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Le Cardinal Gerlier en Espagne

1941

 

 

 

 

 

Du 9 au 16 juin 1941 le Cardinal Gerlier est en visite en Espagne. Il est accompagné de l’évêque de Carcassonne et de son secrétaire. On peut reconstituer les moments forts de ce séjour à partir des articles parus dans la Semaine religieuse du diocèse.

 

Celle-ci donne le sens de ce voyage du Cardinal en Espagne :

 

Quels motifs l'y avaient conduit : Deux missions précises, l'une et l'autre religieuses : il avait d'une part à inaugurer et à bénir l'église restaurée de Saint-Louis-des-Français, et d'autre part à annoncer la reprise, dès le mois d'octobre, d'une chaire française de théologie à l'université fameuse de Salamanque. Il partait en outre chargé d'un message d'amitié du maréchal Pétain au général Franco, mais sans d'ailleurs que le caractère essentiellement religieux de son voyage fût par là modifié ; ce n'était pas une mission politique, mais il est vrai que le cardinal se réjouissait de cette occasion qui lui était offerte de resserrer entre les deux nations latines et chrétiennes les liens d'une sympathie qui importe aux intérêts du monde entier.

(Semaine religieuse, 1941, p.406-407)

 

 

 

LUNDI 9 JUIN

 

Le voyage commence à Barcelone où le Cardinal reçoit la presse espagnole à la Chapelle française. Puis le Consul offre un dîner en l’honneur du Cardinal, en présence des autorités civiles, religieuses et militaires de Catalogne.

 

 

 

MARDI 10 JUIN

 

Le Cardinal célèbre la messe à la Chapelle française. Après une réception au Consulat, il part pour Saragosse.

 

 

 

MERCREDI 11 JUIN

 

A Saragosse, le Cardinal célèbre la messe en la basilique Notre-Dame-del-Pilar en présence de la colonie française, puis est reçu par le Chapitre de la cathédrale.

 

Il part ensuite pour Madrid. Il réside durant cinq jours à l’ambassade de France.

 

 

 

JEUDI 12 JUIN

 

Après la messe à la Chapelle du Collège Marie-Thérèse en présence de la colonie française, le Cardinal est reçu par le ministre des affaires étrangères.

 

Il visite ensuite le Musée du Prado, puis un déjeuner est servi à l’ambassade en son honneur.

 

A 18 heures il préside la procession de la Fête-Dieu dans les rues de Madrid.

 

 

 

VENDREDI 13 JUIN

 

Le Cardinal part à Tolède, « capitale religieuse de l’Espagne » ; il célèbre la messe sur les ruines de l’Alcazar au pied de la statue de Charles-Quint. Puis il visite la cathédrale et la « Chapelle mozarabe où le culte est célébré selon une antique liturgie unique au monde et destinée à commémorer l’époque où les catholiques de Tolède étaient soumis aux Maures mais demeuraient fidèles à leur foi ».

 

En fin de matinée il est reçu au Palais du Pardo, en présence de l’ambassadeur de France, par le généralissime Franco auquel il remet un message personnel du Maréchal Pétain.

 

 

 

SAMEDI 14 JUIN

 

Le Cardinal inaugure l’église Saint-Louis-des-Français qui vient d’être restaurée et rendue au culte. Il y est accueilli par M. Pietri, ambassadeur de France :

 

Éminentissime et révérendissime Seigneur, au nom des Français de Madrid, je suis fier de saluer sur ce seuil de chapelle reconstruite, la plus haute et la plus illustre personne de l'Eglise de France ; l'honneur que leur fait Votre Eminence se mesure moins à l'éclat de son nom et à la grandeur de sa charge qu'à la bienveillance extraordinaire qui daigne mêler à cette humble cérémonie la pourpre et la bénédiction romaines.

L’église où vous pénétrez, Monseigneur, bâtie en 1617 et placée sous l’invocation de saint Louis a entendu les prières de vingt générations de Français, attachés à cette terre de Castille, d’où le fils de la reine Blanche tirait la moitié de son sang, par leur travail, leur tendresse et leur piété. Insérée dans le cœur populeux de Madrid, ouverte à la dévotion de tous, elle atteste, d'autre part, que la communauté de la vraie foi maintient inséparablement jointes, à travers leur histoire tourmentée, l'Espagne des rois catholiques et la France des rois très chrétiens.

