Œuvre
des Forains
1896
Rapport
sur l’Œuvre des Catéchistes auxiliaires
(rapport
lu le 9 décembre à la réunion générale de l’Œuvre, par M.Marnas, directeur).
L’un
des buts principaux de la Semaine religieuse
étant de faire connaître les œuvres et
de leur être utile, nous sommes heureux de reproduire le rapport suivant. Avec
les détails précis sur l’œuvre des Dames
catéchistes de Lyon, il donne une notice typique sur les écoles foraines.
…………….
Il
nous reste à dire un mot de l’Œuvre des
forains, qui nous a été confiée en 1895. Ce n'est pas précisément une œuvre
facile. Jusque-là, nos Dames ne se sont guère occupées que des enfants, et Dieu
sait au prix de quels embarras. Outre qu'il faut aller chercher ces enfants
dans leurs baraques, leur trouver un local, leur enseigner non seulement le
catéchisme (ce qui est insuffisant aux yeux de la plupart des parents), mais la
lecture, l'écriture, le calcul, etc., leur faire
la classe, comme ils disent, enfin de leur en imposer et de les tenir en
respect, ce qui n'est pas donné à tout le monde. Il faut encore les suivre dans
leurs diverses stations, et à chaque station différente leur trouver de
nouvelles catéchistes. Ces dernières, cela va sans dire, doivent être renseignées
sur les enfants et sur les parents, par celles qui s'en sont occupées en
dernier lieu. De plus, à chaque changement de quartier, quelques-uns des
enfants disparaissent et de nouveaux les remplacent.
Ce
qui augmente encore les difficultés de l'œuvre, c'est que l'apparition de cette
population nomade dans notre ville coïncide avec le commencement de la belle
saison, et sa disparition avec l'automne. C'est juste le moment où la plupart
de nos dames catéchistes sont à la campagne.
Afin
d'aviser aux moyens à prendre, nous avons eu, le 22 mai, une réunion à laquelle
ont bien voulu prendre part M. l'abbé Vignon, qui, en 1895, avait eu à envoyer
pour la première fois nos dames catéchistes auprès des forains, et M. l'abbé
Pélissier, qui, à Saint-Augustin, s'occupe avec un très grand zèle de cette
œuvre. Nous avons pris en commun certaines résolutions. Plusieurs de nos dames
se sont fait inscrire séance tenante, les unes pour visiter les forains, les
autres pour les catéchiser, d'autres enfin pour les conduire à la messe le
dimanche. Si je compare la peine qu'elles se sont donnée aux résultats en
apparence obtenus, je suis loin d'arriver à une proportion satisfaisante. Mais
Notre-Seigneur récompensera tôt ou tard ces dames de leur dévouement. Nous
avons pu suivre d'ailleurs pendant tout l'été nos jeunes forains dans leurs
diverses pérégrinations, ou, pour mieux dire, dans leurs principales stations,
pendant le mois de juin à la Croix-Rousse, puis, du 7 au 16 juillet à Perrache,
du 16 juillet au 5 août à Vaise, du 5 au 27 août de nouveau à Perrache, du 27
août au 15 septembre à la Guillotière, du 16 au 3o septembre aux Brotteaux, et
enfin à partir du 30 septembre à la Croix-Rousse.
MM.
les curés de Saint-Augustin, de Sainte-Croix, de Saint-Pierre de Vaise, de Saint-Louis
et de Saint-Pothin nous ont trouvé un local, et dans chacune de ces paroisses
nos catéchistes ont pu trouver quelques auxiliaires qui leur ont été de la plus
grande utilité. Plusieurs de MM. les vicaires ont bien voulu également
s'intéresser à ces enfants, les voir et les catéchiser un peu. Ces dames n'ont
eu en tout des rapports qu'avec 25 enfants. La moyenne de ceux qui ont assisté
chaque jour à leur réunion a été de 8 ou 10. Un seul de ses enfants a été
préparé à sa première communion. Il l'a faite le 1er août. Il n'a
pas encore été confirmé ; mais si, comme la chose avait été convenue, il
entre à la fin de ce mois en qualité d'apprenti chez M. l'abbé Boisard, il
n'est pas douteux qu'il reçoive ce sacrement, et en outre, il aura le bonheur
d'être formé à une vie laborieuse et chrétienne. Nos catéchistes ont constaté
que ces enfants qui, au premier abord, leur avaient paru si terribles, étaient
devenus sur la fin beaucoup plus dociles. Le plus turbulent de tous était
presque devenu un enfant modèle. Plusieurs fois, il m'a fait prier d'aller le
confesser. Un jour même il parlait de vouloir être prêtre.
