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L'Assemblée et les Cahiers du clergé de la Sénéchaussée de Lyon en 1789

 

 

C'est au mois de mars 1789 que les trois ordres de la Sénéchaussée de Lyon s'assemblèrent pour préparer les Etats-généraux : rédaction des fameux Cahiers, élection des députés. La séance inaugurale se tint en commun, le 14, dans l'église des Cordeliers, puis chaque ordre délibéra à part, le clergé en la chapelle des pénitents du Confalon. La séance de clôture réunit à nouveau tout le monde, le 4 avril.

 

Ces deux semaines de débats se passèrent, pour le clergé, dans une atmosphère tendue, voire houleuse, marquée par la hargne revendicative des curés, largement majoritaires, contre les chanoines et les vicaires généraux. Le comte de Castellas, doyen du chapitre primatial et vicaire général, qui présidait, eut parfois du mal à exercer ses fonctions ; le conflit fut permanent, les discussions bruyantes, les algarades personnelles fréquentes. Certains, tel Claude Souchon, curé de Saint-Genis l'Argentière, se montrèrent virulents.

 

Les curés arrivaient aux séances après des réunions particulières tenues chez les missionnaires de Saint-Joseph, avec des motions déjà rédigées et des bulletins de vote tout prêts. Ils n'eurent pas de peine à imposer leur choix dans l'élection des députés : trois curés sur quatre pour la sénéchaussée ; seul non curé, le doyen de Castellas. Pas de peine non plus à emporter d'enthousiasme la suppression des privilèges fiscaux du clergé : elle ne lésait que les chanoines.

 

Toutefois, à lire le cahier qui sortit de ces difficiles débats, on voit s'y croiser deux lignes directrices, différentes l'une de l'autre, voire opposées.

 

Tout d'abord, la volonté de considérer le clergé, en tant qu'ordre, comme incorporé à la nation: « c'est d'elle qu'il reçoit sa considération, c'est d'elle qu'il a reçu ses biens, ses intérêts doivent être confondus avec les siens ». En conséquence et naturellement, le cahier du clergé se prononce sur la constitution de la nation, sur les pouvoirs des Etats-généraux et leur fonctionnement, sur les principes qui devront fonder la législation générale et la fiscalité. Le tout, imprégné de l'esprit du temps : exaltation de la nation, affirmation des droits de l'homme, sens de l'utilité publique, désir de moderniser l'administration du royaume. A la limite, on voit s'annoncer l'absorption de l'ordre du clergé : « les députés de l'ordre du clergé se regarderont bien plus comme des représentants de la nation entière, nommés pour elle par des citoyens électeurs, que comme ceux d'un ordre particulier ». On allait droit vers la constitution civile du clergé.

 

D'autre part, loin d'abdiquer la moindre parcelle d'autorité morale sur les populations, le clergé en revendiquait la reconnaissance publique et les moyens légaux nécessaires, exigeant en premier lieu la confirmation du catholicisme comme religion d'Etat : la « Religion Catholique, Apostolique et Romaine, qui est la religion nationale et constitutionnelle, sera la seule maintenue dans l'exercice du culte public ». En conséquence : participation du clergé à l'exercice de la justice, limitation de la liberté de la presse dans des bornes raisonnables, respect public des dimanches et fêtes, et, surtout, retour à l'autorité et au contrôle du clergé sur tous les établissements d'enseignement, de tout niveau, publics et privés; retour à l'esprit des collèges de la Compagnie de Jésus, « dont on ne saurait trop regretter les travaux et déplorer la suppression ».

 

On a le sentiment qu'une minorité manœuvrière avait réussi à mener les séances et à entraîner la masse sur une grande partie de son programme, mais n'avait pas été suivie sur des points essentiels de la discipline touchant au magistère social de l'Eglise ou au pouvoir de l'évêque (elle ne put faire voter le droit des curés de choisir leurs vicaires). Le président et les autres vicaires généraux (notamment J.J. Bonnaud, ancien jésuite, qui avait toute la confiance de l'archevêque) avaient su préserver ce qui, à leurs yeux, était l'essentiel. Mais combien, alors, pouvaient se douter que les deux lignes, en se croisant, menaient à un affrontement tragique ?

 

 

Henri HOURS

Eglise à Lyon, 1998, n°4