musée du diocèse de lyon

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LETTRE PASTORALE

DE

SON EMINENCE LE CARDINAL ARCHEVEQUE DE LYON

Portant publication de l’Encyclique Gravissimo

DE NOTRE SAINT-PERE LE PAPE PIE X

_______

1906

 

 

 

 

 

PIERRE-HECTOR COULLIE, par la grâce de Dieu et l'autorité du Saint-Siège apostolique, cardinal-prêtre de la Sainte Eglise romaine, du titre de la Trinité-des-Monts, archevêque de Lyon et de Vienne, primat des Gaules.

 

 

Au Clergé et aux Fidèles du Diocèse, salut et bénédiction en Notre-Seigneur Jésus-Christ.

 

 

NOS TRES CHERS FRERES,

 

 

La parole de Notre Saint-Père le Pape s'est fait entendre. Nous l'attendions avec une confiance pleine de sérénité ; nous l'avons reçue avec une reconnaissance filiale et nous lui donnons du fond de notre âme une adhésion entière, sans hésitation comme sans réserve, en notre nom, au nom de nos prêtres bien-aimés, au nom de tout le peuple catholique confié à notre ministère pastoral dans notre fidèle diocèse de Lyon.

 

Cette grave Encyclique adressée à tous les évêques de France, après avoir renouvelé la condamnation portée déjà contre la loi injuste qui prétend séparer l'Etat de l'Eglise, nous dit comment, en pratique, nous devons nous conduire à l'égard de cette loi. Et toutes ses dispositions se réduisent à déclarer en un mot qu'il n'est point permis de former des associations cultuelles telles que les édicte la loi nouvelle, dans le but de gérer les biens de l'Eglise et de pourvoir à l'exercice du culte dans nos paroisses.

 

C'est qu'en effet la constitution divine de la Sainte Eglise se trouverait entièrement faussée et détruite par l'organisation que lui voudraient faire adopter nos législateurs ignorants ou hostiles.

 

II est de l'essence même de la Sainte Eglise de Dieu que le pouvoir y soit entre les mains de la Hiérarchie : le Souverain Pontife au sommet ; l'évêque chef du diocèse ; le curé à la tête de la paroisse. Rien ne peut se faire de légitime dans l'Eglise si ce n'est suivant ce plan divinement tracé, et toute entreprise qui tendrait à mettre le pouvoir entre les mains des fidèles rassemblés et à l'arracher aux pasteurs, serait une entreprise schismatique et par là-même opposée fondamentalemt à l'ordre établi par le Christ, fondateur de l'Eglise.

 

C'est pourquoi, lorsqu'au début de la Révolution française, il y a un peu plus d'un siècle, les pouvoirs publics voulurent imposer à l'Eglise la Constitution civile du clergé, le pape Pie VI porta contre cet acte une condamnation à laquelle tout le clergé de France, au prix de souffrances longues et douloureuses, fit un écho presque unanime.

 

Aujourd'hui, la situation est semblable et, nous en avons l'assurance, à cette condamnation émanée du Siège de Pierre, répondra une adhésion unanime des catholiques fidèles.

 

Quelques esprits cependant, animés des meilleures intentions et désireux de soustraire la religion aux maux qui la menacent, avaient imaginé que, du moins, il pourrait être permis d'organiser des associations qui répondraient en apparence aux exigences de la loi nouvelle, tout en faisant hautement profession, dans des statuts canoniquement rédigés, d'être soumises à la hiérarchie catholique.

 

C'était là une illusion, et l'Encyclique la signale et la dissipe aisément. En effet, ne voit-on pas qu'il y a opposition essentielle entre les articles de la loi qui régissent les associations, et les règles canoniques auxquelles les statuts de ces mêmes associations devraient faire profession de se soumettre ?

 

Sans doute, dans un article 4, la loi demande d'une façon assez vague aux associations de «  se conformer aux règles d'organisation générale du culte », mais, bientôt après, par d'autres articles très précis (1), elle les met dans l'impossibilité absolue de se conformer à l'organisation du culte catholique, puisqu'elle décrète que tout pouvoir y sera toujours à la majorité des membres, sans aucun égard aux décisions du curé et de l'évêque.

 

Impossible donc que ces associations soient en même temps «  canoniques et légales » : si elles sont canoniques, elles seront contre la loi ; si elles se conforment à la loi, elles seront en opposition aux règles fondamentales des Saints Canons, à la constitution même de l'Eglise.

 

Certes, ces « associations cultuelles », comme d'ailleurs toute l'économie de la loi, méritent bien d'autres reproches ! Le vague plane à dessein sur leur mode de formation, sur l'étendue de leur compétence et de leur pouvoir ; spoliations odieuses, tracasseries et défiances, charges énormes et impossibles à soutenir, pièges tendus à tous les pas, pénalités sans proportion avec les prétendus délits : ce sont là des vices qui devraient bien suffire à expliquer la réprobation de l'Eglise. Mais, il y a plus, car, par sa nature même, telle qu’elle est constituée par la loi, l’association cultuelle, il faut le redire, est en opposition directe avec la constitution même du culte, en sorte qu’il y a contradiction manifeste entre les divers articles de cette même loi.

 

On a dit à tort que Pie X condamne les associations édictées par la loi française, alors que Pie IX avait, pour une nation voisine, toléré un système d'associations semblables.

 

Notre devoir, Nos Très Chers Frères, est de repousser cette allégation et l'encyclique de notre bien-aimé Pontife Pie X nous le demande (2).

