musée du diocèse de lyon

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Lettre-Circulaire de S. E. le Cardinal Archevêque de Lyon

à Messieurs les Curés du diocèse

sur l'Emigration

1912

 

 

 

 

 

BIEN CHERS MESSIEURS,

 

 

 

Rien de ce qui peut intéresser le salut des âmes n'échappe à la sollicitude vigilante du Souverain Pontife. En voyant se multiplier les rapports des nations entre elles, par suite de la facilité des communications ; en remarquant les changements fréquents de résidence et les mouvements de populations qui se produisent dans l'intérieur même de chaque nation, Sa Sainteté s'est émue des dangers courus par les âmes, dans cette double émigration, extérieure et intérieure, et le Pape n'a pas hésité à communiquer ses inquiétudes aux évêques, et à leur demander de chercher les moyens de conjurer ce péril.

 

Sans doute, le premier moyen, et le plus efficace, serait de ranimer dans les âmes l'amour du foyer paternel, l'intelligence des biens réels que procure la vie de famille, loin de l'agitation des villes. Quelle erreur, en effet, pour nos habitants des campagnes, de chercher dans les principaux centres le bien-être qu'il est si difficile d'y rencontrer ! Les séductions sont bien grandes, et quelques rares succès séduisent la multitude, mais, en réalité, rien ne remplace l'heureuse simplicité conservée dans la petite patrie qui s'appelle la paroisse. L'âme et le corps y trouvent, avec la richesse de la santé, les meurs honnêtes qui soutiennent la vertu, préparent les familles nombreuses et attirent les bénédictions du Ciel.

 

Notre premier effort devra donc être de retenir, autant que possible, au foyer familial, les jeunes gens et les jeunes filles qui témoigneraient la pensée d'aller se fixer dans quelque grande ville.

 

Cependant, nous sommes bien obligés de reconnaître que de vraies raisons peuvent inspirer et nécessiter l'émigration : c'est alors qu'à l'exemple du Pasteur Suprême tout pasteur de paroisse doit veiller au salut des âmes qui lui ont été confiées, et les suivre jusque dans le lieu où la Providence pourra les conduire.

 

Pour ce qui regarde les émigrations à l'étranger, le Souverain Pontife, le premier, a donné l'exemple : c'est ainsi que, grâce à sa bonté, nous avons dans le diocèse de Lyon des prêtres italiens, chargés de s'occuper très spécialement des intérêts spirituels de leurs nationaux. Le même secours est accordé aux Espagnols ; les Allemands ont aussi des aumôniers qui se dévouent à leur salut.

 

Imitant cet exemple, en ce qui concerne l'émigration ad intra, nous avons accueilli, à Saint-Etienne, un prêtre spécialement chargé par Monseigneur l'évêque du Puy, de dépenser son dévouement au service des habitants de la Haute-Loire, établis en grand nombre dans la Loire. Et pour répondre aux désirs du Pape, les évêques de France vont mettre à l'étude cette importante question, et combiner leurs efforts pour faire de l'Œuvre des émigrants une œuvre interdiocésaine efficace et pratique.

 

Et attendant, chers Messieurs, ne nous serait-il pas possible de commencer, dans le diocèse de Lyon, la réalisation de ce projet qui intéresse souvent des familles entières, mais plus souvent encore les enfants, jeunes gens, jeunes filles ?

 

Observons les faits qui se présentent chaque jour à nos yeux.

 

Une famille vient avertir son curé qu'elle est obligée de quitter la paroisse et d'aller habiter dans une autre localité ou dans la grande ville. M. le curé, prévenu, fait connaître cet exode au curé de la paroisse qui doit recevoir les voyageurs et donne, en même temps, une lettre à ses paroissiens émigrants, pour le curé de la nouvelle résidence. Arriver à mettre cette famille en rapport avec un nouveau clergé, c'est la sauver de l'exil spirituel dans lequel elle tombera fatalement sans cette précaution. Que de fois nous avons constaté nous-mêmes, surtout dans les villes, la difficulté qu'éprouvent des familles, même religieuses, à retrouver l'accueil d'un prêtre, et par ce fait, la facilité de l'accomplissement des devoirs religieux, si une occasion providentielle ne vient au secours de leur timidité ou de leur négligence ! Les lettres écrites par le curé des partants facilitent tout à la fois une visite des nouveaux venus à leur paroisse d'accueil, ou une démarche du clergé de cette même paroisse auprès d'eux.

 

Mais combien ces précautions ne sont-elles pas plus nécessaires, lorsqu'il s'agit d'enfants, de jeunes gens ou de jeunes filles obligés de quitter le loyer familial et de se placer en service, soit à la campagne, soit en ville, ou de chercher du travail dans les ateliers ? C'est surtout sur cette catégorie d'émigrés que nous appelons votre sollicitude la plus paternelle.

 

Pour la protection des enfants loués dans les fermes, nous avons vu avec bonheur naître et se développer, dans notre Forez, l'Œuvre si excellente des petits bergers et des domestiques agricoles. Messieurs les curés se feront un devoir de connaître les statuts de cette institution, et de diriger vers elle leurs petits paroissiens, le cas échéant.

 

Dans les villes, il y a les patronages pour les jeunes gens et les œuvres de préservation, ouvroirs, etc., pour les jeunes filles. C'est aux directeurs de ces œuvres que Messieurs les curés adresseront leurs jeunes partants, et cela avec d'autant plus de soin que des organisations analogues, non catholiques, exercent un prosélytisme actif auprès de ces nouveaux arrivants, cherchant à les attirer et à les retenir par mille avantages matériels.

 

Tout cela, sans doute, demande du dévouement et une sollicitude vraiment pastorale : mais nos prêtres, que nous savons si pénétrés de l'amour des âmes, hésiteraient-ils un instant à donner à Notre-Seigneur ce témoignage de dévouement qui sera pour son Cœur sacré la plus douce des consolations ?

 

Le Bon Pasteur connaît ses brebis, il veille sur elles avec un soin jaloux, et ne les perd jamais de vue ; la fidélité des moindres agneaux de son troupeau doit être sa plus chère récompense, en attendant que le Divin Pasteur Lui-même réunisse dans son bercail éternel brebis et bergers, qu'il a rachetés de Son Sang.

 

Nous vous renouvelons, bien chers Messieurs, l'expression de notre respectueuse et paternelle affection.

 

Lyon, le 8 mai 1912,

en la fête de l'Apparition de l'Archange saint Michel.

 

† PIERRE. Card. COULLIE,

Arch. de Lyon et de Vienne.

 

 

Cette lettre sera lue en réunion curiale dans toutes les paroisses où il y a des vicaires. — Messieurs les cures pourront la faire connaître à leurs paroissiens, en tout ou en partie.

 

Nous accueillerons avec reconnaissance les observations pratiques que cette lecture pourra suggérer.

 

 

 

SOURCE : Semaine religieuse du diocèse de Lyon, 1912, pp.649-651