GRANDS SOUVENIRS DE
L’EGLISE DE LYON
Discours prononcé
par son Eminence à la Primatiale
le 22 juin 1958
Monsieur le Maire
de Lyon,
Messieurs les
Représentants des hautes autorités civiles et militaires,
Mes Frères,
Ce soir, dans notre
Primatiale, s'achève le cycle des cérémonies religieuses qui associent l'Eglise au
Bimillénaire de la Cité. Il était normal que ces cérémonies aient lieu. Car, si
Lyon a 2.000 ans, l'Eglise de Lyon a quelque 1.800 ans.
Lyon a été fondée
par Munatius Plancus presque un siècle avant la Pentecôte ! Le monde étant encore païen. Lyon
remonte donc par son Eglise jusqu'aux temps apostoliques.
Je ne crois rien
exagérer en affirmant que, seule, l'Eglise peut revendiquer une association
étroite, une association
continue à la vie et au développement
de la Cité. On peut même avancer, sans
paradoxe, que durant les siècles obscurs du Haut-Moyen-Age, c'est à l'Institution ecclésiastique que Lyon a dû de subsister en tant que ville. On en pourrait aisément administrer la
preuve.
Me permettrez-vous
un exemple ? Rome privée de la présence du Pape durant le séjour en Avignon,
alors qu'une partie de la Curie demeurait cependant dans la ville, avec un Cardinal-Légat,
compte 17.000 habitants ! Sans la papauté, Rome n'eut été qu'une ruine. Lyon,
malgré sa situation privilégiée, n'eut guère été autre chose,
lorsque le commerce et les transactions lointaines avaient à peu près totalement disparu - en gros de 850 à 1050 environ. C'est la présence de l’Archevêque et du
Chapitre qui ont fait que Lyon n’était pas seulement un bourg infime.
Les origines
chrétiennes de Lyon.
L'Eglise catholique
est donc présente à Lyon à peu près dès l'existence du christianisme.
Cente-vingt-sept évêques ou archevêques forment une ligne
continue depuis saint Pothin, l'Archevêque actuel étant le 128e.
Nos origines chrétiennes, chacun les
sait ; cette tradition offre chez nous des intermédiaires absolument sûrs,
qui nous rattachent à Jésus-Christ.
Blandine était chrétienne
par Irénée et
Pothin. Ils avaient connu Polycarpe
(†156), lequel avait été dans sa jeunesse disciple de Jean l’apôtre, lequel avait vécu
avec Jésus-Christ.
La lettre des
chrétiens de Lyon et de Vienne à leurs frères d'Asie, qui relate la
mort des martyrs de Lyon est d'un prix inestimable. Ce sont les lettres de
noblesse de notre Eglise. Je n'y insiste pas car on vous en a déjà parlé le 4
mai.
Il ne s'agit aucunement de ranimer des controverses périmées sur l’apostolicité des Eglises des Gaules. Aujourd'hui, tous les historiens soucieux de
rigueur scientifique sont d'accord sur ce point.
La plus ancienne Eglise où est historiquement attestée la présence d'un évêque, chef de communauté, est Lyon. Le siège épiscopal
fut fondé par saint Pothin entre l’an 125 et l’an 140.
Certes, nous sommes
loin de tout savoir du passé chrétien de notre pays, surtout aux origines. Les premiers chrétiens étaient plus
préoccupés de bien vivre que de nous transmettre leur histoire. En outre le
temps est un grand destructeur et nombre de témoignages du passé ont péri.
Toutefois,
rencontre heureuse, il arrive que certaines
découvertes récentes projettent une vive lumière, et c’est le cas pour
Lyon.
Cette année du
Bimillénaire vient d’être marquée, vous le savez, par une découverte
archéologique de grande importance.
Au cours de
fouilles entreprises sur les pentes méridionales de la Croix-Rousse - sous
l’actuel Jardin des Plantes – on a remis à jour une inscription qui identifie le monument dont l'existence était
connue.
Il s'agit de l'Amphithéâtre fédéral des
Trois-Gaules, proche de l'Autel de Rome et d'Auguste. Tout doute sérieux parait
maintenant levé.
Si c'est bien au Forum vetus -notre Fourvière -
qu'ont comparu, ont été interrogés, torturés nos martyrs, que Pothin, notre
premier évêque, est mort en prison, plus que nonagénaire, c'est dans l'Amphithéâtre que la
plupart des autres martyrs sont morts.
Dans la lettre qui
est présente à vos esprits, toute l'âme des martyrs revit, enthousiasme tranquille venant de l'union à Dieu, conservée dans des corps déchirés.
Deux jeunes enfants : Ponticus et
Blandine terminèrent la fête
fédérale par leur supplice.
Leur foi était
celle de Pothin leur évêque. Par saint Jean, ils
touchaient à Jésus-Christ.
Les évêques de Lyon.
La liste de ces
évêques est impressionnante.
Cent-vingt-sept, parmi
eux trente-trois sont sur les autels, canonisés du consentement de l'Eglise, le
plus souvent par la voix populaire. Le plus récent étant le bienheureux Pierre de
Tarentaise qui, ayant été archevêque de Lyon (1272-1273), devint le Pape Innocent V.
Parmi cette longue
suite de saints pontifes, il faut seulement citer les grands noms et d'abord le
plus illustre : saint Irénée, notre deuxième évêque, de 177 à 202. C'est l'un des plus grands Docteurs chrétiens.
Saint Jérôme est le premier qui le dit martyr.
On l'a célébré dans
son église, vous le savez, et je me contente d'une simple mention. En lui
s'unissent les traditions d'Asie : saint Jean l'Evangéliste, et les traditions romaines
: saint Pierre et saint Paul.
Il est le Docteur
de la Primauté Romaine qu'il affirme en termes impressionnants autant que le fondateur de la Théologie Mariale. « Ce que la vierge
Eve avait lié par son incrédulité, écrira-t-il, la vierge Marie l'a délié par sa foi. » Ce sont des titres
impérissables. Des documents du VIe siècle paraissent
autoriser qu'on rattache à Irénée l'évangélisation de Besançon par saint Ferréol et saint
Forgeux, de Langres, de Dijon, de Valence, voire même de l'Alsace et de
Cologne.
