musée du diocèse de lyon

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Jean Bellesmains

de l’administration temporelle de l’Eglise de Lyon

1195

 

 

 

 

 

Au vénérable seigneur et confrère sacerdotal G. évêque de Glascow par la grâce de Dieu,

J., jadis archevêque de Eglise primat de Lyon, et maintenant le plus petit des prêtres du Christ,

salut en notre véritable Sauveur.

 

 

Comme nous vous l’avions dit, cher frère, en répondant à votre précédente lettre, nous savons bien que vous pourrez trouver, lors de votre retour que nous vous souhaitons heureux, des hommes beaucoup plus compétents et plus judicieux qui pourront vous répondre avec plus de compétence et de manière plus complète sur les problèmes que vous nous avez exposés et d’autres qui d’aventure se présenteraient à vous. Surtout que vous vous disposez à prendre la route de Paris, où il n’est pas douteux qu’on peut trouver de nombreux connaisseurs des lois tant divines qu’humaines.

 

En vérité, pour que notre préoccupation ne reste pas totalement vaine, nous avons soin de vous donner en réponse, à notre petite mesure, ce que nous avons poursuivi à l’exemple des anciens et aussi avec l’expérience de notre époque.

 

Ce siège archiépiscopal, dans lequel vous avez maintenant reçu la consécration de la fonction pontificale, où depuis un certain nombre d’année, bien qu’indigne, nous fumes remplis de la fonction pontificale, a une très large juridiction, que vous appelez baronnie, tant dans les frontières de l’empire que dans celles du royaume des Francs, parce que le territoire propre à ce diocèse a ses limites dans l’un et l’autre ; et nous ne pensons pas qu’une autre Eglise se trouve facilement qui se réjouisse du privilège d’une si grande liberté de part et d’autre. C’est pourquoi nous qui étions soumis aux obligations de la fonction et de la charge, suivant la coutume de nos prédécesseurs, nous usions du dispositif suivant.

 

Ainsi j’avais un Sénéchal, auquel je confiais la préoccupation et le soin des affaires publiques, qui non seulement décidait de la qualification judiciaire des affaires d’argent, mais encore présidait, selon la coutume régionale, à la punition des crimes et des ignominies, pour que, comme vous le rappelez dans vos lettres, par manque de punition l’envie de malfaire ne grandisse pas chez les gens dépravés.

 

Je prenais garde cependant, que, si d’aventure la qualité d’une faute méritait une peine de pendaison ou d’amputation de membres, aucun écho ne me parvienne sur cette disposition.

 

Puisque dans ce dispositif il décidait avec ses accesseurs sans recherche d’information de ma part, je savais indubitablement que, lui ayant attribué l’autorité d’instruire et de décider, il ménageait cette confiance envers moi en n’en me dévoilant rien, et que les saints hommes qui me précédaient à ce siège étaient irréprochables en procédant selon cette coutume. En effet on ne trouve nulle part dans le monde latin des lieux avec davantage de saints Martyrs et Confesseurs que dans notre Eglise majeure. Ce que vous pourrez facilement découvrir dans le Martyrologe du vénérable prêtre Bède, ou de son successeur Usuard, qui augmenta en grande part le Catalogue des Saints.

 

Vint augmenter ma confiance le fait avéré que le Préfet de la ville de Rome, qui préside en particulier à la punition des crimes, reçoit l’autorité de sa Préfecture du seigneur Pape. Aussi, le dimanche du chant du Laetare Jerusalem, la procession solennelle terminée, le souverain Pontife lui remet-il la rose d’or comme si cette rose le récompense de l’exécution de ses obligations. Et qui plus est, dans la cité de Bénévent qui appartient en propre à la mense apostolique, le seigneur Pape dispose un Recteur, qui, par lui-même ou au moins par des citoyens de cette ville, punit les ignominies de ce lieu et l’assainit.

 

Nous profitions des soulagements apportés par ce dispositif, sachant cependant que, si des résultats provenaient des affaires de cette disposition, ils étaient affectés à mon compte, étant déduit le droit de mon Sénéchal auquel le tiers est dû pour sa préoccupation de résultats.

 

De plus nous prêtions une grande attention, tant nous que nos prédécesseurs, à ce que celui qui était assigné à l’exécution de ce dispositif n’avançât pas ensuite dans les ordres sacrés.

 

Hé, cher frère, nous répondons à votre première question, ne décidant pas ce qui doit être fait, mais ce que nous avons fait, vu que nous reconnaissons à quel point votre conscience morale est scrupuleuse.

 

Du reste nous pensons devoir répondre à votre seconde consultation.

