Saint
Vincent Ferrier à Lyon
Saint
Vincent Ferrier, né à Valence en
Espagne vers 1350, puis entré chez les Frères Prêcheurs, fut un célèbre
prédicateur : Provence, Dauphiné, Savoie, Lombardie, entre autres, entendirent ses
appels à la conversion ; il
mourut à Vannes, en Bretagne, en 1419. Sans parler de passages rapides qui
n'ont pas laissé de trace, il fit à Lyon quatre séjours, en 1404, 1408, 1415 et
1417, dont le premier et le dernier furent les plus importants.
En 1404,
appelé par le lecteur du chapitre primatial, il resta seize jours, à partir du
6 septembre. Ses déplacements ne pouvaient passer inaperçus : une troupe
d'hommes et de femmes l'accompagnait, brandissant des bannières, sous la
conduite d'un « regidour », dont le nom languedocien semble indiquer
d'où venait la plupart.
A
son arrivée, il célébra la
messe à Notre-Dame de Confort, église de son ordre (place des Jacobins), puis,
tout de suite, prêcha dans « le cloître de Saint Jean » :
vraisemblablement sur la place devant la
primatiale. Les jours suivants, l'affluence fit chercher ailleurs un terrain
plus vaste ; on le trouva à la Guillotière, dans le pré
dépendant de la chapelle de la Madeleine, près du château de la Motte. Une
chapelle provisoire en bois y fut érigée, sûrement très rustique, mais quand
même décorée d'un grand tissu bleu, et, le 9 septembre, la messe put y être
dite, en présence de l'archevêque en personne. Jusqu'au 22 septembre il prêcha
là, mais aussi dans les couvents de
Lyon, et même une fois à Saint-Jean pour les clercs. Le dernier jour, il poussa une pointe jusqu'à
Saint-Symphorien d'Ozon.
Le
règlement des frais, que le consulat prit à sa charge, ne donne qu'une faible
lueur sur les conditions du séjour : les dominicains de Confort reçurent seize
livres pour l'hébergement de la troupe, et le recteur de la Madeleine dix, en
réparation des dégâts causés par la foule à sa grange (ou bâtiments
d'exploitation) et à son
pré.
Mais,
tous comptes faits, le souvenir laissé n'était sans doute pas mauvais puisque,
treize ans plus tard, ce fut le consulat lui-même qui invita Vincent pour une seconde mission de seize jours. Elle se
fit au mois de mars 1417, dans le pré d'Ainay où, comme la première fois, on
construisit une chapelle provisoire pour célébrer la messe avant les prêches,
et un « échafaud » (ou estrade) en bois : la pratique, semble-t-il, allait de soi. Sur ce deuxième
séjour, nous
sommes encore moins renseignés que sur le premier, nous savons pourtant que la
ville, qui en
avait pris l'initiative, régla naturellement les dépenses : huit écus à Vincent et à sa suite la plus proche,
seize au « regidour », vingt sous pour les cierges et les torches, et
en plus les frais du charpentier.
Les
prédications de Vincent Ferrier étaient classiques dans leur contenu : le
péché, l'enfer, la nécessité de changer de vie. Elles s'accompagnaient de
longues séances de confession, de palabres pour réconcilier les personnes
brouillées entre elles, de visites aux malades pour les confesser et les
administrer. Vincent fut l'un des pionniers qui fixèrent, pour des siècles, le
modèle des missions populaires sur ce rythme harassant. Le souvenir n'en est pas encore tout à fait perdu.
Depuis
longtemps disparus, en revanche, sont les cortèges de
« disciplinants » ou « flagellants » qui, en fin de journée, sortaient des églises une fois la confession finie et
processionnaient, hommes et femmes séparés, le visage couvert, se frappant les
épaules et le dos, suivis de Vincent et de sa troupe. Il avait institué cette
pratique en son pays et la répandait là où il prêchait : témoignage du
bouleversement profond où plongea la chrétienté, secouée, entre 1350 et 1450,
par la peste noire, les
guerres, le
« Grand Schisme » et la gestation d'une Europe nouvelle. Les traces
dans l'art de ce temps en sont classiquement connues.
Nous
retrouvons ce trouble à Lyon,
sans surprise mais avec intérêt, tant les informations y sont rares sur le
sentiment religieux des populations. D'ailleurs, les questions restées sans réponse abondent. Par
exemple, en quelle langue prêchait Vincent Ferrier ? Avait-il des interprètes
pour traduire au fur et à mesure
ses paroles dans le franco-provençal parlé à Lyon ? Mais alors, comment une telle
prédication pouvait-elle enflammer les foules? Surtout si l'on se souvient
qu'avant l'invention de la sonorisation électrique, les discours et sermons en
plein air ne pouvaient être entendus que des premiers rangs... L'histoire, pour nous, est souvent
faite de points d'ignorance.
Henri HOURS
Eglise à Lyon, 2001, n°5