Auprès
des parents, ces dames ont fait peu de choses. Quoiqu'il y ait sans doute parmi
ces forains des gens honnêtes, les dispositions de plusieurs au point de vue
religieux nous ont paru suspectes. Ce n'est pas une raison pour se croiser les
bras, mais c'en est une pour être prudent. Nous n'oublierons pas que ces hommes
sont nos frères, qu'ils ont comme nous des âmes à sauver, des âmes immortelles,
créées à la ressemblance de Dieu et rachetées par le sang de Jésus-Christ. Nous
devrons donc à l'avenir nous efforcer de faire pour eux davantage.
Mme
la présidente de l’Œuvre des catéchistes étant cet été à Paris a eu l'heureuse
inspiration d'aller visiter Mlle Bonnefoi, la fondatrice des écoles foraines,
sur laquelle un article assez intéressant venait d'être publié dans le Correspondant.
Mlle
Bonnefoi, qui par sa naissance appartient à notre diocèse (elle est de
Dardilly), serait bien aise, parait-il, de venir organiser son œuvre à Lyon,
comme elle l'a organisée à Paris, à Rouen et ailleurs. Voici les renseignements
qu'elle vient de nous communiquer à ce sujet :
---
« Je me suis
toujours occupée des enfants forains, étant foraine de naissance, et, par
conséquent, connaissant les exigences du métier. J'ai déjà cherché par tous les
moyens possibles à venir en aide à ces enfants, privés, par les exigences de
leur vie nomade, d'instruction aussi bien religieuse que civique ; je me suis
fixée à celui qui m'a paru le meilleur : la fondation de l'école.
« Un hiver, je me
trouvais à Rouen, et je suivais les conférences qui se faisaient chez les
frères. L'une d'elles fut laite par M. Paul Lerolle. En voyant ce monsieur, je
me dis : « Voilà l'homme qu'il me faut. » Je fis part de mes
impressions à l'évêque, Mgr Thomas, qui, en diverses circonstances, m'aida de
ses conseils à faire le bien ; je lui montrai l'utilité de l'école et
l'urgence de la commencer à Paris ; il fut de mon avis. « Mais hélas !
Monseigneur, lui répondis-je, vous connaissez ma position. Pour arriver à Paris
il faut de l'argent. — Qu'à cela ne tienne, me répondit-i l: on fera ce qu'on
pourra. » Forte de cette réponse, je fis mes préparatifs de départ ; Monseigneur
m'avait envoyé quatre cents francs. En arrivant à Paris, je vais à l'hôtel de
ville demander une audience à M. Lerolle, qui était conseiller municipal. Il
fut enthousiasmé et me répondit : « Venez demain chez moi et nous
causerons de cette affaire qui m'intéresse beaucoup. » Je ne manquai pas
au rendez-vous. M. Lerolle m'aida de ses conseils et aussi de sa bourse, car,
pour première mise de fonds, il me donna soixante francs. Je commençai donc
l'œuvre a la fête des Invalides, en 1893 ; je louai une petite baraque de
quatre mètres ; j'achetai quatre planches dont je lis faire une table et deux
bancs de chaque côté. Voilà ma première salle d'école. J'y installai une
institutrice, et, comme j'avais averti mes forains du prochain établissement de
l'école, je n'eus qu'à leur faire signe, et de suite ma petite école fut
remplie. Pendant quinze jours ces petits enfants reçurent les premières notions
de l'instruction primaire. La maitresse n'avait pas beaucoup de peine,
puisqu'il n'y avait qu'une classe et qu'il fallait commencer par l'alphabet.