Combien d'autres
grands évêques lyonnais il faudrait citer à l'âge antique !
Saint Just (374-381), qui
voulut finir sa sainte vie dans la Thébaïde parmi les Pères du désert - et dont
les restes précieux furent vénérés onze siècles durant dans l'église des
Macchabées.
Saint Eucher (435-450),
écrivain, Père de l'Eglise, en qui revit la doctrine ascétique de Cassien et de l'Abbaye
célèbre de Lérins.
Saint Patiens (451-491), à qui
l'on attribue la crypte actuelle qui a été si
heureusement redécouverte sous le chœur de notre Primatiale il ya peu
d'années. Je le sais, les archéologues lyonnais disputent et échangent de
doctes propos à ce sujet et nous n'essaierons pas de les départager.
Saint Sacerdos (549-552),
qui mourut à Paris, après avoir assisté à un concile tenu dans l'église
Saint-Vincent d'alors et qui est aujourd'hui Saint-Germain-des-Prés. Nous avons son épitaphe.
Saint Nizier (552-579), qui fut
enseveli dans l’église des Saints-Apôtres - aujourd'hui Saint-Nizier. Son
petit-neveu, saint Grégoire de Tours, a laissé un catalogue
impressionnant des miracles qu'on lui attribuait. Et de l'affaire, l'église
changea de nom.
Nous sommes dans
des temps lointains, les temps Mérovingiens, les temps décrits par Grégoire de Tours, celui qu'on a nommé
le Père de l'Histoire de France.
A cette lointaine
époque, durant tout ce brassage de peuples à la suite des invasions, il y a eu des
temps d'extrême misère, de famine, de pillage, de tortures. Longtemps, ces
Evêques ont espéré la durée pour l'Empire devenu chrétien. Il a fallu se rendre à l'évidence : partout
l'Empire se disloquait. Partout les Barbares obtenaient une complète victoire.
Les évêques ne
pouvaient se dissimuler leur devoir : ne pas se contenter de pleurer sur des
ruines. L’Eglise devait ses soins aux Barbares comme aux GalloRomains. Tous, un
jour, formeraient un peuple nouveau.
Cette remarque ne vous émeut-elle pas mes Frères ? Ne sentez-vous pas
apparaître ici ce que nous appelons aujourd’hui l’esprit missionnaire ?
Dans ces épreuves séculaires, il est très vrai que les évêques ont été les
défenseurs de la cité, les protecteurs des réfugiés, les pères du peuple. Chez
nous, entre autres, on a gardé le souvenir durable de saint Patiens (451-491)
qui sauva son peuple, et la région, de la famine. Il n’est pas seul.
Après l'établissement des
Burgondes dans notre pays, puis une certaine unification franque, nous avons
connu, vers la fin des temps mérovingiens, les invasions arabes. Chacun sait comment
l'histoire a été retournée par la victoire de Charles Martel à Poitiers.
Il empêche que l'invasion
et l'occupation par les cavaliers d'Allah a duré chez nous bien des années et qu'ils
ont atteint Chalon-sur-Saône. C'est alors que pour des siècles Lyon s'est réfugiée sur la rive droite de la Saône. Toutes les
adductions d'eau étaient taries sur la colline de Fourvière, les aqueducs
détruits. C'est le commencement d'une longue épreuve.
Un grand évêque, Leidrade (798-814), de l'entourage de Charlemagne, a eu de la tâche de
mettre quelque ordre dans ce chaos. Il a d'abord relevé des ruines, rétabli les
églises. La lettre par laquelle il rend compte à Charlemagne de cette
restauration de l'Eglise de Lyon est .venue jusqu'à nous. Il a relevé les murs de l’église Saint-Jean, rétabli sa toiture
et aussi celle de Saint-Etienne. Il a réédifié Saint-Nizier et Sainte-Marie, exécuté d'importants travaux à Saint-Paul et encore dans les monastères
de Saint-Pierre et de Ile-Barbe. Il est d'une certaine manière le fondateur
lointain de notre Maîtrise de Saint-Jean. Enfin, il a restauré la maison épiscopale où il espérait recevoir l'Empereur.
En fait, Charlemagne ne vint jamais à Lyon. Toutefois, son influence a été durable,
particulièrement dans l’ordre liturgique et intellectuel -et cela grâce à
l'évêque Leidrade. C'est ce
qu'il nous faut maintenant rapidement exposer.
La liturgie lyonnaise.
Ce qui fait le
particularisme lyonnais le plus visible et le plus légitime, c'est notre vénérable liturgie lyonnaise, fierté du
clergé de notre Primatiale et du diocèse.
Comme on
va le voir, elle tire son origine de Rome, et, comme elle a gardé
ses usages antiques, cet esprit de conservation légitime a abouti à une originalité de bon aloi. Le processus
est fort curieux.
Il n’y pas lieu d'ailleurs de s'étonner de ces particularismes religieux dans
l’univers catholique : en devenant chrétiens, ni les races, ni les peuples ne
se sont « désincarnés ».
La grâce a perfectionné une nature qui est demeurée cohérente, qui a
conservé ses traits nationaux, dans
une civilisation nouvelle.
Ici, quant à notre
liturgie, ce qui est le plus marquant, c’est son caractère romain incontestable
et que, le conservant jalousement, nous l’avons fait lyonnais. Y a-t-il, on le demande, meilleure assimilation de
l'universalité chrétienne ?
Au surplus, l'unité dans l'Eglise n'a
jamais été l'uniformité. En marge de la liturgie - qui
nous occupe présentement - il est facile
de le montrer.