 

Aux clercs, et surtout à ceux qui sont promus aux ordres sacrés, il est rigoureusement interdit d’aller devant le tribunal civil pour des vols ou des larcins commis envers eux, et s’ils ne peuvent absolument pas être retenus, qu’ils n’osent d’aucune façon aller jusqu’au duel, ou à l’épreuve du fer rouge ou de l’eau, ou à quelque épreuve de ce genre. Et si ceux-ci n’acquiescent pas, alors qu’auront été perpétrées l’amputation de membres ou des morts d’homme dans la mise en œuvre de ce dispositif, ils mériteront d’être écartés de l’office et du bénéfice ecclésiastique.

 

En effet l’autorité apostolique leur oppose cette parole : « Pourquoi n’endurez-vous pas plutôt un préjudice ? » Nous croyons vraiment pouvoir appeler préjudice le dommage qu’inflige une personne à une autre par préjudice ou par fourberie.

 

Et sans préjuger d’une meilleure façon et d’un plus sage conseil, nous vous avons écrit avec assez de timidité cela au sujet des affaires racontées ci-dessus, et de plusieurs autres qui m’ont plus gravement oppressé.

 

J’ai choisi, vénérable prêtre du Christ, de traverser ce peu de vie qui m’est offerte par Dieu, auteur de la vie, dans la pénitence et les larmes, et d’avoir (si possible) un avant-goût de la douceur de la vie contemplative.

 

En effet j’ai été obligé, tandis que je remplissais la fonction d’archevêque de Lyon, d’engager de par ma fonction la milice civile, de poursuivre par la force armée les voleurs, les sacrilèges et les profanateurs des voies publiques, d’assiéger leurs fortifications et châteaux forts, de les incendier et démolir ; dans cette poursuite il arrivait des morts quelquefois non seulement parmi ces malfaiteurs, mais encore parmi ceux que nous commandions.

 

Aussi, maintenant jeté aux pieds de votre sainteté, comme un pauvre pécheur, je vous implore humblement jusqu’à ce que vous daigniez intercéder pour la rémission de mes péchés.

 

Portez-vous bien.

 

 

 

 

 

NOTES

 

 

G., évêque de Glascow : Gosselin ou Jocelin, moine cistercien devenu évêque de Glascow (Ecosse) en 1174 ; s’il a été consacré évêque en l’abbaye cistercienne de Clairvaux, il ne peut l’avoir été à Lyon comme semble l’indiquer la lettre de BELLEMAIN. Quant à son voyage de retour par Paris, que ce dernier évoque, il est possible vu que Gosselin vint plusieurs fois sur le continent.

 

J., archevêque de l’Eglise primat de Lyon : Jean de Belles-Mains, né à Cantorbery (Angleterre), ami de Thomas Beckett, élu archevêque de Lyon en 1182 ; il renforce les propriétés et la sécurité du diocèse et, las d’avoir eu à maintenir l’ordre civil par la force armée, démissionne en 1193 et se retire à l’abbaye cistercienne de Clairvaux où il meurt en 1204.

 

GUIGUE date cette lettre de 1195, puisque BELLESMAINS évoque au passé sa fonction archiépiscopale et au présent sa vie partagée entre pénitence et contemplation ; il situe sa rédaction en la Chartreuse de Portes.

 

honor : traduit ici fonction

 

parochia : traduit ici territoire diocésain (voir DUCANGE)

 

modus : traduit ici dispositif ou disposition

 

mensa : traduit ici mense, ensemble des biens attribués à un prélat ou à une communauté ecclésiastique (voir CNRTL)

 

foro saeculari : traduit ici tribunal civil

 

militiae saecularis : traduit ici milice civile

 

 

 

TEXTE LATIN

 

 

MABILLON Jean, 1682, Veterum analectorum, tome 3, pp.490sq

 

MENESTRIER Claude François, 1696, Histoire civile et consulaire de la Ville de Lyon. Preuves, p.XX

 

MIGNE Jacques Paul, 1855, Patrologia latina, Joannes de Belmeis Lugdunensis Archiepiscopus, vol.209, col.879sq

 

Obituarium Lugdunensis Ecclesiae, (éd Guigue M.C., 1867), p.XIII

 

 

 

DOCUMENTS

 

 

-      MENESTRIER Claude François, 1696, Histoire civile et consulaire de la Ville de Lyon. Le Sénéchal, pp. 330sq

 

-      CLERJON Pierre, 1830, Histoire de Lyon, depuis sa fondation jusqu'à nos jours, tome 3, pp.49sq

 

-      voir notice sur Jean Bellesmains