« Des
Invalides on se rendit à la grande fête de Neuilly. Je vis M. le maire qui fut
enchanté, et me promit une bonne place pour mon panorama ; car je suis foraine
de naissance, et n'ai jamais exercé d'autre métier que celui des forains ; et
je n'ai jamais couché sous d'autre toit que sous celui de ma caravane. Le jour
de la distribution des places de Neuilly, je me trouvais présente comme les
camarades, attendant que l'on me fixât la place que je devais occuper. On me
dit qu'il n'y avait pas de place pour moi. Alors, je me rendis de suite chez M.
le Maire, pour lui rappeler sa promesse. Il me fut répondu que la Commission
n'acceptait pas l'école. Le président de la Commission, se trouvant présent,
objecta qu'on ne pouvait faire une école dans une baraque : « Mais,
monsieur, dis-je, les enfants qu'on instruit sont nés dans une baraque, ils
grandissent et ils meurent dans une baraque. Rien n'empêche qu'ils y fassent
également leur instruction. » Malgré mes observations, je fus éconduite
d'une façon peu polie. Je m'en retournai chez moi, bien triste ; alors, j'eus
l'idée de faire une pétition, et je la fis signer par tous les forains qui
étaient encore aux Invalides ; en un instant, j’eus quatre-vingts signatures.
Sans perdre de temps, je porte ma pétition chez le maire, le priant d'en
prendre connaissance et de me donner sa réponse le lendemain. « Ma pauvre
enfant, me répondit-il, je ne puis rien pour vous ; la Commission vous déteste,
et ne peut vous voir en face. — N'importe, Monsieur le Maire, demain je
repasserai à la mairie. » Mais la pétition avait changé les choses. Cette
Commission, naguère si arrogante envers moi, était maintenant d'une politesse
pleine d'égards. Toutes les places étant données je reçus la dernière. J'y
installai mon panorama, et derrière ma petite école, à laquelle j'adjoignis la
classe enfantine ; le tramway longeant les deux côtés de l'avenue de Neuilly,
j'avais pensé rendre service aux parents en leur gardant leur enfant. Cette
fête ayant une lieue de long, bien des enfants auraient été dans
l'impossibilité de venir à l'école ; je me vis dans l'obligation de louer une
voiture, qui allait prendre les enfants tous les matins à neuf heures, les
ramenait à onze heures ; les reprenait à une heure et les reconduisait à
quatre heures. Pendant toute la durée de la fête de Neuilly, on vit cette
voiture sillonner le champ de foire du matin au soir, remplie de petits
bambins, dont la gaité était remarquée des passants.
« L'année
suivante je fus récompensée de toutes les tracasseries que j'avais subies par
une bonne place et une protection toute particulière de la part de la
Commission de la fête.
« Les enfants
aiment beaucoup leur école foraine : ils sentent qu'ils sont chez eux, et non
plus sous le regard d'enfants étrangers qui souvent les jugent mal, et d'un
maître très occupé, ne faisant pas attention à eux. J'ai beaucoup de
satisfaction de la part de ces enfants, qui sont très aptes à l'instruction,
d'une intelligence très développée, espiègles, gamins, mais non vicieux. Pour
obtenir la discipline dans cette école, comme elle existe dans les autres, ce
sera chose difficile, peut-être impossible. Cela tient au caractère du métier,
mais ne nuit pas à l'avancement des enfants. Sous le rapport religieux, les
petites filles me donnent bien de la joie : mais j'ai beaucoup à me plaindre
des parents ; non de leur mauvais vouloir de laisser aller leurs enfants à
l'école foraine, au contraire ; ils l'aiment et l'estiment ; mais c'est la
nonchalance des mères qui, à propos de rien, et pour les raisons les plus
futiles, retiennent leurs enfants auprès d’elles. J'espère que ce défaut
disparaitra petit à petit. Les classes se font tous les jours aux heures
ci-dessus indiquées, le jeudi également. Le dimanche, les enfants sont conduits
à la messe. Le programme de l’école est généralisé dans toutes les écoles
foraines, afin que l'enfant, qui change de local et de maître, ne change pas de
méthode, ce qui fait sa force. Pour Paris, j’ai deux baraques-écoles, et deux
maîtresses qui suivent toutes les fêtes dans Paris ; pour la banlieue, c'est un
autre système j'organise un comité de dames charitables de la localité ; ces
dames forment une petite bourse entre elles, ou parmi leurs amies ; avec ce
petit budget, elles choisissent et paient l'institutrice pour le temps de la
durée de la fête. Cette institutrices a le programme des écoles. On donne aux
enfants des devoirs de familles ; on double ces devoirs pour les vacances,
car il arrive souvent que des enfants perdent l’école pendant quelque temps.