Souvenons-nous
qu'au temps du nationalisme le plus virulent - puisqu'il a jeté une partie de l'Europe dans le schisme –les saints de la
Contre-Réforme accusent certains traits nationaux parfaitement compatibles avec l'unité foncière de l'Eglise catholique :
-
Thomas More chez les Britanniques ;
-
Philippe Néri à Rome ;
-
Thérèse d'Avila en Espagne ;
-
Monsieur Vincent (qui, je le rappelle, a
été curé dans notre diocèse de Lyon, à Châtillon, alors que l'actuel département de l’Ain, en grande partie, était du diocèse de Lyon).
Notre liturgie n'est pas autre chose, et
d'ailleurs Rome l’a autorisée et reconnue. J'y vais revenir.
Les premiers
Carolingiens, et surtout Charlemagne, par Leidrade, sont les vrais responsables de notre Liturgie.
On sait que, dans un dessein
d’unification très louable, Charlemagne imposa la Messe Romaine dans tout l'Empire.
Or, les liturgistes ont solidement établi
- et parmi eux un savant bénédictin que nul n'ignore - Dom Buenner - que dans
la forme actuelle de la Messe pontificale lyonnaise, il y a sûrement un appareil romain - opus romanum - une ordonnance, à peu près entièrement maintenu
et toujours visible jusque dans nos messes basses.
Ainsi, cette liturgie nous fournit -
et particulièrement grâce au vénérable Chapitre dont je parlerai bientôt - un
trait lyonnais accusé, un certain goût d'archaïsme.
En quelque sorte - et par essence -
la liturgie est conservatrice. Sans doute, l'était-elle moins que certains ne
le croient, surtout avant le
Concile de Trente.
Il est indéniable, par exemple, qu'à
Lyon, comme ailleurs, aux XIIè et XIIIè siècles, on a adopté ce qui était alors des
innovations, acceptées-par l'autorité hiérarchique, par exemple les deux
grandes élévations de l'hostie, puis du calice.
Mais dès le XIIIè siècle
et plus encore au XIVè, le rite chez nous devient immuable. Au cours des âges, le Chapitre noble de
la Primatiale tiendra ferme à ses usages qui se trouveront, de la sorte,
représenter les traits les plus authentiquement grégoriens et romains du temps de
Charlemagne.
On le sait, au XVIIIè
siècle, pour un temps, le rite sera bouleversé
et finalement un Missel parisien de fabrication récente sera imposé. C'était le
goût du temps, en 1771, de transformations liturgiques fort peu heureuses,
il le faut dire, et sur lesquelles on est revenu en France après la « campagne »de Dom Guéranger au siècle suivant.
Fort heureusement pour nous, après la
Révolution, il s'est trouvé deux prêtres, Marduel et Caille qui autrefois avaient fait partie des
perpétuels de Saint-Jean et qui reconstituèrent l'antique cérémonial. Cette
restauration toutefois n'est pas allée toute seule. Je fais allusion à la polémique
ouverte - les brochures mettaient le public au courant - sous le Pontificat du Cardinal de Bonald
(1839-1870).
Nous en sommes sûrs : personnellement le Cardinal de Bonald désirait
sauver et reconstituer le rite, alors que dans son entourage il y avait des
esprits gagnés par les polémiques retentissantes de Dom Guéranger. Ce dernier,
d'ailleurs la chose est manifeste, a été dépassé par ses propres troupes si j’ose dire, et
sur la fin de sa vie il n'a pas été sans regretter certaines outrances, faisant
table-rase d'usages d'autres Eglises particulières que Rome aurait parfaitement
acceptés.
Finalement, en 1902, Léon XIII approuva
une nouvelle édition du Missel Romain avec les particularités lyonnaises, et
surtout l’Ordo Missae qui est l’essentiel du rite. C'était sous le
pontificat du Cardinal Coullié de sainte mémoire.
Il n'est pas inutile sans doute
d'ajouter quelques observations au sujet de notre rite.
Il faut nettement exprimer des réserves quant aux
polémiques au temps du Cardinal de Bonald, il y a un siècle.
Tout d'abord, cette polémique avait
pris des couleurs regrettables de revendications gallicanes, ce qui était
d'ailleurs amené par le tour donné à
sa campagne par Dom Guéranger. S'il y a une
Église en France sous l'Ancien Régime qui n’a pas versé dans le
gallicanisme, c'est bien l'Eglise de Lyon.
En outre, la cause était excellente. De tout temps, à degrés divers,
l'Eglise Romaine a parfaitement admis les particularismes que j’ai dits. Témoin
: le rite ambrosien
dans l'Eglise de Milan, et le Pape Pie XI n'invitait-il pas certains
dissidents anglicans à se rendre à Lyon pour assister à l'une des Messes pontificales, afin d'y voir la majesté et la splendeur
d'un vieux rite que l'Eglise respectait à
l'égal des différents autres rites dans l'unité catholique ?
La cause était excellente, je le
répète, mais les arguments apportés il ya plus d'un siècle
étaient très faibles.
Autre chose est l'origine orientale de
l'Eglise de Lyon qui n'est pas en question - sans oublier l'Eglise romaine
sur laquelle saint Irénée est fort bien informé - autre chose le rite
des Eglises apostoliques en Asie.
S'il est une chose
assurée maintenant, c'est le caractère d'inspiration de
la Liturgie eucharistique primitive.
Toujours, certes, il y
a eu la formule consécratoire immuable ; toujours il y
a eu une prière qui l'encadrait et qui est devenue notre Canon. Mais au moins durant deux
siècles, cette prière était improvisée par l'évêque célébrant.
Le plus ancien texte venu jusqu'à nous est de l'an 217 à Rome. Toutes les
tentatives de remonter plus haut ont échoué. Notre rite est le rite de
Saint-Grégoire-le-Grand, tel qu'il était aux temps
carolingiens à Rome. Les rites orientaux
sont autres. Ils ont donné finalement le rite de Saint-Chrysostome qui d'ailleurs
dépend également de Rome. Ce qui est possible, c'est que
certains usages des Gaules aient passé chez
nous, aient été conservés, mais c'est peu de chose.
