtes. Et pendant un chant de 4 à 5 minutes encore, ils vont faire un balancement de leurs corps. C’est un moment vécu comme un temps de réconciliation ; je cite un paragraphe des statuts de leur association qui me semble bien illustrer ce geste :

Chacun s’efforce d’appliquer les préceptes de tolérance et d’adhérer aux valeurs du FIHAVANANA MALAGASY (traduit « liens de parenté élargie ») de telle sorte qu’une procédure d'exclusion n’est pas envisageable au sein de l’association.

 

 

 

Ce que je viens d’évoquer mériterait de mener un double travail :

-      de sociologue pour discerner les significations réellement vécues par les fidèles dans les pratiques de dévotion ou dans  les rituels liturgiques,

-      de théologien pour faire comprendre ce que ces pratiques, régulées ou non, apportent à la compréhension du mystère du Christ et de l’Eglise, et ainsi enrichir ce qui fait, à mon avis, notre catholicité.

 

 

https://www.youtube.com/watch?v=wd9nZZbVGtw