Thomas Becket
archevêque
de Cantorbery
Pendant plusieurs siècles, l'Eglise de Lyon entretint avec celle de
Cantorbery des rapports peu étroits mais privilégiés, dont les causes restent
incertaines. Deux séries de faits jalonnent cette histoire. La première a trait au culte
rendu au saint, dès une date étonnamment précoce. C'est le 29 décembre 1170, à son retour de l'exil auquel l'avait
contraint l'inimitié de son roi Henri II, que l'archevêque de Cantorbéry fut
assassiné devant l'autel de sa cathédrale, par
des courtisans trop zélés. La canonisation intervint tout de suite, dès 1173.
En 1174-1175, on parle de Lyonnais pèlerinant à son tombeau. Mieux : vers 1175-1180, la
chapelle que faisait construire à Fourvière le chanoine Olivier de Chavanne fut
consacrée à la Vierge et au saint, dont
le patronage fut donné par l'archevêque
Jean, en 1192, au chapitre collégial fondé
cette année-là autour du nouveau sanctuaire. Les fêtes du saint y furent désormais
célébrées, notamment sa translation en 1284. Enfin, c'est dans la cathédrale
qu'on trouve l'existence de deux autels
consacrés à saint Thomas ! L'un en place
dès avant 1323, l'autre érigé en 1341 par le prévôt de Fourvière Guy de
Francheleins, adossés chacun à l'un des piliers qui séparaient le chœur de la
chapelle Saint-Pierre au Nord et de la chapelle de Notre-Dame du Haut-Don au
Sud.
Ces relations ne furent pas seulement
spirituelles, et se traduisirent de façon amicale et concrète. Vers 1175, en
même temps, donc, que la dédicace de la chapelle de Fourvière, l'archevêque Guichard fit don à l'Eglise anglaise d'une
maison et d'une terre. La maison était
sise à l'intérieur du grand
cloître, vraisemblablement à l'angle
Est des actuelles rues des Antonins et de la Bombarde. Quant à la terre, c'était
l'important fief de la Salle, à Quincieux
près d'Anse. Il semble que l'intention du donateur fut assez vite trahie par le
roi d'Angleterre, qui mit la main sur l'un et l'autre bien pour en attribuer
les revenus à des laïcs. La Guerre de cent
ans aidant, l'esprit de la donation
s'évapora complètement et, en 1382, le chapitre fit démolir la «maison de
Contorbery» qui se trouvait sans doute en ruineux état. Pourtant, en 1411, il écrivit
à son homologue anglais, pour
lui demander ses titres de propriété sur le fief de la Salle. Vaille que
vaille, la propriété anglaise resta reconnue sur le fief jusqu'au schisme
anglican, après lequel le chapitre de
Saint Jean se jugea autorisé à en disposer
librement, et l'incorpora à l'obéance d'Anse.
Pourquoi des liens aussi privilégiés ? Sans remonter aux temps
mérovingiens, comme on le fit jadis sur une confusion de noms, les deux Eglises
avaient certes des souvenirs communs. Le grand saint Anselme, persécuté par son
roi Guillaume le Roux avait dû quitter sa ville épiscopale et se réfugier sur
le continent. A deux reprises au moins, en 1100 et 1106, il
avait été hébergé à Lyon par l'archevêque
Hugues. Mais on voit mal comment ces faits lointains et peu marquants auraient
motivé le culte et la donation, bien plus tard.
Thomas Becket était-il venu lui-même chez
nous, au cours de son exil ? Les
anciens historiens l'ont affirmé, se fondant sur une tradition dont la première
manifestation remonte au début du XVe siècle, et qu'ils enjolivèrent, selon la
coutume. Les historiens modernes, en revanche, constatant l'absence de tout
document authentique attestant la réalité de ce séjour, se sont convaincus
qu'il n'avait jamais eu lieu. Mais on sait bien que la preuve négative est
toujours difficile, surtout au Moyen-âge, où l'absence de documents ne signifie
pas nécessairement absence de fait.
Par ailleurs, nous savons avec certitude que
deux archevêques de Lyon, au XIIe siècle, eurent les meilleures raisons de bien
connaître Thomas. Lorsqu'il était encore abbé de Pontigny, Guichard avait
hébergé l'exilé pendant deux ans et celui-ci, le recommandant chaudement au roi
Louis VII, avait facilité sa désignation par le Pape pour le siège de Lyon, en
1165. Le successeur de Guichard en 1181, l'Anglais Jean, dit Bellesmains,
ancien condisciple et ami du martyr, gardait fidèlement sa mémoire en même
temps qu'il conservait ses relations avec ses compatriotes.
En fin de compte, que saint Thomas Becket ait
séjourné à Lyon pendant son exil - ce
qui est possible, mais sans la moindre preuve -, importe sans doute moins pour
expliquer les liens entre les deux Eglises, et présente moins de signification
pour l'histoire de l'Eglise en Occident, que les rapports personnels attestés
ceux-ci, entre les évêques des deux villes.
Henri Hours
Eglise
à Lyon, 1992,
n°14