La
Primatie des
Gaules
Cette illustration du
siège de Lyon, de Lyon où deux Papes ont été couronnés, Clément V à Saint-Just
en 1306, Jean XXII à Saint-Jean en 1310,
dès la haute antiquité chrétienne, aboutit à
la proclamation par saint Grégoire VII, de la Primatie des
Gaules attribuée à saint Gébuin le 20
avril 1079 et confirmée par
Calliste II quarante ans plus tard, primatie qui consacre les titres anciens de
Lyon à la prééminence - laquelle a duré jusqu'au Concordat de Bonaparte.
Cette prééminence
spirituelle effective a donc duré plus de sept siècles
dans l'Eglise de France. Elle s'affirmait de deux manières :
- 1°.
De droit, l'Archevêque de Lyon, Primat des Gaules ou
Primat
de France - on disait les deux - présidait les
Assemblées périodiques du clergé national.
- 2°.
Il jouissait à ce titre d'une juridiction effective qui
s'étendait à presque tous les métropolitains, dans les limites de la France de
François 1er. Au début du XVIIIe siècle,
cependant, le Parlement de Paris opéra la soustraction de la province de Rouen,
sous l'épiscopat de Mgr Claude de Saint-Georges (1693-1714).
Au Moyen Age, on le
sait, la compétence des tribunaux d'Eglise était beaucoup plus étendue qu'elle
ne l'est de nos jours à la fois quant aux matières qui en relèvent, et au
nombre des justiciables. C'était chose reçue, et peu
à peu, à mesure que l'Etat s'affermira, il reprendra ce qui relève
de lui.
A Lyon, en vertu de la
Primatie, il y avait trois
sortes de tribunaux d'Eglise, trois officialités distinctes :
- 1°.
Pour le diocèse, alors tort étendu, puisque
les diocèses de Saint-Claude et de Belley en faisaient partie.
- 2°.
Pour la province,
c'est-à-dire jusqu'à Langres, Mâcon, Chalon, Autun.
- 3°.
Pour toute
la France (de François 1er).
C'était alors un
tribunal fort occupé.
Nous mesurons assez mal
aujourd'hui le prestige
de cette Primatie de France.
Nos aïeux étaient très
soucieux de ces
hiérarchies de droits et de privilèges. C'était pour eux ce
qu'ils appelaient libertés, bien plus que la
liberté abstraite, qui est une notion récente.
Un exemple curieux de
l'importance attachée à ce privilège unique en France du siège de Lyon. Voici
un historien de l'Eglise de Lyon, au XVIIIe siècle,
Lumina.
Il écrit exactement six lignes sur
le pontificat de Mgr de Saint-Georges, qui
fut loin d'être un épiscopat effacé, durant vingt et un ans (1693-1714). Mais il consacre quarante-neuf pages au procès
devant le Parlement de Paris sur la Primatie de Lyon, que dans un cas
particulier contestait l'Archevêque de Rouen. La
disproportion est éclatante et
dit assez que l'importance relative d'autrefois n'est plus celle d'aujourd'hui.
Sous le régime né du
Concordat après la Révolution, le Cardinal Fesch (1802-1815 ; à
Rome 1815-1839) essaya un instant de
rétablir le Tribunal primatial. Il
nomma même M.Courbon, son premier vicaire général, official de la
Primatie. En fait, comme l'a montré un
travail récent (cf. M.Vernay, Année Canonique, 1958, à paraître
incessamment), les Privilèges anciens avaient tous été supprimés par
le Concordat, mais il subsiste, et Rome l'a
reconnu formellement, une Primatie honorifique sur le caractère de laquelle il y avait eu méprise
d'interprétation (du Cardinal Fesch) sur un propos du Pape Pie VII. Rome a confirmé
d'ailleurs la titulature du siège de Lyon Primat des Gaules. C'est un grand
souvenir.
A Lyon, cette réforme
eut un succès extraordinaire. On compta bientôt plusieurs chapitres, présidés
d’abord par un Abbé. Le plus célèbre, le plus élevé en dignité était celui de
l’église Saint-Etienne, alors tenue
pour la cathédrale et accolée à Saint-Jean. Au début, il aurait compté
cinquante-deux chanoines, voués à la prière publique.
Avec le temps, le
Chapitre de Lyon devint un corps puissant et riche. C'est en 1321 qu'il fut
ramené au chiffre de trente-deux chanoines. Il semble que c'est à
partir de 1337 que fut exigé, pour en faire partie, un
titre de noblesse. Avec les siècles, comme il arrive presque toujours, les particularismes
de ce recrutement furent renforcés ;
les preuves de noblesse exigées de plus
en plus rigoureuses, jusqu'à la fin de l'Ancien Régime. C'était la marque -
sans doute inévitable - du temps. Il est permis de penser que ces
exigences ne furent pas toujours heureuses. En tout cas, elles nous paraissent aujourd'hui désuètes, surannées. Ayons
quelque indulgence envers un état social qu'on a peine aujourd'hui à bien
comprendre, pour peser ses avantages et ses défauts. L'Eglise, sous le régime
féodal, devint en fait une seigneurie, et les chanoines de Lyon, co-seigneurs avec l'Archevêque. Aussi
portaient-ils le titre de Comtes de Lyon.
Laissez-moi rappeler
ici un trait plaisant. A Sainte-Hélène, lorsqu'il fut question pour Napoléon de
prendre un titre différent
de celui d'Empereur qui causait des difficultés insolubles, on pensa un
instant au titre de Comte de Lyon. Il fut écarté sur l'observation du général
Gourgaud que les Comtes de Lyon étaient des chanoines !
