Mademoiselle
Dissard
1825-1909
Cette femme forte fut à Lyon
une pionnière de l'enseignement féminin. Ayant très tôt perdu son père,
officier supérieur, Joséphine Dissard se destina tout de suite à l'enseignement, comme beaucoup
de jeunes filles de la bourgeoisie sans fortune. Mais elle s'assura une
formation intellectuelle et professionnelle peu commune, d'abord au Sacré Cœur
d'Amiens, puis chez les sœurs Saint-Charles de Brignais ; elle suivit enfin
des cours à la
Faculté des Lettres de Lyon et en Sorbonne, de façon à obtenir
des diplômes délivrés par la Ville de Paris.
Elle ouvrit en 1853 le premier
externat pour jeunes filles de Lyon, qui obtint en quelques années un bon
succès, dû à la
valeur de l'éducation qu'y recevaient les enfants. La pensée de Mademoiselle
Dissard était de former des femmes de la bourgeoisie capables, non seulement de
tenir dans la société la place correspondant au rang de la famille, mais
d'élever leurs enfants dans la foi chrétienne, et dans l'attention portée à la
marche des choses et aux besoins du monde. Elle se rangeait donc parmi tous
ceux, nombreux au XIXème siècle, de Monseigneur Dupanloup à Camille
Sée, qui travaillèrent à relever
le niveau, alors bien médiocre, de l'enseignement féminin.
Sa pédagogie s'organisa en
conséquence. Elle s'attachait à développer la curiosité de l'esprit, l'ouvrant non seulement à la
littérature classique, mais aussi aux sciences naturelles, aux inventions
techniques, à l'histoire
et notamment à l'histoire
de Lyon, incitant même les enfants à s'intéresser aux métiers de
leurs pères. Quand une question était étudiée, elle devait l'être bien ;
l'exercice de la mémoire allait de pair avec les conversations qui tendaient à vérifier
que tout était compris, à faire
surgir de l'élève les idées encore informulées, à s'assurer que toute
connaissance nouvelle prenait place dans l'ensemble déjà acquis. On songe à l'abbé
Noirot. Comme le père Captier au collège d'Oullins à la même époque, elle chercha
toujours à associer le plus étroitement les mères de famille à son
enseignement, et constitua avec elles et ses anciennes élèves un cercle
informel de réflexion et de culture ; c'est dans cet esprit qu'elle refusa
toujours de fonder un internat. Toute sa vie, Mademoiselle Dissard se tint au
courant, par des lectures et par des voyages, des travaux théoriques et des
progrès pratiques réalisés dans le domaine de la pédagogie, en particulier en
Allemagne. N'ayant pas réussi en 1877, à cause d'oppositions sur lesquelles
nous sommes mal informés, à créer une école normale libre, elle réunit autour
d'elle un groupe d'études pédagogiques qui lui resta fidèle jusqu'à sa mort.
Elle tenait un salon, où se
retrouvaient de ses anciennes élèves, et des hommes de haute culture. Là
s'agitèrent des projets, dont certains se réalisèrent. En février 1872, elle
ouvrit une école du dimanche pour femmes du peuple, dont l'administration et
l'enseignement furent assurés par plusieurs de ses anciennes élèves, dames de
la bourgeoisie lyonnaise qui, à cette intention, passèrent les examens utiles :
brevet et même, pour quelques unes, certificat d'aptitude pédagogique.
Exercices de lecture, comptabilité, rédaction, alternaient avec des lectures
(évangile, histoire, poésie) suivies de conversations. En fin d'année, des
examens sanctionnaient les travaux. Sur cette lancée, en mai 1872, Mademoiselle
Dissard suscita la création, qui eut lieu dans son salon, du Comité lyonnais
des Cercles catholiques d'ouvriers ; ce fut l'œuvre de la Congrégation. En
toutes ses entreprises, elle fut constamment soutenue par l'abbé François
Guinand, professeur d'hébreu à la Faculté de théologie d'Etat, à qui, dès 1860,
elle avait demandé un cours de philosophie et de culture religieuses, grande
nouveauté à Lyon.
Des historiens ont parfois
voulu annexer Mademoiselle Dissard au camp libéral. S'il est exact que l'esprit
de sa pédagogie inclinait de ce côté (confiance dans la raison, dans le libre exercice
de l'intelligence et de la volonté, dans le progrès scientifique et technique),
s'il est exact que son patriotisme ardent, surmontant ses préférences
légitimistes intimes, l'ouvrit aussi bien aux républicains modérés et aux
bonapartistes, il n'en reste pas moins que, comme le montrent ses liens étroits
avec des membres influents de la Congrégation, elle conserva toute son
indépendance et ne se laissa jamais cataloguer sous aucune étiquette. Sa mort,
survenue le 15 avril 1909, fut unanimement saluée dans Lyon avec émotion, aussi
bien par le Nouvelliste que par le Salut public.
Henri HOURS
Eglise à Lyon, 1998, n°15