L'abbé
Boisard
1851-1938
A la suite d'un Joseph Rey, d'un
Antoine Chevrier, d'un Camille Rambaud, ses
aînés, dont on ne devrait pas le séparer; Louis Boisard appartient à l'imposante
cohorte des prêtres éducateurs de l'enfance populaire, qui a tellement marqué
le catholicisme du XIXO siècle et à laquelle
il a, comme chacun d'eux, apporté sa touche originale.
Né dans une famille aisée, il
entra dans la toute nouvelle Ecole Centrale Lyonnaise, dont il sortit ingénieur
à seize
ans. Il commença par travailler en usine, comme ouvrier, pour se former, puis, avec
son beau-frère, dirigea un laboratoire de produits pharmaceutiques. Resté
fidèle à la
pieuse éducation maternelle, sans doute aussi influencé par l'exemple de son
cousin l'abbé Rambaud, il s'ouvrait au catholicisme social en plein essor:
conférences de Saint-Vincent de Paul, œuvre des Cercles catholiques d'ouvriers,
quand, sur l'impulsion du curé de Saint-Bruno, il entra, en
1873, au « noviciat » des Prêtres de Saint-Irénée, où il reçut
le sacerdoce en 1877. Après un bref ministère à l'institution des Chartreux, il
fut, en octobre 1879, nommé aumônier du tout jeune patronage de
Notre-Dame-Saint-Louis de la Guillotière que venait de fonder la Société de
Saint-Vincent de Paul.
Tout de suite, lui sauta à la figure cette évidence : la
plupart des garçons du patronage, et les meilleurs, une fois lancés dans la vie
de travail, ne restaient pas deux ans fidèles au catholicisme, dont la vie en
usine ou en atelier avait tôt fait de les éloigner pour toujours. Ce n'étaient
pas quelques après-midi de patronage qui pouvaient contrebalancer la vie
quotidienne ; c'est elle qu'il fallait pouvoir faire mener aux jeunes gens dans
une atmosphère chrétienne. Son expérience d'ingénieur et de chef d'entreprise l'aida à trouver
une solution. A ces garçons, il fallait offrir la possibilité d'une éducation
totale qui, une fois franchie l'adolescence, en ferait des hommes solides, des chrétiens
confirmés et des ouvriers de qualité dont l'industrie française avait un criant
besoin, la formation professionnelle étant déjà son point faible.
L'abbé Boisard conçut donc, non
une école, comme il y en avait, mais des ateliers de production où les enfants
et adolescents suivraient un apprentissage d'une qualité supérieure à celui
qu'ils pouvaient trouver au hasard des entreprises. Vivant
en internat chrétien, suivis par des éducateurs choisis, ils pourraient passer
le cap et devenir bons ouvriers et bons chefs de famille. Ayant pris claire
conscience de sa vocation en novembre 1881, il alla à Turin consulter don
Bosco, puis un moine de la Grande Chartreuse, qui l'un et l'autre
l'encouragèrent et, le 15 octobre 1882, un atelier de cordonnerie s'ouvrit, rue
de Crémieu. Ce premier essai échoua, rapidement remplacé par un atelier de
fabrication complète, avec vente des produits finis, qui, lui, réussit. De 1883
à 1891, virent le jour des ateliers d'ébénisterie,
serrurerie, menuiserie, mécanique, électricité, ajustage. Le succès était là,
une clientèle était constituée, rendant l'entreprise viable, et les jeunes
gens, à leur sortie d'apprentissage, n'avaient pas de peine à trouver de
l'embauche.
L'avantage de la formule était
triple : les ateliers, en tant que tels, échappaient aux lois scolaires
laïques; ils s'équilibraient financièrement; les enfants vivaient dans les
conditions réelles, y compris économiques, du travail, à travers lequel ils
étaient aidés à découvrir une véritable culture ouvrière.
Jusqu'à sa mort Louis Boisard
fut aidé dans son œuvre, qui ne cessa de se développer, par une équipe de
prêtres remarquables au premier rang desquels il faut citer René Mortamet. Pour
eux, très soutenu par les cardinaux Sevin et Maurin, il institua la
« Petite Société de la Sainte Famille », devenue, depuis, l'institut
séculier de « Saint-Joseph ouvrier ». Ces
deux patronages donnent une bonne idée de sa spiritualité, très simple :
sanctification dans les devoirs quotidiens et les observances de la vie
sacerdotale, selon l'esprit de Nazareth et à la lumière de l'Histoire d'une
âme de sainte Thérèse de Lisieux. Sa confiance absolue dans la Providence,
jointe à un tempérament audacieux, le
poussa parfois à des imprudences : une fondation aventureuse en Tunisie connut
l'échec. Mais sa sérénité dans l'épreuve, un grand bon sens, une profonde
connaissance des hommes, une charité attentive firent de lui, non seulement un
grand directeur d'œuvre, mais un grand conducteur d'âmes, auprès de « ses
enfants » bien sûr, et aussi en ville, dans tous les milieux.
Henri HOURS
Eglise à Lyon, 1997, n°18