LETTRE
de Son Eminence le Cardinal GERLIER
Archevêque de Lyon
aux fidèles de son Diocèse
sur le
DENIER DU CULTE
Lyon, 23 février 1942
MES BIEN CHERS FRERES,
J'ai déjà, en 1939 et 1940, signalé à
votre générosité l’indispensable nécessité d’accroître les ressources du Denier
du Culte, dont l'insuffisance notoire nous condamne à laisser dans une
situation précaire et parfois douloureuse un grand nombre de nos prêtres. Vous
avez entendu ces appels, et je veux tout d'abord vous en remercier. La quête du
Denier du Culte, qui produisait en 1939 1.930.000 francs, a fourni en 1940
2.230.000 francs et en 1941 a dépassé 2.300.000 francs. Croyez que je mesure
avec gratitude la réalité de l’effort fourni par beaucoup d’entre vous.
Mais, bien qu’il m’en coûte de revenir
à l’heure actuelle sur un problème de cette nature, j’ai le devoir de vous dire
très simplement, mes bien chers Frères, que nous nous trouvons encore devant de
grandes difficultés pour assurer à nos prêtres les humbles conditions
d’existence dont ils n’hésitent pas à se contenter. Je vous demande en
conséquence de généraliser ou d’intensifier l’effort accompli afin
que disparaissent toutes les situations pénibles que le peuple chrétien ne
saurait accepter sans manquer à son devoir envers ceux qui consacrent leur vie
à son service.
Je n’ai pas à vous rappeler, parce que
vous les connaissez, les raisons qui obligent tout fidèle à contribuer,
dans la mesure de ses ressources, à l’entretien du clergé. Il y a là une dette
de justice et un devoir de charité affirmés par le Sauveur dans l’Evangile
(Saint Luc X, 7), par saint Paul (I Cor. IX,
13-14), et consacrés par la tradition constante de l’Eglise.
Je voudrais simplement vous faire
toucher du doigt la nécessité pratique du nouvel effort auquel je vous invite
paternellement. Le produit de la quête du Denier du Culte parait élevé :
2.300.000 francs. Mais si vous pensez que notre diocèse compte, en chiffre
rond, 1.600.000 âmes, il en résulte que la cotisation moyenne par tête
d'habitant ressortit à 1 fr. 40, ce qui est en vérité un taux bien faible,
alors que, non loin de nous, des diocèses plus pauvres atteignent le chiffre de
3 et 4 francs par tête d’habitant.
Si vous remarquez surtout que le nombre
des prêtres qui travaillent actuellement dans le diocèse est de 1.400 (au lieu
de 2.000 que nous comptions aux environs de 1900), vous comprendrez comment
nous en sommes réduits à leur attribuer, malgré certains relèvements récents,
des traitements vraiment infimes : 3.000 francs pour les Archiprêtres,
2.800 francs pour les Curés, 600 francs pour les Vicaires, que ne peuvent pas
évidemment compléter de façon suffisante les honoraires de messes, même en
tenant compte du taux nouveau, ni le casuel, dont l'importance est souvent
minime. Si vous ajoutez enfin que l’heureux et nécessaire développement
de l’Action Catholique nous oblige à assurer l’existence d’Aumôniers, que nous
voudrions bien plus nombreux, et qui ne disposent d’aucun casuel, vous pouvez
vous représentez l’embarras où nous sommes pour fournir à vos prêtres cette
rémunération, dont l’insuffisance pourtant, dans les conditions présentes de la
vie, doit provoquer chez vous comme chez nous un sentiment de tristesse
humiliée.
Veuillez considérer, en effet, que
l'accroissement énorme du coût de la vie a entrainé partout une ascension
considérable du taux de tous les traitements et salaires. Le personnel de
l’enseignement libre et le clergé n’en avaient, hélas ! à peu près aucunement
bénéficié. Les allocations que nous espérons recevoir prochainement de
l'Etat pour nos écoles vont être à peu près intégralement affectées à relever
les traitements misérables des maitres et maitresses qui y travaillent avec un
si méritoire désintéressement. Nos prêtres seront donc les seuls peut-être à
subir souvent encore des conditions si disproportionnées avec les nécessités
actuelles.
Permettez à votre Archevêque de vous
dire avec confiance ce que leur discrétion les retient d’exprimer. Le
nombre est grand parmi eux de ceux qui vivent dans une sorte de misère,
soucieux encore de soulager autour d'eux d’autres détresses. Songez aux
privations qui en résultent, aux réelles souffrances de quelques-uns, et aux
vieillards usés qui doivent se refuser l'aide d'une domestique. Je m’en
voudrais d'insister. Vous n'accepterez plus qu‘il en soit ainsi.
Mais j’entends la question de beaucoup
: combien faut-il donner ? Il appartient à chacun d’apprécier en conscience ses
possibilités. Une formule a été proposée, que pourraient retenir ceux qui en
ont le moyen : donner le montant d'une journée de salaire, de traitement ou de
revenu. Ceux qui ne sauraient aller jusque là pourraient fixer leur
cotisation à la moitié, ou à une autre fraction du gain journalier.
L’important est que chacun s’impose ici
un certain sacrifice : qu’il n’y ait plus dans le diocèse, où ils sont
actuellement trop nombreux, de chrétiens qui s’abstiennent de participer au
Denier du Culte ; et qu’on n'oublie pas que, du fait de la valeur actuelle de
l’argent, qui donne simplement le double du chiffre d’avant l'autre guerre
donne en réalité trois fois moins.
Souvenez-vous, mes Frères, de ce que je
vous ai si souvent dit. Rien n’est plus urgent pour le relèvement de la France
que sa rechristianisation. Le prêtre apparait ainsi comme un ouvrier nécessaire
au redressement national. C'est à la fois la Patrie et l’Eglise que vous servirez
en lui permettant de poursuivre, dans la dignité simple et modeste à laquelle
il aspire, sa grande tâche de salut.
Je vous exprime à l’avance toute ma
gratitude, en vous renouvelant, mes bien chers Frères, l’assurance de mon
affectueux dévouement en Notre-Seigneur et Notre-Dame.
† Pierre-Marie Cardinal GERLIER,
Archevêque de
Lyon.
Cette
lettre devra être lue dans toutes les églises paroissiales et chapelles le
dimanche 1er mars. Un tirage à part va en être fait, et sera à la
disposition de MM. les Curés.