Le
Concile de 1245
En
dépit de sa réputation de stabilité, le XIIIe siècle, comme tout le Moyen-Age,
fut traversé de luttes politiques parfois féroces, de discussions théologiques agitées,
de mouvements spirituels aventurés, de révoltes impatientes contre le pouvoir
ecclésiastique. C'est sur cette toile de fond que se détachent les deux
conciles généraux tenus à Lyon.
Le
premier fut provoqué par la menace pressante que l'empereur Frédéric II, maître
du Nord et du Sud de l'Italie, faisait peser sur l'autorité et même la liberté
du pape. Retrouvant les thèses théocratiques récurrentes depuis deux siècles,
Innocent IV résolut d'abattre par les armes spirituelles les prétentions impies
de son adversaire ; mais il lui fallait trouver un lieu de liberté.
Indépendante de tout grand prince, hors d'atteinte de l'empereur, proche d'une
protection éventuelle du roi de France, de surcroît siège de la primatie des
Gaules, la ville de Lyon convenait parfaitement à ses intentions. Après avoir quitté Rome sans bruit, et traversé péniblement
les Alpes, la caravane pontificale arriva par le Rhône le 2 décembre 1244,
chaleureusement accueillie par la population lyonnaise. Le temps de prendre ses
quartiers à l'abri
des murailles du chapitre de Saint-Just, et, dès le 27 décembre, fut publiée la
convocation d'un concile pour le 24 juin en la cathédrale Saint-Jean, afin de
juger solennellement l'empereur scandaleux.
Se
rassembla donc peu à peu
pour la date fixée tout un monde, comme Lyon n'en avait encore jamais vu : une
douzaine de cardinaux, entre cent vingt et cent trente évêques, les patriarches
latins d'Orient, les chefs des ordres mendiants, les princes d'Occident ou leurs représentants et,
naturellement, ceux de Frédéric Il, et même l'empereur latin de Constantinople
en personne, Baudoin II. On imagine l'entassement et la cohue dans la petite
ville, qui devait compter autour de huit mille habitants.
Le
concile fut mené rondement. Une séance préparatoire, tenue dans le cloître de
Saint-Just le 25 juin, permit de préciser l'ordre du jour, puis trois sessions
se déroulèrent, les 28 juin, 5 et 17 juillet, en la cathédrale Saint-Jean.
En
pleine reconstruction, celle-ci était alors un vaste chantier. Etaient achevés
et voûtés le chœur, l'abside, le transept, les chapelles Saint-Pierre et Notre-Dame.
Dans la nef, les deux travées doubles près du chœur étaient en grande partie
édifiées, mais encore dépourvues de voûtes et vraisemblablement munies d'une
couverture provisoire en bois. De nombreuses baies, notamment à l'étage supérieur de l'abside,
attendaient leurs verrières, et étaient fermées de planches. L'équipement liturgique se mettait en
place : le 9 juillet, le pape consacra lui-même l'autel majeur, tout neuf.
C'est dans ce décor incommode que siégèrent les Pères du concile, rangés dans
le chœur face à Innocent IV qui présidait dans
l'abside.
Le
28 juin, le pape exposa ses préoccupations douloureuses devant les cinq plaies
qui affligeaient l'Eglise : les vices internes du monde ecclésiastique et les
besoins de réforme, la détresse de la Terre Sainte et du royaume d'Acre devant
la pression musulmane, l'affaiblissement de l'empire latin de Constantinople,
les menaces tartares sur l'Europe orientale, et surtout les persécutions de
l'empereur Frédéric Il sur le Saint-Siège. La session du 5 juillet fut
consacrée à développer
les accusations contre le prince impie, et, le 17, fut lu le décret de
condamnation par lequel l'empereur était déchu de la dignité impériale.
D'autres décrets furent promulgués, relatifs aux quatre premières plaies, et
surtout à la
réforme de l'Eglise, thème d'actualité permanente.
Le
concile était clos. La vérité oblige à reconnaitre que les résultats concrets en furent minces.
Toutefois, avaient été réaffirmées l'autorité plénière du pape et l'unité de
l'Eglise romaine. Innocent IV attendit la mort de Frédéric II pour regagner
Rome. Il quitta Lyon le 19 avril 1251, après six années d'un séjour fécond :
création d'un « Studium curiae », sorte d'université pontificale
itinérante, envoi
de missionnaires franciscains chez les Tartares et les Mongols, réception de
prélats, de princes (notamment Louis IX en route pour la croisade), envoi et
réception de missionnaires, de légats. Lyon avait été une petite Rome.
Reconnaissant du bon accueil qu'il y avait reçu, Innocent IV avait fait tomber
sur la ville une pluie de faveurs spirituelles et juridiques. Pour les
Lyonnais, le profit matériel était évident, mais aussi un profit moral, une
sorte de dignité, dont ils n'allaient pas tarder à tirer parti dans leur conflit politique avec l'archevêque
seigneur de la ville.
Henri HOURS
Eglise à Lyon, 2000, n°4