Les illuminations du 8 décembre
L'origine
des illuminations du 8 décembre a maintes fois été contée. (…) C'est
l'inauguration de la statue de la Vierge par Fabisch, sur le clocher de la
vieille chapelle de Fourvière, qui en donna l'occasion.
D'abord
prévue pour le 8 septembre 1852, elle fut reportée au 8 décembre suivant à
cause de retards dans la fabrication. Ce jour-là, le clergé de Fourvière voulait éclairer, la nuit venue, le
clocher et le piédestal de la statue et « quelques personnes », peut-être des membres de la Congrégation, avaient suggéré,
de bouche à oreille, de
s'associer au sanctuaire par des illuminations privées, chacun sur sa fenêtre.
Antique et classique procédé de réjouissance : quand les rues étaient sombres,
ou noires, la manifestation d'une joie collective commençait en y allumant
lanternes et lampions ; les exemples s'en pressent tout au long du passé.
Ayant
d'abord apparemment rencontré un maigre succès, les promoteurs de cette idée
étaient convaincus de leur échec quand, en plus, dans l'après-midi, un orage violent s'abattit sur
la ville, n'empêchant pas le cardinal de Bonald de bénir la statue, mais ôtant
tout espoir d'éclairer quoi que ce fût. Par avis affichés aux portes des
églises, on se hâta de renvoyer l'illumination au dimanche 12. Et voici qu'en fin de soirée la pluie avait cessé, le vent était
tombé et le ciel dégagé. Des lumières apparurent à quelques fenêtres, que le
maître des cérémonies de Saint-Jean, en toute hâte, essaya vainement de faire
éteindre, pour les
réserver au dimanche. Mais, de fenêtre en fenêtre, les lampions s'allumaient, et les
stocks d'huile et de bougies furent sur l'heure épuisés chez les commerçants.
Grande émotion de l'archevêque et chez les catholiques ; forte impression parmi
les autorités publiques qui pouvaient constater de visu le poids de l'influence
religieuse à Lyon. Le dimanche 12 décembre, l'illumination se répéta, aussi belle, soutenue par les pouvoirs publics qui réglementèrent la
circulation dans les rues pour que la foule ne fut pas gênée, et illuminèrent
les monuments officiels. « Un magnifique transparent, représentant la
Vierge entre deux anges, était placée dans la grande cour de la
Préfecture », alors aux Jacobins.
C'est à la
deuxième fois que naît une coutume. Le 8 décembre 1853, l'illumination embrasa la ville, encore plus brillante ; la coutume
était lancée. En toute spontanéité, soulignons-le, car, si les maisons religieuses entrèrent
tout de suite dans le jeu, le clergé paroissial, sauf exceptions individuelles
certainement, ne fit rien pour influencer les fidèles. En 1855 encore, lors
d'une assemblée des curés chez l'archevêque, la consigne fut : « Liberté à
chacun dans son église. Point d'encouragement en chaire pour illuminer ;
laisser faire, et illuminer chacun chez soi, si les fidèles en donnent
l'exemple ». Ce n'est qu'en 1859 qu'on décida d'illuminer toutes les
Eglises, pour ne pas « contrarier la piété des fidèles », et pour ne
pas faire moins que les édifices publics. Car ceux-ci
(Second Empire obligeait) prenaient toujours part à la dévotion. Les Hospices
Civils s'y mirent en 1857 et, en 1864, la gendarmerie de la rue Sala présenta
sous son portique une chapelle de feuillage abritant une grande statue de la
Vierge... Cependant,
chaque année, des chœurs de jeunes gens faisaient entendre des chants religieux
un peu partout dans la ville et même, en 1863 et 1864, sur des bateaux
descendant lentement la Saône et se répondant de l'un à l'autre. Les
anticléricaux enrageaient. On les comprend. Ils se rattrapèrent en 1874, en plein Ordre moral, quand la
municipalité, sur un rapport de Gailleton, cessa, la première, d'éclairer ses monuments.
Le 8 décembre
1870 fut célébré sans lumière, en plein deuil national. C'est alors que, pour
remplacer l'illumination joyeuse, se fit le premier double pèlerinage à
Fourvière, des femmes, puis des hommes, qui depuis n'a jamais cessé.
L'histoire
du 8 décembre n'a pas
encore été faite sérieusement, et bien des faits sont mal connus : son
extension hors de Lyon (elle connut flux et reflux) ; à partir de quand la fête
religieuse a donné le départ de la saison commerciale d'hiver (dès 1878, un
journal hostile essaie en ricanant de faire croire que le commerce a éteint la
piété) ; les changements dans l'atmosphère politique (il y eut un mort en 1903)
et dans l'attitude des autorités civiles ; comment et depuis quand, à côté de
la fête religieuse, se développe le syncrétisme d'une « fête
des lumières » où, de la dévotion
mariale jusqu'à l'hommage aux « vieilles divinités gauloises », en
passant par la fête populaire organisée et la publicité commerciale, il n'est
pas toujours facile de faire le départ. Il y aurait là une belle étude, mais
qui ne tiendrait pas en deux pages ...
Henri
HOURS
Eglise à Lyon, 1995, n°20