Ce que je voudrais
retenir surtout, c'est l'attachement des chanoines aux vénérables usages de
l'Eglise de Lyon. Ils ont été résumés par un grand historien (cf. Histoire
de Lyon, t. I, pp.126-I27) :
Le Chapitre se montrait également
soucieux d'assurer, dans la célébration du culte à la Cathédrale, ainsi qu'aux églises annexes de Saint-Etienne
et de Sainte-Croix, la régularité et tout l'éclat, toute la dignité
nécessaires. Sous ce rapport, les « Statuts de l'Eglise de Lyon »
dont les plus anciennes rédactions connues datent de la deuxième moitié des XIIe et XIIIe siècles, sous les épiscopats de Guichard et de Jean
Bellesmains, constituent des modèles que d’autres Eglises adoptaient à leur
tour. Ils règlent
minutieusement, jusque dans les moindres détails, l'ordre des cérémonies,
surtout pour les principales fêtes de l'année liturgique, assignent à tous les
membres du clergé de la Cathédrale, depuis l'Archevêque et les dignitaires du Chapitre
jusqu'aux simples « incorporés », leur rôle dans la célébration des
offices. Les prescriptions relatives au chant, au luminaire, à la bonne tenue
des assistants, à la distribution places dans le chœur, à la discipline à laquelle
devait se soumettre tout le personnel ecclésiastique, depuis les petits clercs
jusqu'aux chanoines eux-mêmes, témoignent de la préoccupation d'établir un
ordre sévère dans le service religieux.
Le Chapitre se flattait de
maintenir d'anciennes traditions qui valaient à l’Eglise de Lyon une réputation
justifiée. Ce n'était pas sans peine, il faut le reconnaître, qu'il obtenait ce
résultat. Certains chanoines, ceux de familles nobles surtout, se pliaient
difficilement aux devoirs
qui leur étaient imposés, notamment à la résidence obligatoire dans le cloître,
au moins pendant un temps déterminé ou, même résidant, se montraient peu
assidus aux offices quotidiens. Pour ces infractions graves à la règle, ou même pour de simples négligences, les statuts
édictaient des peines sévères : par exemple, l'exclusion du chœur, le paiement
d'une amende, enfin la privation des avantages matériels réservés aux chanoines
(distributions quotidiennes d'argent ou de vivres, participation aux divisions
des terres et revenus), ce qui devait toucher encore plus les intéressés. Lors
de l'admission d'un nouveau chanoine, le récipiendaire, avant d’être installé
dans sa stalle, devait prêter le serment d'observer rigoureusement les statuts
de l'Eglise, et de s'opposer à
ce qu'ils subissent des
modifications sans le consentement unanime du Chapitre.
Retenons, à
la gloire de notre Chapitre, des titres plus éminents et
plus durables, spécialement l'honneur qu'il
a eu de consacrer liturgiquement le privilège de l’Immaculée Conception, à l'époque où les plus grands
théologiens et saint Bernard lui-même hésitaient
encore à le reconnaître.
La seigneurie des archevêques de Lyon.
Comment
ne dirais-je pas un mot également de la seigneurie des
archevêques de Lyon. Non que j'ai aucun désir de le voir
renaître.
L'archevêque
de Lyon présente un cas unique en France. Il a été effectivement prince temporel, trois siècles durant (1034 à 1320). Sans doute, beaucoup d'autres prélats ont été
seigneurs féodaux, mais avec un caractère très différent. Lyon et son comté ont
réellement formé une principauté ecclésiastique à peu près indépendante, dans le genre de celles des évêques électeurs du
Saint-Empire en Allemagne ou encore celle du Prince-Evêque de Liège. La
souveraineté de l'empereur demeurait nominale et lointaine, résultat d'une
situation de fait née lors de la disparition du dernier roi de
Bourgogne qui avait légué son royaume à
l'empereur.
C'est
dans le même temps que commence à se constituer la-Suisse et
pour les mêmes raisons : le domaine impérial était bien trop vaste pour que
l’empereur régnât partout. D'ailleurs, il avait promptement reconnu la quasi indépendance de l'archevêque par la fameuse bulle d'or.
Ce
qu'il est important de noter, quant aux conséquences lointaines issues de cette
souveraineté ecclésiastique unique en France, c'est un sens pratique, assez
aigu chez les Lyonnais d'alors, des domaines
respectifs de l'Eglise et de l'Etat naissant. Ils distinguent, et fort bien, l'archevêque en tant que
pouvoir spirituel, et l'archevêque seigneur temporel par suite de circonstances
passagères. La souveraineté des gens d'Eglise avait été, en effet, et plusieurs
fois, traversée d'incidents graves, de révoltes, de petites guerres, de
pillages. Mais la suite n'est pas du tout ce qu'on pourrait attendre avec les
idées modernes. On ne voit aucunement en effet que ces événements fâcheux, qui visaient le temporel de
l'archevêque et du Chapitre aient affecté notablement le comportement spirituel des bourgeois
lyonnais. Après comme avant, ils demeurent des gens pieux et même dévots. Sauf
l'incident des Vaudois, dont je dirai un mot à la fin, on ne discerne pas d'indice
sérieux montrant une opposition de fond née d'un anticléricalisme haineux. Lyon
est demeurée ville profondément chrétienne.
Peut-être
n'est-il pas inutile de souligner un état d'esprit du Moyen Age, aux prises
avec un état social que l'Eglise n'avait aucunement fait, et dont elle a eu bien du mal à se dégager vers la fin. C'est presque
toute l'histoire du fâcheux départ de la politique religieuse lors de la
Révolution française. Il est difficile d'éviter tout anachronisme quand le même
mot est employé pour des états de conscience qui paraissent assez différents au Moyen Age et
aujourd'hui : anticléricalisme est un de ces mots. Il est très vrai qu'au Moyen Age il y a eu un état d'âme qu'on qualifie d'anticléricalisme. Mais le mot a
un sens assez différent du sens d'aujourd'hui. L'opposition du Moyen Age n'est pas à fond doctrinal, mais à fond social. Si
l'on proteste, ce n'est pas contre les vérités enseignées par l'Eglise, mais contre les biens
fonciers. C'est alors, à peu prés, la
seule richesse, laquelle est très visible. Elle se justifie en grande partie - je ne dis pas
toujours - car il serait absurde de méconnaître les abus de certains gens
d'Eglise oubliant leur mission. Elle se justifie, dis-je, par les charges
qu'assumait alors l'Eglise - et
spécialement l'Eglise de Lyon : il n'y avait pas moins de cinq
hôpitaux dépendant d'elle. Sur elle
reposait l’enseignement - et à différentes
époques, notamment aux temps carolingiens, il n’a pas été sans éclat à Lyon. Sur l'Eglise reposait totalement l'assistance aux
pauvres gens.
