Jacques
Crétenet,
laïc
"dévot" au grand siècle
« L'invasion
mystique », qui déferla sur la France dans la première moitié du XVIIe
siècle, n'évita pas les laïcs. A Paris, en Normandie, en Provence, on en connaît, pas très nombreux,
mais qui surent mettre au service de leur foi et de leurs œuvres les ressources
de leur générosité et de leur situation sociale. Le principal représentant de
ce courant à Lyon
n'eut guère à offrir
que la première. Né en 1603 à Champlitte
(Haute-Saône) dans une famille paysanne très modeste, Jacques Crétenet entra,
vers quinze ans, comme apprenti chez un chirurgien-barbier, et devint compagnon
quatre ans plus tard. Les chirurgiens-barbiers étaient alors de petits
personnages faisant la barbe, la saignée et quelques opérations, auxquelles les
médecins ne daignaient mettre la main. Si les maîtres étaient ainsi considérés,
à plus forte raison les compagnons. En 1628, Crétenet vint tenter sa chance
à Lyon. Il arrivait juste à point pour soutenir le choc de la
terrible épidémie de peste qui allait coucher dans la tombe la moitié de la
ville. Ce fut une fuite éperdue de tout ce qui pouvait fuir, seuls restèrent
ceux qui ne le purent, plus les héros et les saints. Crétenet fut de ces
derniers : avec quelques maîtres et compagnons, il se dévoua aux pestiférés, les aidant à mourir chrétiennement. En
reconnaissance, et
pour reconstituer le corps des chirurgiens, le consulat de Lyon décida
d'octroyer gratuitement des lettres de maîtrise aux compagnons qui avaient
ainsi fait leur preuve ; ils étaient dix-huit. L'opposition corporatiste des
maîtres en place fit remonter l'affaire au Grand Conseil du Roi, qui confirma
la décision des édiles lyonnais et en ordonna l'exécution, en 1630. Crétenet se
retrouvait maître chirurgien. Entre temps, il s'était marié - quatre enfants
devaient naître -, s'était installé dans le quartier Saint-Georges et avait commencé une vie professionnelle
normale.
Mais
cela ne lui suffisait pas. En quête de vie intérieure,
il rencontra, en 1634, Mère Madeleine de Saint-François, supérieure du
monastère de Sainte-Elisabeth de Bellecour, dont le rayonnement spirituel
était grand, et se mit à son
école. Elle lui enseigna la méthode d'oraison mentale abrégée de saint Ignace,
lui donna une règle de vie austère et stricte, et lui fit connaître des livres de théologie mystique qui pouvaient le
guider. La direction de conscience exercée par des femmes, et de plus, sur des
hommes, paraissait
alors moins étrange qu'elle ne le serait aujourd'hui, et le cas de Mère
Madeleine ne fut pas unique en France.
Jacques
Crétenet devenait un « dévot », comme on disait, édifiant les âmes de
bonne foi
par une extraordinaire humilité et par une obéissance saris discussion aux
autorités de l'Eglise. Des disciples lui vinrent, formant un petit groupe qui, en 1642, éprouva le besoin de se donner une
cohésion. Dom
Arnaud, prieur
des Feuillants, leur conseilla de se choisir un directeur ; sans surprise, ce fut Crétenet. Peu à peu, il transformait sa maison en une
sorte de séminaire où les disciples, jeunes et non mariés, venaient prier, se
former. Avec le temps, certains devinrent prêtres : Crétenet les envoya évangéliser les
pauvres, dans des missions rurales ; certains allèrent en Bresse, d'autres jusque dans le Velay. La maison du chirurgien servait de base
où l'on venait se refaire entre deux expéditions. Ainsi prenait corps une association de
prêtres missionnaires, sans statut, dirigée par un laïc.
Les
critiques vinrent, à la
fois des milieux ecclésiastiques et des libertins, utilisant la calomnie, et
aussi la caricature d'un zèle jugé excessif et qui, il est vrai, devait parfois
manquer de mesure. Sa
boutique fut même saccagée. On a beaucoup dit que Molière, qui séjourna quelque
temps à Lyon,
le prit pour modèle de son Tartuffe. Rien ne permet de l'affirmer ; certes,
Crétenet fut soutenu, à Paris et à Lyon, par les milieux proches de la Compagnie du Saint-Sacrement,
mais il ne lui appartint pas.
Il
fut surtout protégé par les archevêques Alphonse de Richelieu, et plus encore Camille de Neuville qui,
en 1661, constitua
les missionnaires, parvenus
au nombre de quarante, en
congrégation diocésaine pour les « prédications, catéchismes et missions ».
Aboutissement logique d'une longue histoire. Logique, également, fut le
remplacement du directeur laïc par un supérieur ecclésiastique. Cela se fit
sans douceur, et Crétenet en souffrit, d'autant plus qu'il voyait sa fondation s'écarter de sa
ligne spirituelle de pauvreté, humilité et piété mariale. Sa femme morte, en 1665, il fut
ordonné prêtre en 1666, mais mourut presque aussitôt, à Montluel. Son corps fut ramené dans la
chapelle Sainte-Elisabeth, aux Colinettes.
Henri HOURS
Eglise à Lyon, 2002, n°1