concile de Chalons
894
En l’année 894,
indiction 12.
Attisée par la
haine, poussée au mal, s’est levée une infâme rumeur au monastère et place de
Flavigny, selon laquelle Gerfroy, diacre moine qui
avait choisi de servir en ce lieu saint, avait fait mourir par empoisonnement
monseigneur Adalgaire évêque d’Autun, père très
affectueux et évêque vénéré.
L’objet de ce
crime, dont l’immense ignominie n’effrayait pas seulement sa communauté mais
encore et Dieu et les hommes, avait aussi heurté profondément les oreilles de
toute la Gaule et avait marqué le lieu du sceau de l’infamie.
En fait ce diacre
moine eut peur des conséquences d’un forfait aussi exceptionnel, comme il est
naturel de la part d’un homme qui avait conscience des bienfaits d’un père très
aimé dont l’ampleur resplendissait par trop aux yeux de tous.
D’abord il demanda
conseil au glorieux évêque monseigneur Galon, qui lui enjoignit de se décharger
de son abominable crime, non moindre en pensée qu’en fait, devant Dieu
lui-même, qui en est le témoin et le juge et le scrutateur de tous les cœurs.
Puis ce très grand
pontife, fin connaisseur de choses divines mais aussi humaines, appuyé par le
conseil des fils de la communauté, ne voulut pas que périsse une brebis qui lui
était confiée, mais il apporta le soulagement de ses exhortations et la
médecine des paroles divines de manière affectueuse et miséricordieuse, de
sorte que, si d’aventure la perfidie du diable avait mis la pareille dans le
cœur de ce moine, au moins il puisse dans sa confession devant l’institution
ecclésiastique être soigné et lavé pour son salut par l’action du Saint-Esprit
et l’infusion de sa parole.
Alors le diacre
moine, totalement persuadé qu’il n’était en rien coupable d’une telle
ignominie, se proposa au jugement du Saint-Esprit et à tout examen selon les us
ecclésiastiques, pour une décision très rapide en toutes les manières.
C’est pourquoi
notre évêque, hésitant à décider de par son propre jugement un acte aussi
inouï, préféra en discuter pour prendre un arrêté au saint synode de la
province en présence d’Aurélien, archevêque renommé, et des autres collègues
évêques. Ainsi déchargé, il ne prit pourtant aucun retard.
En conséquence,
Dieu étant favorable, au jour fixé des calendes de mai se rencontrèrent les
pontifes sacrés : Aurélien primat de toute la Gaule, avec le très illustre
Galon de Autun, Ardrad de Chalons, Géraud collègue
évêque de Mâcon, ensemble avec les légats du bien connu Teutbald
évêque de Langres, en la ville de Chalons, dans l’église du bienheureux Jean
Précurseur du Christ, qui est à proximité de cette ville. Là en rendant
publiques les dispositions des saints pères de manière régulière et canonique
et en approfondissant les affaires ecclésiastiques avec plus de soin, ceux-ci
ont travaillé par une enquête fine et de nombreux examens à dissiper l’infamie
à laquelle ce moine était exposé.
Durant tout le
jugement de ce moine, et selon les us ecclésiastiques et selon les épreuves
humaines de droit, ils ne purent trouver personne digne de foi qui l’accusât de
cette infamie et affirmât quelque certitude.
Après un troisième appel
au témoignage du Saint-Esprit et n’avoir rien trouvé de très vraisemblable, ils
ont prescrit d’un commun accord, que, puisque ils n’avaient réussi ni à se
faire une conviction ni à obtenir un aveu, et comme c’était une affaire révélée
dans des lieux saints, ce moine fût totalement libéré de toute suspicion au
cours d’un synode local que Galon, évêque digne de tout respect, célèbrerait
devant les fils de la communauté, en se soumettant à l’examen du Corps et du
Sang du Christ, pour être ainsi mis à l’épreuve avec plus de vérité et de
crainte, jugé d’une meilleure santé morale, et lavé de cette infamie devenue
publique :
Ainsi donc par ce
texte ils notifient à cet homme que, s’il est conscient d’un tel sacrilège, il
ne s’approche d’aucune manière de la communion eucharistique, et que, s’il le
tente avec force témérité, de par le jugement du Saint-Esprit et l’autorité des
premiers apôtres il soit banni de la rédemption qui nous est chère, sera damné
avec Judas le traitre du Seigneur et voué aux supplices éternels de manière
irrémissible ; mais, si au contraire il se voit déchargé par tout cela,
sûr de la miséricorde de Dieu, il ne s’écarte pas de la réception du don d’un
tel présent pour son propre salut.