Au
Moyen Age - en général - dans les classes populaires, l'anticléricalisme est
fait de brocarts contre des gens d'Eglise - ils étaient moins isolés qu'aujourd'hui
dans la société - et plus particulièrement contre les moines. Les aventures
qu'on leur prêtait dans les « soties » et autres
« facéties », amusaient le bon peuple. Les faits sont de tous les
temps et n'oublions pas, pour ne citer que ces exemples, que Villon et Rabelais
étaient gens d'Eglise. Tout n'était donc pas faux. Mais, sauf exceptions, la
croyance dans la vérité prêchée par l'Eglise n'était pas entamée. Il en a été
tout autrement plus tard, surtout au temps où sceptiques et libertins au XVIIIe siècle
prennent le devant de la scène et dominent la société.
Alors
– et alors seulement – l’anticléricalisme deviendra doctrinaire. Il sera à fond d’incroyance, de matérialisme. Il sera
sectaire, haineux, et il s’établira dans un monde populaire, restreint d’ailleurs, aux jours les plus
déplorables de la persécution révolutionnaire, il y a un siècle et demi.
Les deux conciles généraux de 1245 et
de 1274.
Parmi
les conséquences de la principauté ecclésiastique des archevêques de Lyon, il y
a la tenue des deux grands conciles généraux de 1245 et de 1274.
Le concile de 1245, dont nous avons célébré il y a treize
ans le septième centenaire, et que convoqua le Pape Innocent IV.
Celui-ci,
se sentant peu en sécurité à Rome, vint en effet s’établir à Lyon le 2 décembre 1244, et y resta,
jusqu'en 1251, sept années durant lesquelles Lyon fut, en un sens, le centre de l'Eglise.
Réuni
dans la cathédrale de Saint-Jean, le concile s'ouvrit le 28 juin et fut clos le
17 juillet. Cent quarante évêques étaient venus de France, d'Italie,
d'Angleterre, d'Irlande, d'Espagne, du Portugal et de la Bohême. Le concile a
tenu trois sessions publiques ici-même. Il a jugé et condamné l'empereur
Frédéric II. La sentence a été prononcée le 17
juillet 1245. Pour bien
comprendre une pareille sentence, il faut savoir d'une part qu'elle s'insère
dans le Droit Public d'une
époque profondément différente de la nôtre, et, en outre, qu'elle a quelque
chose d'indépendant du temps : il s'agit de la condamnation d'un totalitarisme
aussi dangereux au XIIIe siècle qu'aujourd'hui. Le mot n'existait pas, mais la
chose existait parfaitement.
En
effet, Frédéric II, quoique baptisé, peut passer pour une sorte d'athée. Élevé
en Sicile où les religions étaient alors aussi mêlées que les races, l'empereur
s'affirma très tôt comme une sorte de sceptique transcendant. Je veux dire que,
s'il ne croyait guère en Dieu, il croyait fermement ou du moins affirmait sa
propre divinité. Il disait à qui voulait l'entendre qu'il
regrettait, et beaucoup, le temps où
les empereurs étaient dieux et se faisaient adorer. Il parlait de sa « divine
mère » la reine Constance.
La
petite cité qui l'avait vu naître devenait « cette Bethléem où César avait vu le jour », Il ose même se comparer au Sauveur.
Son
chancelier, un certain Pierre de la Vigne devient dans les diplômes - et par la
volonté expresse de l'empereur : « Le saint Pierre du nouveau Dieu ». Ses médailles sont copiées sur celles des empereurs
païens. Il vit entouré de légistes qui divinisent ses volontés. Encore une fois, le
mot n'existait pas, mais bien déjà la chose : c'est un totalitaire, un
tyran. Il ose écrire que « les
califes sont bien heureux, eux qui au moins n'ont pas de papes ».
Aussi vit-il entouré de Sarrasins et à la mode sarrasine... Toute la table des
valeurs morales est changée. Ce qui est bon, ce qui est vrai, c'est ce qui
réussit à son profit. Tous les mêmes moyens, qu'on a vus de
notre temps, il les emploie : la cruauté, le mensonge, la ruse,
l'hypocrisie. Le monde chrétien, au courant des prétentions de cet empereur
hors série, assistait horrifié à ce bouleversement général de toutes ses croyances.
Notre
roi saint Louis avait essayé un arrangement possible avec cet homme diabolique et il devait, après même le concile, rencontrer le Pape à
Cluny. L’empereur se garda bien de paraître. C'était chose impossible qu'un
accord. La lutte était inévitable encore que désolante.
Il n’est pas inutile de rappeler ces choses pour
rendre compte de l’attitude du Pape Innocent IV. S’il a résidé six
ans à Lyon,
s'il y a tenu le concile général, c'est qu'à Lyon, je viens de le dire, il était en sûreté, en terre
d'Eglise et protégé du roi saint Louis.
Furieux
de sa condamnation, Frédéric II annonça .qu’il allait marcher sur Lyon. Mais le roi de France,
saint Louis, fit connaître qu'il serait aux côtés du Pape avec toutes ses
forces, et l'empereur n'insista pas. Je rappelle qu'à l’entrevue de Cluny
étaient présents, outre le Pape, le roi, sa mère Blanche de Castille, douze
cardinaux, à peu près la moitié du Sacré-Collège d'alors. Pour la première fois, à cette entrevue, les cardinaux
portaient le chapeau rouge. C'est au concile qu'ils avaient revêtu l'habit de
pourpre, emprunté aux chanoines-comtes de Lyon, à qui le Pape accorda en échange le droit de porter la mitre.
