musée du diocèse de lyon

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Jeanne Chezard de Matel

(1596-1670)

 

 

En proclamant l'héroïcité des vertus - premier pas vers une possible béatification - de Jeanne Chezard de Matel, par son décret du 7 mars dernier, la Congrégation pour la cause des saints rappelle à la mémoire du diocèse le souvenir d'une roannaise illustre.

 

C'est à Roanne, en effet, qu'elle naquit le 6 novembre 1596, dans une famille de notables. Sa jeunesse se déroula pendant la période de reconstruction laborieuse, après trente-cinq années de guerres religieuses et civiles, pendant laquelle la réforme catholique submergea la France sous « l'invasion mystique », suscitant une floraison de vocations dans les congrégations anciennes et nouvelles.

 

Très tôt portée vers les pratiques ascétiques - jeûne volontaire, vœu de virginité -, elle connut une classique crise de mondanité qui se résolut, dans sa vingtième année, par la « conversion » à une vie d'oraison. Sa spiritualité, fondée sur la contemplation et la méditation du mystère de la Trinité et sur l'union aux souffrances du Christ, se distingua par trois traits. Une piété biblique : les citations scripturaires qui émaillent ses propos et ses écrits constituent pour elle le « chiffre » qui explicite la volonté de Dieu. Une piété liturgique : sa prière s'alimente aux textes que propose l'Eglise dans l'office du jour, et prend en eux son point de départ. Une dévotion théologique : la sûreté de sa doctrine correspond à la précision théologique de son vocabulaire, si bien qu'on pourrait croire à de fortes études, en fait inexistantes. 

 

Quant à sa vie de prière, elle consista tout de suite dans l'oraison mentale, régulière et prolongée, au cours de laquelle des « inspirations » ne tardèrent pas à l'éclairer, et elle s'alimenta, sur les conseils du célèbre P. Coton, s.j., dans la communion quotidienne. Elle finit par s'élever de façon ordinaire à des ravissements et états extatiques. En outre, dès l'âge de 23 ans, se fit en elle comme une séparation, grâce à laquelle la contemplation permanente laissait intacte l'attention à la conduite des choses les plus temporelles.

 

C'est en 1625 qu'elle conçut la fondation d'un ordre à la gloire de la Trinité, destiné à répandre l'amour de l'Incarnation du Verbe divin, à prier pour la paix de l'Eglise et du royaume, pour l'extinction de l'hérésie et la réparation des péchés de sorcellerie. La vie commune avec ses premières sœurs débuta à Roanne, le 2 juillet de cette même année. Deux ans plus tard, la voici à Lyon, installant une maison au Gourguillon. La précieuse sympathie du nouvel archevêque, Charles Miron, qui s'installait juste, l'y avait attirée, et elle retrouvait au plus près l'appui des jésuites de la province qui la suivaient et la dirigeaient depuis une dizaine d'années. Tout laissait espérer des débuts aisés à la nouvelle congrégation, qui n'avait pas encore songé à prendre le nom du Verbe Incarné.

 

La mort prématurée de Miron, dès 1628, en décida autrement. Le nouvel archevêque, Alphonse de Richelieu - frère du cardinal-ministre -, n'avait que méfiance envers Jeanne de Matel et dès lors, soit à Lyon, soit à Paris où elle dut faire de longs séjours, elle rencontra une opposition diverse et tenace. De façon générale, les réticences grandissaient alors à l'égard des fondations nouvelles, qui se multipliaient ; on pensait, non sans raisons, qu'il eût peut-être mieux convenu de réformer les congrégations anciennes. Plus mesquins, d'autres craignaient la concurrence. Certains la prenaient pour une exaltée et, dans sa communion quotidienne ou dans ce qu'elle disait de ses relations mystiques, ne voyaient qu'outrance déplaisante. Enfin, le cardinal de Lyon doutait que ses inspirations fussent autre chose que de simples réminiscences de ses lectures ou des conseils de ses directeurs.

 

L'opposition dura une bonne trentaine d'années. Pour en neutraliser les effets, il fallut le soutien indéfectible des jésuites de Lyon, de plusieurs évêques, comme celui de Condom, L'Estrade, et de puissants personnages, comme le chancelier Séguier, figure marquante des milieux dévots de Paris. Les uns firent connaître et soutinrent sa cause à Rome, les autres à la Cour et auprès du pouvoir royal. Si bien que, dès 1632, lui vint l'autorisation pontificale. La première maison fut érigée canoniquement à Avignon, terre papale, en 1639, les suivantes à Grenoble et à Paris, en 1643. Celle de Lyon, qui n'avait qu'une existence de fait, fut autorisée en 1655 par Camille de Neuville, successeur d'Alphonse de Richelieu, et érigée en 1661.

 

Par la suite, les épreuves ne manquèrent pas à la fondatrice, mais c'étaient, si l'on peut dire, les épines ordinaires de la vie religieuse. Pour l'essentiel, les oppositions étaient désarmées, et l'avenir assuré. Elle mourut à Paris, le 11 septembre 1670.

 

En dépit d'une légende tenace, Lyon, jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, s'est toujours signalé par le caractère raisonnable de sa religion. Pas de mystique fausse, ou dévoyée. Quant à la mystique authentique, Jeanne Chezard de Matel fut chez nous la seule à la représenter. Encore ne fut-elle pas lyonnaise, mais roannaise.

 

 

 


Henri HOURS

Eglise à Lyon, 1992, n°11