Cela fut bien
annoncé à tout le monde en tout lieu.
Puis donc le très
affectueux pasteur, mu par la miséricorde, réunit au couvent et place de
Flavigny le saint synode de sa propre communauté, selon les décisions des
évêques cités ; tous étant réunis ensemble dans la première église
Saint-Pierre après les célébrations des messes, alors il répéta ce qui est dit
ci-dessus :
que notre homme décide
par lui-même selon ce que sa conscience lui dicte et comme il le veut :
s’approcher de la communion eucharistique
ou la refuser.
Celui-ci sans
aucune hésitation, invoquant Dieu qu’il lui accorde dans ce témoignage et
jugement le prix de son rachat, en toute confiance et au vu de tous accomplit
ce qui était décidé ci-dessus par tous.
Donc pour être
quitte de la charge qui pesait sur lui et n’avoir jamais plus à être atteint
d’une blessure sans pareil, il demanda que cet écrit soit relu et corroboré
personnellement par le maître du lieu et ses collègues évêques cités
ci-dessous.
Galon, simple évêque de
l’Eglise d’Autun, a relu et soussigné.
Ardrad, simple évêque de
l’Eglise de Chalons, a soussigné.
Géraud, recteur et
simple évêque de l’Eglise de Mâcon, a soussigné.
NOTES
C’est le plus ancien texte officiel connu dans lequel est faite
mention, à propos de l’archevêque de Lyon, du titre de primat de toute la Gaule (Aurelianus primas totius Galliae). Selon les copies ce texte est présenté ainsi :
Extrait du Concile de Chalons
Dans l’affaire du moine de Flavigny, dont on disait
qu’il avait tué en l’empoisonnant Adalgaire, évêque
d’Autun
Concile de Chalons
Dans lequel est notifiée la purification par le Corps
du Seigneur au moine Gerfroy de Flavigny, dont on
disait qu’il avait tué en l’empoisonnant Adalgaire,
évêque d’Autun
Synode de l’Eglise de Chalons
B. Jean Baptiste dans les faubourgs
Où par décret est faite la purification par le Corps du
Seigneur du moine Gerfroy, dont on disait qu’il avait
tué en l’empoisonnant Adalgaire, évêque d’Autun, en
l’année du Christ 894, dans le synode diocésain au monastère et place royale de
Flavigny en la première église de S.Pierre
praesul, episcopus, antistes :
président, inspecteur, préposé, traduits ici indifféremment par
le terme d’évêque
castro publico : traduit ici place, en fait place forte d’Etat (voir DUCANGE)
ecclesia : traduit ici communauté,
assemblée monastique
sacra sumenda :
traduit ici communion eucharistique, suivant
l’expression sumenda eucharistia
(recevoir l’eucharistie)
Adalgarius :
Adalgaire
est évêque d’Autun de 875 à 893
Valo ou Gualo : Galon ou Wallon de Vergy est évêque d’Autun de
894 à 919
TEXTE LATIN
LA LANDE Pierre (de), 1666, Conciliorum Antiquorum Galliae, p.310
CHIFFLET
Pierre François, 1669, Histoire
de l'abbaye royale et de la ville de Tournus avec les preuves, p.240
HARDOUIN J., LABBE P., COSSART G., 1714, Acta Conciliorum
Et Epistolae Decretales, Ac
Constitutiones Summorum, tome VI, partie I, p.433
LABBE P.,
COSSART G., 1730, Sacrosancta Concilia ad regiam editionem
exacta, tome XI, p.626
Congrégation de Saint-Maur, 1757, Recueil des historiens des Gaules et de la
France, tome 9, document
XIV
Cartulaire
de Flavigny, document 25, (BOUCHARD Constance, éd., 1991)
Fonds
de La Catalunya, 2010, Documentia/D00667
DOCUMENTS
- MABILLON
Jean, 1706, Annales
ordinis S. Benedicti occidentalium monachorum patriarchae, p.294sq
- FLEURY Claude, 1779, Histoire
ecclésiastique, tome 8, p.105sq