Le second concile général de Lyon, convoqué
par le Pape Grégoire X, qui avait été chanoine de Saint-Jean, s'est également
tenu dans notre Primatiale, encore inachevée.
Trois ans auparavant, je le rappelle, elle avait abrité,
au cours d'une halte, la dépouille mortelle de saint Louis, que son fils
Philippe ramenait de Tunis.
Le concile de 1274
compta près de cinq cents évêques,
soixante abbés, mille prélats et les plus grands théologiens. Saint Thomas
d'Aquin était mort en se rendant au concile. Mais on y voyait Albert le Grand,
saint Bonaventure, Pierre de Tarentaise, archevêque de Lyon, qui devait devenir le
Pape Innocent V, et beaucoup
d'autres.
L'assemblée tint six sessions. En présence de l'empereur
de Constantinople, Paléologue, fut alors proclamée la réunion de l'Eglise
grecque à l'Eglise
universelle. Réunion hélas éphémère, car, du côté des Byzantins, les motifs
étaient surtout politiques : obtenir des secours contre les Turcs. C'est ici le
cas de dire « passé le
péril, adieu le saint ! »
La même manœuvre devait être renouvelée en 1439 au
concile général de Florence qui, lui aussi, proclama une nouvelle fois l'union
avec les Grecs, avec aussi peu de durée, car bientôt Constantinople devait être
prise. A Lyon, pourtant, les Grecs avaient proclamé leur soumission à l'Eglise
de Rome; et chanté le fameux « filioque »
Saint
Bonaventure avait fait le discours. Peu de jours après, sa mort endeuillait
tout le concile qui assista à ses obsèques, sous la présidence du Pape. Il est
à noter que certaines constitutions votées par le concile au sujet du conclave
sont encore en vigueur substantiellement.
Détail
curieux : à ce concile de Lyon en 1274, parmi les personnages présents, il y eut un pauvre ermite
des Abruzzes, fondateur d'un ordre réformé franciscain : Pierre
Morone, venu pour réclamer l'approbation
pontificale. Nul ne se doutait alors qu'exactement vingt ans plus tard, en 1294,
ce saint homme serait élu souverain pontife
et qu'après quelques mois de règne il abdiquerait par humilité. C'est saint Pierre Célestin, et le
nom de ses religieux est resté à un quartier de
notre ville où était une de ses fondations.
Quelques grands archevêques.
Que
de choses il faudrait dire et sur lesquelles, hélas, il faut passer rapidement
ou dont on ne peut faire qu'une simple mention, par exemple dans ce chapitre
primatial ! Sept de ses membres ont été l'objet d'un culte public, six
sont parvenus au souverain pontificat. On ne compte pas moins de quatre-vingt-cinq de nos
chanoines devenus évêques sous l'Ancien Régime.
Mais
je veux m'arrêter de préférence à quelques-uns de nos grands archevêques que j'ai déjà
nommés. Ils pourraient être de ces saints de l'âge antique que j'ai déjà dits,
ou encore plus près de nous Agobard (814-840) le premier chez qui fut assuré le titre
d'archevêque, ou ce Jean de Bellesmains (1182-1193) qui fut une des grandes figures de l'épiscopat au
Moyen Age. Il était anglais d'origine et fort lié dès sa jeunesse avec celui
qui devait être un martyr en grand crédit à Lyon : saint Thomas Becket.
C'est lui qui fut aux prises avec les Vaudois et malheureusement il ne trouva pas chez le
chef du mouvement la soumission à l'Eglise qui fut trente ans plus tard celle de
François d'Assise. C'est lui qui fonda le chapitre de Fourvière uni au chapitre
primatial. Il résigna son siège en 1193
pour vivre dans la retraite au
monastère de Clairvaux où il mourut saintement, probablement en l'an 1200.
Laissez-moi
m’attarder une minute à quelques-uns de nos grands prélats du XVIIè
siècle, à trois d’entre eux, qui à peu de chose près, couvrent le siècle et ont
eu une influence heureuse et durable dans l’œuvre considérable de la
Contre-Réforme : assurément cette œuvre de restauration religieuse a été
une œuvre collective qui a fait de Lyon et du diocèse, une ville et un diocèse
profondément religieux.
Denys Simon de Marquemont qui fut archevêque de Lyon, quatorze ans durant
(1612-1626) et à la fin de sa vie, cardinal-prêtre du titre de la
Trinité-du-Mont, subit l’influence rayonnante de saint François de sales, qui
devait mourir à Lyon en 1622.
Monseigneur
de Marquemont avait été d’abord, pour la France, auditeur de rote à Rome. Il favorisa beaucoup les établissements de communautés religieuses qui datent de lui : Oratoriens, Capucins, Carmes, Carmélites, Augustins,
Visitandines et combien d'autres. Plusieurs de nos paroisses lyonnaises ont pour église les
chapelles de ces fondations à la Guillotière, à la Croix-Rousse, à
Saint-Polycarpe. Surtout, le temps qu'il ne fut pas ambassadeur à Rome,
par la confiance du roi Louis XIII (1617 et 1622), il l'occupa en très grande
partie à la visite de son immense
diocèse. Il faut lire le journal de ces visites dans l'Ain qu'on
a publié, pour se rendre compte des misères amenées dans nos campagnes par
les guerres de religion. Partout des ruines matérielles et plus encore morales - saint Vincent de Paul, je l'ai dit déjà,
fut curé sous son épiscopat dans la Dombe.
Il
mourut à Rome
le 16 septembre 1626 au cours d'une dernière ambassade. Il n'avait que 54 ans.
Le Cardinal Alphonse du Plessis de Richelieu (archevêque de
1628 à 1653,
soit vingt-cinq ans). Il était frère du ministre de Louis XIII. Nommé, à la
mort de son oncle, évêque de Luçon en
1605; il se démit avant d'être sacré en faveur de son frère Armand et se fit Chartreux.