 

Non, quand Rome répondit aux évêques d'Allemagne qu'on pouvait «  tolérer, pour éviter de plus grands maux », la formation des « Comités d'Eglise » tels que les édictait la loi du 20 juin 1875, il n'était pas question de mettre entièrement de côté l'autorité de la hiérarchie. Bien au contraire, ces associations étaient soumises au contrôle et à la tutelle des curés et des évêques. Et malgré qu'il s'agît, là aussi, d'une loi de persécution et de haine, la vie de la sainte Eglise n'y était point étouffée radicalement et dans sa source, ainsi qu'il se trouve dans les dispositions de notre législation nouvelle.

 

C'est donc en accomplissant un devoir strict de sa haute charge pontificale et, — on le sent bien à écouter l'accent de sa parole émue, — c’est avec un amer regret de ne pouvoir épargner à l'Eglise de France les épreuves qui la menacent, que le Souverain Pontife, Notre Père bien-aimé, prononce, d'une voix ferme mais toute pleine d'une immense douleur son vaillant non possumus.

 

Il y a des hommes politiques qui se sont aussitôt demandé quel dessein caché et quelle espérance avait bien pu décider le Souverain Pontife à prendre cette attitude. On a parlé de l'illusion qu'il nourrirait d’amener par sa fermeté nos hommes d'Etat à des négociations nouvelles. Les esprits les plus sincères mais qui sont entièrement étrangers aux vues de la foi et à la notion austère et fortifiante du devoir à tout prix, cherchent des mobiles humains et ils s'égarent à imaginer des calculs et des combinaisons secrètes.

 

Le Vicaire du Fils de Dieu Rédempteur n'a pas d'autre politique que celle de son Maître. Devant son crucifix il médite et il prie. Et puis, s'il ne s'agit que de subir des injustices et de monter au Calvaire, il souffre sans se plaindre et montre bien, par un esprit de conciliation qui va jusqu’à l'extrême limite, qu'il ne veut point briser tout à fait le roseau demi rompu. Mais s'il y va du dépôt sacré qui lui a été confié, s'il voit en cause la constitution même de la Sainte Eglise ou les intérêts primordiaux et essentiels de son ministère sacré, alors, il se dresse avec énergie, et il y mettrait sa tête s'il le fallait.

 

Quand les Apôtres étaient requis par les tribunaux de leur nation et par les pouvoirs établis de ne plus prêcher la doctrine de leur Maître, ils répondaient avec une fermeté héroïque : « Nous ne le pouvons point ! » Non possumus ! Ils savaient cependant que c'était pour eux et pour leurs disciples la prison et la mort ; ils savaient que c’était la désorganisation et la dispersion de ces premières pierres de l’édifice à peine esquissé de la sainte Eglise, qu’ils étaient chargés de fonder, de cimenter solidement pour les siècles. Mais rien ne pouvait les décider à entrer dans les combinaisons de la prudence humaine quand leur conscience de pasteurs était en jeu et ils répétaient avec une logique sans réplique leur Non possumus ; « Jugez vous-mêmes s'il ne vaut pas mieux obéir à Dieu qu'aux hommes ».

 

A son tour, Pie X, le successeur de Pierre, le cœur navré des maux qu'il prévoit, mais le regard fixé sur son Maitre crucifié s'écrie : « Décider autrement, ce serait abandonner la religion du devoir ; ce serait porter de nos mains le coup de la mort à l'Eglise de France : Nous ne le pouvons pas ». Contrarium velle Nos, nisi religionem officii deserendo, atque interitum Ecclesiae Gallicae conficiendo, non possumus !

 

Recevons donc, Nos bien chers Frères, ces décisions avec notre foi, avec notre filial amour pour notre Père bien-aimé dont le cœur saigne, tandis que sa main nous montre la voie du sacrifice. Il sera avec nous toujours selon sa promesse : sa pensée, son cœur, ses conseils, son autorité seront notre appui.

 

C'est donc de toute notre âme que nous irons au-devant de cet avenir de persécution et d'épreuve, car suivant la recommandation de Pie X, nous nous en reposerons « sur la bonté de la divine Providence, ayant cette absolue certitude qu'en son temps, son secours ne saurait manquer à la France. »

 

 

A ces causes, Nous avons décidé ce qui suit :

 

ARTICLE PREMIER.

 

L'Encyclique Gravissimo de Notre Saint Père le Pape donnant les directions pratiques à l'Eglise de France est et demeure publiée dans le diocèse.

 

ARTICLE II.

Cette même Encyclique et notre lettre pastorale seront lues en chaire dans toutes les églises paroissiales et communautés.

 

 

Donné à Lyon, le 18e jour du mois d'août 1906.

 

 

† PIERRE, cardinal COULLIÉ,

Archevêque de Lyon et de Vienne,

Primat des Gaules.

 

 

Par mandement de Son Eminence

P. PAGNON,

       chanoine chancelier

 

 

 

(1)   Voir art.8, parag.3e ; art.18 et 19, spécialement au paragraphe 6e et l’ensemble du titre IV.

(2)   Nominatim vero quod ad illud attinet, faciliorem se alibi Ecclesiam impertivisse in causa simili, monstretis opportet, hoc eam fecisse, quum diversa prorsus verterentur momenta rerum, quumque praesertim divinis Hierarchiae rationibus aliquo saltem modo consultum esset. (Encycl. Gravissimo.)