musée du diocèse de lyon

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Les Charlottes

 

 

Pendant le premier semestre de 1793, cinq ou six prêtres réfractaires, arrêtés au début de l'année, restèrent détenus au château de Pierre­-Scize jusqu'au milieu du Siège, vers le début de septembre. Durant ce temps, ils furent secourus par la servante de l'un d'eux, Charlotte Dupin, alors âgée de 49 ans, qui trouva là sa vocation de visiteuse des prisons. Le Siège, puis la Terreur, lui imposèrent la prudence, enfin elle se trouva libre de se donner à sa mission, aidée de sa sœur et de quelques amies. A la fin de 1795, tout le monde à Lyon connaissait ces pieuses femmes qui quêtaient en ville, entreposaient leurs récoltes dans un petit local de la rue Vaubecour d'où elles portaient, à deux, de grosses marmites de soupe aux détenus de Saint-Joseph et de la prison militaire des Recluses. Du nom de leur chef, on les appela vite « les Charlottes ».

 

En 1803, elles étaient une cinquantaine, toutes de milieu modeste comme les fondatrices. A ce moment, Charlotte commença de les organiser selon les tâches à accomplir, mais elle mourut le 17 avril 1805. Celle qui lui succéda, Jeanne Julliand, s'occupa aussitôt de rédiger un règlement, dont les éléments étaient prêts. Il put être approuvé dès le 15 juillet par M.Cholleton, vicaire général, et adopté en assemblée générale le 15 août. C'était une société de femmes laïques, unies par la piété et la charité, sous l'autorité directe de l'archevêché. Elles se partageaient en quatre sections : les quêteuses recueillaient argent, vivres, vêtements ; les distributrices stockent vivres et vêtements et faisaient les soupes qu'elles distribuaient en prison ; les peigneuses allaient dans les hôpitaux réconforter les femmes malades et leur donner des soins de propreté (comme le faisaient pour les hommes, depuis 40 ans, les Hospitaliers-Veilleurs) ; enfin les catéchistes s'occupaient des enfants délaissés. L'extension et le partage de leurs activités correspondaient à ce qu'on pouvait observer dans une autre association, fondée en 1788 par l'abbé Linsolas, la « Congrégation des Demoiselles », avec laquelle les Charlottes entretinrent sûrement des relations, peut-être même étroites ; d'autres indices le confirment.

 

Le grand nombre des Charlottes (250 en 1805, qui distribuaient chaque semaine vingt quintaux de vivres) permettait d'assurer par roulement un service régulier et bienfaisant. Au bout de quelques années, entre 1807 et 1814, l'Administration pénitentiaire offrit d'en loger quelques unes sur place. Jeanne Julliand et trois autres prirent donc leurs quartiers, à temps complet, dans la prison Saint-Joseph ; elles y assurèrent l'infirmerie et l'accompagnement moral auprès des femmes, et la tenue d'un petit comptoir de vente. Une petite communauté s'était formée, avec costume (tenue noire « de veuve ») et vie commune, qui devait inévitablement aller à la vie religieuse : par nécessité spirituelle, pour soutenir un apostolat dur, et par besoin d'un surcroît d'autorité morale vis à vis de l'Administration comme des prisonniers. En 1819, la congrégation des religieuses de Saint-Joseph, alors en plein essor, accepta de les recevoir.

 

 


La Société des Charlottes, elle, poursuivait ses activités. Comme avant, mais, maintenant, en symbiose avec les sœurs de Saint-Joseph dont faisaient partie leurs anciennes compagnes. C'est au nom des religieuses que fut acquis en 1823 le nouveau local de la Société (aujourd'hui 27 rue Victor Hugo).

 

L'afflux des vocations pour les prisons posa bientôt à la congrégation de Saint-Joseph de sérieux problèmes. Par la force des choses, elle en venait à se partager en deux sections que tout distinguait l'une de l'autre : apostolat et genre de vie. Chacune même avait son noviciat et ses fondations propres. La création d'une congrégation nouvelle, écartée en 1819, s'imposait maintenant. Ainsi naquirent les religieuses de Marie­-Joseph, sœurs des prisons, fondées en 1841 au Dorat, où les avaient attirées des relations de Mgr de Pins, administrateur de Lyon, mais ancien évêque de Limoges. La plupart des sœurs de Saint-Joseph occupées aux prisons s'y rallièrent.

 

Les Charlottes furent-elles très touchées par cet épisode? Certes, elles perdaient d'excellentes et anciennes amies, mais leur mission continuait. Peu à peu toutefois, on avait moins besoin d'elle dans les prisons ; la dernière qui leur resta fut la prison militaire des Recluses, mais, en 1867, une réorganisation administrative ne leur y laissa plus de place.

 

Elles se concentrèrent sur les hôpitaux, partagées désormais en peigneuses, lectrices et bienfaitrices, gardant une tenue de travail proche de celle des Hospitaliers-Veilleurs. Leur apostolat s'entoura d'une humble discrétion, et bien peu de Lyonnais conservent leur souvenir. Je ne sais quand elles ont disparu, elles existaient encore en 1943.

 

 

Henri HOURS

Eglise à Lyon, 1994, n°9