Le
roi le tira de cette retraite pour en faire vingt ans plus tard un archevêque
d'Aix-en-Provence, et en 1628 un archevêque de Lyon. La même année, il était promu
cardinal. On sait qu'envoyé en ambassade à Rome il hâta son retour dès qu'il
apprit que la peste ravageait Lyon. Il donna alors les plus grandes marques de
dévouement et de charité qui ont popularisé sa mémoire. C'est lui qui fonda le
couvent de l'Annonciade céleste, qu'occupent aujourd'hui les Sœurs de
Saint-Charles.
Grand
aumônier de France, chevalier du Saint-Esprit, proviseur de Sorbonne, présidant les
Assemblées du Clergé, tous ces honneurs n'avaient diminué en rien sa ferveur religieuse et son
humilité. Une histoire récente de sa vie l'appelle « un frère méconnu » du grand cardinal de Richelieu.
Il
y a du vrai dans cette appellation. Notre archevêque a été
comme éclipsé par la gloire de son frère, sans doute le plus grand ministre
qu'eut jamais la monarchie.
Notre
gratitude ne nous permet pas d'oublier le grand archevêque dont la carrière
sainte est si bien résumée dans l'épitaphe (Pauper natus sum, paupertatem vovi, pauper morior : inter pauperes sepeliri volo) de
son tombeau qu'il avait voulu très simple, et dans la chapelle de la Charité.
On a placé récemment ses restes dans notre Primatiale.
Camille
de Neuville Villeroy, successeur du
cardinal de Richelieu, naquit à Rome le 22 août I606, où son père était alors ambassadeur
du roi. Il eut pour parrain le Pape lui-même, ce qui n'est pas commun. Ce Pape
est Paul V Borghèse, celui qui acheva la basilique de Saint-Pierre de Rome.
Nommé archevêque de Lyon, il fut sacré ici même dans la Primatiale le 29 juin
I654. Il devait demeurer archevêque de Lyon trente-neuf ans, puisqu'il mourut à quatre-vingt-sept ans. Son épiscopat
fut extraordinairement rempli et s’il est une seule de ses fondations qu'il
faille mentionner, c'est celle du Séminaire diocésain qu'il confia à Messieurs
de Saint-Sulpice qui le dirigent toujours et qui, depuis trois siècles, ont
formé le clergé lyonnais, le marquant de la forte spiritualité de l'Ecole
Française : Bérulle, Condren, Olier…
Et
je voudrais encore mentionner un autre archevêque de Lyon, c'est le Cardinal Fesch, oncle de Napoléon, demi-frère de
Madame mère.
Il
prit possession du siège primatial le 2 janvier 1803 et quitta définitivement
Lyon en 1815 pour s'établir à Rome où il mourut en 1839. On sait le grand rôle de Monseigneur de Pins, administrateur apostolique du diocèse durant l'absence
forcée de Fesch.
Le
mérite très réel de Fesch est d'avoir su s'entourer d'administrateurs de valeur
qu'il soutint avec fermeté - et aussi d'avoir su user avec habileté d'un crédit
qui parfois fut grand sur son impérial neveu.
Après
la Révolution, une œuvre immense restait à entreprendre. Ce qui suffit à illustrer ce pontificat, c'est de
constater que ce diocèse a vécu un siècle sur la réorganisation dirigée par
Fesch.
C'est
simple justice de mentionner à côté du nom de l'archevêque
celui de son vicaire général, le
chanoine Courbon qui avait toute sa confiance (Monseigneur Bourchany était
l'arrière-neveu de Courbon). On peut ajouter aussi que l'œuvre de restauration
religieuse avait été singulièrement préparée par Linsolas. C'est lui, vicaire général de
Monseigneur de Marbeuf qui eut l'idée de génie d'organiser, aussitôt après la Terreur, des
missions itinérantes à travers
le diocèse. On peut dire que Linsolas a sauvé la vie religieuse du diocèse à une époque particulièrement critique
et a ainsi préparé le renouveau religieux dont bénéficia Fesch.
Il
y a dans l'épiscopat du Cardinal Fesch une décision capitale qui lui fait le plus grand honneur, c'est d'avoir voulu restaurer, envers et contre tout, le pèlerinage de
Notre-Dame-de-Fourvière, et d'avoir abouti. Fesch avait obtenu, sur les
instances de Napoléon, que le Pape vint sacrer l'empereur. Pie VII eut ainsi
l'occasion de passer deux fois à Lyon, où sa venue provoqua un merveilleux
enthousiasme. C'est par lui que la chapelle de Fourvière fut réouverte et il y
célébra la messe le 19 avril 1805. Cela fut le départ d'un essor religieux
d'une immense portée (Fesch a voulu choisir Fourvière entre les
différents projets qu’on présentait pour le pèlerinage : Saint-Just,
l’église des Chartreux, etc., car il était très difficile de racheter
Fourvière).
Je
m'arrête et comme à regret.
La
richesse religieuse de ce diocèse de Lyon est grande. Depuis dix-huit siècles, sur notre
sol, le nom du Christ Sauveur est proclamé, signe d'invincible espérance des
générations.
Il
n’a été possible que d'effleurer le sujet. Du moins puis-je espérer avoir dit
l'essentiel pour raviver nos fiertés légitimes et nous inspirer une nouvelle
ferveur.
Ne
serons-nous pas, mes frères, dans la ligne spirituelle du Bimillénaire si, avec
l'aide de Dieu, sous la protection de Notre-Dame, dont la place est ici
rayonnante dans l'histoire de notre cité, nous nous efforçons de nous montrer
toujours plus dignes de notre grand passé ?
Nous
ne saurions voir en lui seulement un honneur merveilleux. Il doit être surtout
le principe du devoir impérieux qui incombe aux générations d'aujourd'hui et de
demain de garder les traditions glorieuses qui, avec beaucoup d'autres, ont
donné à Lyon
dans l'histoire de la France et du monde un si magnifique relief.
Cardinal Pierre-Marie Gerlier