Saint
François de Sales
et Lyon
Chaque fois qu'il voulait
sortir de Savoie vers la France, l'évêque d'Annecy devait passer par Lyon ; il
n'y a dans cette constatation rien que de banal, et cela à soi seul ne suffirait pas à retenir l'attention de
l'histoire du diocèse. En fait, les relations particulières du saint avec Lyon
et son archevêque se nouèrent essentiellement autour de la fondation de la
Visitation et de son établissement à Lyon.
Au début du XVllème siècle,
selon les idées dominantes, surtout en France, sur les ordres religieux
féminins, on avait peine à les
concevoir autrement que cloîtrés, avec vœux solennels et donc définitifs et
irrévocables. Saint François de Sales ne fut certes pas le premier à souhaiter un aménagement de ces
conceptions rigides, mais il fut à coup
sûr le pionnier d'une ligne élargie, permettant la naissance d'une congrégation
contemplative, à règle
plus douce dans l'ascèse et plus souple dans le mode de vie que les règles
existantes, comme celles des clarisses, des carmélites, ou même des
bénédictines. Dans son esprit, quantité de filles pieuses mais de complexion
trop fragile, quantité de veuves encore chargées de responsabilités
temporelles, auraient pu trouver ainsi la possibilité de mener une vie
religieuse qui leur était jusque là interdite.
Il conçut donc une congrégation
où l'ascétisme matériel serait modéré, avec vœux simples et clôture
aménagée (laissant pénétrer femmes et filles du monde désireuses de faire
retraite, et rendant possibles aux religieuses des sorties très contrôlées pour
se livrer à des
œuvres de charité, comme la visite de pauvres malades, ou même, plus
exceptionnellement, pour vaquer à des
affaires temporelles). C'est ainsi que fonctionna d'abord la première Visitation,
fondée à Annecy en 1610, et sur cette base également que fut établie la
deuxième maison, ouverte à Lyon,
le 1er février 1615, à l'appel
de plusieurs femmes pieuses et de l'archevêque, Monseigneur de Marquemont.
En vertu des idées même de
saint François, pour qui la nouvelle congrégation dépendait de l'autorité
épiscopale, l'archevêque de Lyon fut amené à donner sur elle son avis.
Contrairement à son
collègue d'Annecy, et conformément à la ligne rigoriste dominante, il ne
concevait pas de congrégation féminine sans clôture stricte et vœux solennels,
seuls capables à ses
yeux, comme aux yeux du grand nombre, de protéger les monastères devant les
pressions laïques (familles et autorités civiles) et de couper court aux
rumeurs accusatrices d'une opinion toujours prompte à se
choquer. Il commença par supprimer les sorties puis, en janvier 1616, il adressa à saint François un exposé de sa
thèse. Après quelques échanges de lettres, l'évêque d'Annecy se soumit, le 16 octobre 1618, érigea la Visitation en
« religion formelle », selon son expression : ordre à vœux
solennels, avec clôture stricte, règle de saint Augustin relativement douce, et
approbation du Saint-Siège. Les principes français l'avaient emporté. On voit
donc que l'expérience lyonnaise marqua profondément la fondation salésienne.
Installées par sainte Jeanne de
Chantal en personne, les visitandines s'étaient d'abord établies au Griffon, près de
la chapelle Saint-Claude, avant de se transférer à Bellecour, en 1617, à l'emplacement
actuel de l'ancienne gendarmerie de la rue Sainte-Hélène. Deux autres
monastères furent fondés par la suite, à l'Antiquaille en 1630, et en 1640 à Sainte-Marie-des-Chaînes
au bord de la Saône. Avant 1650,
il s'en établit dans le diocèse à Saint-Etienne, Bourg, Roanne,
Condrieu, Villefranche, Montbrison. Ce fut le monastère de Bellecour qui reçut les
visites du fondateur lors de ses passages par Lyon, on en connaît cinq de 1618 à 1622. Lors du dernier séjour, il
logea dans la petite maison du jardinier,
hors clôture au fond du jardin, à l'emplacement du carrefour des rues
Sainte-Hélène et Saint-François de Sales. C'est
là qu'il mourut à la suite d'un brusque refroidissement, le 28 décembre 1622.
Le partage
de ses reliques donna lieu à des manipulations peu ragoûtantes et à d'âpres discussions : Lyon
dut céder à Annecy la sépulture du corps, mais pal garder le cœur, conservé au monastère de Bellecour. En 1662 et en 1666, la ville
et toutes les communautés de Lyon, chapitre primatial en tête, s'associèrent
en grande cérémonie aux fêtes organisées par les visitandines en l’honneur de
la béatification, puis de la canonisation du saint : octaves de prières, messes chantées, processions,
offices solennels, et même un feu d’artifice tiré à l'Antiquaille,
rappelèrent aux lyonnais le souvenir de celui que, depuis sa mort dans leurs murs, ils
considèrent toujours un peu comme l'un des leurs.
Henri HOURS
Eglise à Lyon, 1997, n°10