musée du diocèse de lyon

Entrée

La Compagnie du Saint-Sacrement

 

 

La Réforme catholique s'opéra en France, au XVIIe siècle, avec un équipement institutionnel des plus minces. Tout reposa sur le zèle et l’énergie de fortes personnalités, et sur le soutien et l'action d'associations de laïcs, au premier rang desquelles la célèbre Compagnie du Saint-Sacrement. Fondée à Paris en 1629, dans des milieux proches de la Cour, elle se répandit dans une soixantaine de villes en France. Installée à Lyon dès 1630, elle y prit vigueur à partir de 1645, et y joua un rôle de première importance sous l'épiscopat de Camille de Neuville (1653-1693), qui lui donna toute sa confiance et suivit de près son activité par l'intermédiaire de son demi­-frère et vicaire général, Antoine de Neuville (découverte récemment, une compagnie autonome a existé à Villefranche, au moins entre 1677 et 1686).

 

 


Il ne faut pas confondre la Compagnie avec les confréries du Saint-Sacrement, qui pullulèrent alors. C'était une société secrète organisée en vue d'une action publique. Outre la sanctification de ses membres, le but était l'assistance charitable aux pauvres, la lutte contre l'impiété et l'hérésie, contre l'ignorance religieuse et l'immoralité publique. Elle se composait de prêtres séculiers et, en plus grand nombre, de laïcs : officiers de justice et de finances, gens de loi, marchands, bourgeois, tous en mesure, par leur rang ou leur état, de travailler à l'œuvre commune. Si, en effet, la Compagnie tenait à faire le silence sur elle-­même et si l'obligation du secret sur son existence était inscrite dans les règlements, c'était, entre autres raisons, pour pouvoir agir les mains libres : chacun de ses membres, quand il œuvrait pour la Compagnie, le faisait à découvert, en son propre et privé nom, sans qu'elle eût à paraître. Il fallait donc qu'il fût par lui-même, seul ou avec d'autres, en mesure d'agir.

 

Derrière toutes les grandes réalisations de l'époque, on trouve la Compagnie.

 

Dans l'assistance charitable, à la manière du temps, attentive et rude : création d'un bureau d'assistance judiciaire, d'un bureau de prêts gratuits, d'une maison pour prêtres invalides ; organisation de secours aux prisonniers; participation active à l'administration des hôpitaux.

 

La moralisation autoritaire de la vie publique prenait volontiers un tour policier : surveillance des fêtes, des charivaris, des cabarets ; surveillance des vagabonds et bohémiens, qu'on faisait enfermer quand on le pouvait. On s'en prenait à l'usure, et l'on se demandait comment amener les mauvais marchands à plus d'honnêteté dans leurs prix ou dans le salaire de leurs ouvriers. Une action méthodique fut menée contre la prostitution : ouverture de maisons pour recueillir les filles repenties (« Pénitente ») ou en danger de chute (« Providence », « Bon-Pasteur ». « Filles de Saint-Vincent ») ; aux « Recluses » étaient enfermées d'autorité les récalcitrantes. A Saint-Etienne le curé Guy Collombet, membre de la Compagnie, procura de même la création d'un « Refuge » et d'une « Providence ».

 

Pour éduquer la foi, on développa le culte du Saint-Sacrement, on aida à créer des confréries ; on multiplia prédications, processions, heures d'adoration et autres cérémonies publiques. Toutes les œuvres d'assistance et de moralisation s'accompagnaient d'instructions et de conseils pour réchauffer la vie chrétienne, puisque là était le but final.

 

De cet ensemble, trois œuvres majeures se détachent : la Propagation de la Foi, pour la conversion des protestants, la création du séminaire Saint-Irénée, et celle des Petites Ecoles. La première fut réalisée en propre par la Compagnie ; les deux autres bénéficièrent seulement de son appui efficace. (…)

 

Au début du XVIIIe siècle, le recrutement de la Compagnie se ralentit et son influence faiblit. On perd sa trace après 1731. Longévité exceptionnelle : condamnée par le pouvoir royal la Compagnie de Paris avait disparu dès 1667.

 

A tant de zèle, les résultats semblent avoir répondu de façon inégale : amples et de longue portée, là où la Compagnie ne fit qu'appuyer des initiatives dont elle n'avait pas la maîtrise (séminaire, petites écoles) ; réels, mais plus limités et moins durables, dans ses œuvres propres. Une histoire qui n'a pas fini d'intriguer : impossible de ne pas se demander quelles traces ont pu laisser dans les esprits une assistance, un prosélytisme, autoritaires et parfois policiers, fondés sur une incompréhension évidente de la liberté nécessaire dans l'acte de foi ; mais non moins impossible de méconnaître la foi ardente, l'enthousiasme apostolique, la charité agissante qui ont entretenu à un haut degré de ferveur la vie chrétienne dans les élites sociales, et dont les traces furent également durables. Présomptueux qui se risquerait à dresser un bilan...

 

 

Henri HOURS

Eglise à Lyon, 1995, n°2