Les
Cercles catholiques d'ouvriers
Fait prisonnier avec l'armée de
Metz pendant la guerre de 1870, le comte Albert de MUN, capitaine de cavalerie, découvrit
en captivité le catholicisme social allemand. Libéré à temps pour
participer au siège de la Commune, il fut
saisi par l'horreur de cette guerre civile féroce et par l'urgence du devoir
chrétien de réconciliation et de rééducation sociale.
Il pensa en trouver le moyen
dans des cercles d'ouvriers dont l'exemple lui était donné par celui que
Maurice MAIGNEN, homme d'œuvres, avait créé en 1865 à Paris,
boulevard de Montparnasse. Avec ce dernier et avec son ami le comte René de la
TOUR DU PIN, qui venait de vivre avec lui la même expérience, il fonda, le 23
décembre 1871, l'Œuvre des Cercles Catholiques d'Ouvriers. Il s'agissait de
vrais cercles, où les ouvriers pourraient venir se détendre, prendre leur
repas, lire, entendre des conférences, tenir des réunions, suivre une pratique
religieuse (une chapelle était toujours aménagée). Un autre but essentiel
était, grâce à un
système de responsabilités et de hiérarchie interne, que soulignait le
« livret-diplôme » délivré au bout d'un certain temps de probation,
de former une élite ouvrière catholique.
C'est un fait unanimement
constaté : les Cercles ne comblèrent pas les vœux de leurs fondateurs, et
vivotèrent. On a souvent invoqué, pour l'expliquer,
l'archaïsme des conceptions sociales de départ, fixées sur les corporations d'Ancien
régime, dont on se faisait d'ailleurs une représentation
idéalisée, et inadaptées à la
société industrielle. Cette explication est exacte, et l'exemple lyonnais nous permet de
voir comment, concrètement, l'Œuvre
pouvait contenir au départ les raisons d'un demi-échec, en dépit
d'intentions les plus excellentes.
Un groupe d'une
vingtaine de personnes ayant pris langue avec le comité parisien, Albert de MUN
vint présenter l'Œuvre à Lyon,
les 21 et 22 mai 1872, et tout de suite furent constitués un comité d'action et
un bureau exécutif. Sur les trente membres du comité, quinze appartenaient à la
Congrégation des Messieurs : donc, des hommes de la bourgeoisie aisée, ou même
fortunée, en majorité légitimistes. Sur les quatre membres du bureau, trois
officiers, dont le président, et un banquier ; trois d'entre eux étaient
congréganistes.
Dès le 4 août, un premier
cercle fut inauguré à la
Croix-Rousse, 1 rue Neyret. Devant une nombreuse assistance comprenant
quarante ouvriers, premiers membres du cercle, l'estrade était occupée par le
comité et « plusieurs notabilités du clergé, de la magistrature et de
l'armée ». On entendit des discours de l'abbé GOUTHE-SOULARD, vicaire
général, du colonel LIONS, président, et d'Albert de MUN ; et aussi des intermèdes musicaux,
dont certains joués par la musique du 98ème. L'après-midi se termina
par la bénédiction des lieux et le salut du Saint-Sacrement ; un officier
tenait l'harmonium. Un second cercle s'ouvrit rue Saint-Georges, le 27
octobre suivant, et un troisième aux Brotteaux, rue Duguesclin, le 1er
décembre. Le nombre, par la suite, s'en accrût lentement : cinq en 1874,
huit en 1900, vingt-deux en 1911, groupant six ou sept cents adhérents. Ils
survécurent jusqu'au début des années 30, où les assemblées générales de la
Saint-Joseph en comptaient vingt-cinq.
Si la présence d'officiers au
comité se fit moins voyante au fil des ans, si la Congrégation perdit un peu de
sa prédominance, le principe resta le même de cercles gérés par des ouvriers,
mais sous le patronage de personnes de la bourgeoisie (et même, à la longue,
des dames patronnesses) et sous l'inspiration du catholicisme social de
tendance royaliste (de laquelle, à cette
époque précisément, se détachait la tendance démocrate).
Notre première réaction,
aujourd'hui, est l'ébahissement ; surtout à la
lecture du récit des premières fondations. Un
paternalisme aussi pur eût été excellent vers 1825 ; mais après 1831 et 1834,
après 1848, après la Commune... ! Et
encore, la place manque pour citer les commentaires bien intentionnés du
temps, qui nous laissent sans voix. On aimerait savoir quels furent les
ouvriers qui fréquentèrent les cercles... La deuxième réaction doit être de
nous souvenir qu'Albert de MUN et ses amis n'étaient point des sots et qu'ils
firent ce qu'ils pouvaient. Du reste, leur action visait autant les bourgeois
que les ouvriers. Il est évident qu'en dépit d'activités annexes (syndicat
mixte du bâtiment, corporation des tailleuses, conférences populaires, etc.),
l'Œuvre des Cercles n'eut sur le monde ouvrier qu'une influence infime et
imperceptible. Mais c'est d'elle et en son sein que naquit l’Association
Catholique de la Jeunesse Française (A.C.J.F.), en 1886. Il faut un
commencement à tout,
et si nous voulons juger un fait historique, nous devons le faire selon les
critères de son époque, non de la nôtre.
Henri HOURS
Eglise à Lyon, 1997, n°5