« La première
communion se fait tous les ans à Pâques, à la grande foire au pain d'épices de
la place de la Nation. Un prêtre nommé par l’archevêché est attaché à l'œuvre.
La cérémonie a lieu à l'Immaculée-Conception, l'église du quartier. Un évêque,
tous les ans, se déplace pour donner le sacrement de confirmation aux seuls
enfants forains. Je tiens à ce que cette cérémonie soit faite avec le plus de
pompe possible. Quelques jours après a lieu la distribution des prix qui se
fait également avec beaucoup d'apparat. De grandes invitations sont lancées, le
conseil de l'œuvre en fait de son côté ; et j'ai la satisfaction de voir dans
ces réunions de grands personnages, qui ne dédaignent pas de venir assister à
la distribution des prix des pauvres petits forains, de cette classe sociale,
sur laquelle règnent de si mauvais préjugés ; et qui, Dieu merci, sont faux ;
car la corporation foraine n'est autre qu'une réunion d'hommes travailleurs, au
sein de laquelle l'intimité de famille s'est conservée tout intacte.
« L'école se
soutient par la charité privée. Jusqu'à présent, je n'ai pas encore reçu de don
particulier ; les frais sont énormes et j'ai beaucoup de peine à joindre les
deux bouts ; et cela me cause bien des ennuis. Ce manque d'argent est un grand
obstacle à la réalisation de mes projets, qui consisteraient dans
l'établissement d'une école professionnelle où l'on enseignerait aux jeunes
filles la couture et la coupe, talents de première nécessité pour une femme ;
les garçons apprendraient le dessin, la menuiserie et la peinture, afin de
pouvoir faire leur métier avec honneur. Les enfants ne seraient admis à cette
école qu'après la première communion. Il ne faudrait cependant pas une fortune
pour créer cette école, quelques billets 1.000 francs suffiraient…
« Le ministre
de l'instruction publique, ayant eu connaissance de l'existence de l'école, par
un article de journal, me fit demander pour avoir de plus amples détails. Puis
il me dit : « Faisons les choses en règle, vous allez adresser une demande
au ministère, demande à laquelle je répondrai. » Ce qu'il fit, d'une façon très
élogieuse, en y ajoutant une subvention de 600 fr. Ce qui m'a paru beau dans
cette affaire, c'est que je n'avais rien sollicité et que le ministre agissait
de son propre chef.»
---
Pour
organiser dans notre ville une baraque école, ce qui serait bien, je crois, la
meilleure solution à donner à cette œuvre des forains, Mlle Bonnefoi serait
décidée à venir à Lyon le printemps prochain. Elle ne nous demande pour cela
que de l'argent. Où le prendre ? Notre caisse de l'œuvre des catéchistes est
vide.
Une
pensée m'est venue : A cette heure où tant de ventes de charité se font au
profit des écoles, ne pourrait-il pas y avoir place pour une vente en faveur de
l'école des forains ? Mais C'est à Mgr l'archevêque de nous dire ce qu'il pense
de ce projet, et à vous, Mesdames, au cas où Sa Grandeur daignerait
l’approuver, de vous consulter et de voir si vous seriez disposées à vous jeter
dans cette nouvelle entreprise.
Je
m'arrête, car ce compte rendu est déjà bien long. Je veux simplement vous
demander, Monseigneur, de bénir chacune des œuvres dont je viens de parler. Ce
ne sont encore que de jeunes plantes dans le jardin de votre Eglise, mais elles
aspirent à grandir et ont besoin de la rosée du ciel. Bénissez surtout ces
dames catéchistes qui savent se dévouer sans bruit et si généreusement.
Bénissez-les, car, dans leur poursuite des âmes, surtout des âmes des enfants,
elles sont soutenues par un ardent amour de Jésus-Christ. Bénissez-les, car au
milieu des indifférences et des impiétés de notre temps, elles ressemblent à
cette femme qui, sur le chemin du Calvaire, traversa sans crainte une foule
frémissante de païens pour essuyer de son voile les larmes de sang que pleurait
le Sauveur.
DOCUMENTS
- SOURCE : Semaine
religieuse du diocèse de Lyon,
décembre 1896, pp.122sq
- VACHET Adolphe, 1900,
Lyon et ses œuvres. Œuvre des Forains