En permettant que les fureurs de la guerre civile jetassent bas ce sanctuaire, Dieu a donc voulu, par sa merveilleuse providence, qu'une église française prit sa part des dommages et des désolations de la grande pitié des églises d'Espagne.

Mais comme ses sœurs douloureuses, la voici qui renait de ses cendres et qui chante aujourd'hui par la voix retrouvée de ses orgues, l'éternel triomphe du Christ sur les forces de la haine et du mal.

Monseigneur, la joie française qui vous entoure ne saurait être complète, patriote, savant, soldat valeureux de la grande guerre, vous sentez mieux qu'un autre le deuil qui la traverse et qui tire un voile invisible sur l'appareil de cette fête. Mais l'espérance qui, des trois vertus théologales, est celle dont notre pays, si souvent déchiré par la discorde ou la guerre, a montré le plus étonnant exemple, nous fait croire à sa résurrection et à son rachat comme à un dévouement tutélaire, permis par Dieu et qui commanderait la loi secrète de son destin.

En plaçant le Maréchal sur les ronces de sa route, au bord même de l'abîme où la poussait son infortune, Celui qui gouverne les empires a voulu donner une fois encore à la France des croisades et des missions, à celle dont le Glorieux Patron de cette église incarne la vocation séculaire, la preuve infinie de sa miséricorde et de sa grâce.

Aussi bien tiennent-ils, Français d'Espagne, hôtes affectueux d'un pays qui, avec plus de constance encore que le nôtre, a servi de rempart à la pensée du Christ et qui lui consentait, hier, un si terrible holocauste, à renouveler, ici, l'ardente profession de leur fidélité au chef de leur confiance en Dieu.

Dites au Maréchal Monseigneur, que, venu de France avec ce message, vous êtes reparti d'Espagne avec leur serment. Que cet autel, au pied duquel vous le recevez et qui a surgi sur d'autres degrés, soit le symbole de la volonté française et le très saint hommage d'une patrie refaite.

 

Le Cardinal, avec à sa droite l’Ambassadeur, préside la messe célébrée par l’évêque de Madrid.

 

Au moment de l’Evangile, le cardinal Gerlier a prononcé une allocution où il a exprimé sa joie de présider une semblable réunion. Après avoir retracé les étapes de son voyage en Espagne, il a évoqué la figure du maréchal Pétain, chef d’une France qui veut renaître. Il a ensuite établi un parallèle entre les blessures qu’ont subies la France et l’Espagne. L’une et l’autre, derrière leur chef, ont entrepris cette œuvre de redressement qui, par une plus grande justice sociale et un culte plus beau de la patrie, ne peut durer que par un retour aux traditions chrétiennes qui ont fait la beauté et la grandeur de ces deux pays. S’appuyant sur leur foi retrouvée, la France et l’Espagne seront ainsi plus unies que jamais.

(Semaine religieuse, 1941, p.364)

 

L’après-midi le Cardinal part visiter L’Escurial à quelques kilomètres de Madrid.

 

Le soir a lieu un dîner officiel à l’ambassade de France.

 

 

 

DIMANCHE 15 JUIN

 

Le Cardinal part pour Salamanque et s’arrête en cours de route à Avila.

 

Arrivé à Salamanque il préside la procession solennelle de la Fête-Dieu.

 

Après le déjeuner il part visiter le Carmel de Albi-de-Tormes où sont conservées les reliques de sainte Thérèse : « conformément au privilège accordé aux seuls chefs d’Etat et aux membres de la curie romaine, le Cardinal s’est fait ouvrir la clôture afin de vénérer le cœur de sainte Thérèse ».

 

Puis de retour à Salamanque, il inaugure la chaire française de théologie et de droit canonique à l’Université de Salamanque ; il s’agit de la restauration de la chaire fondée au XIIème siècle. Le Cardinal, en rappelant que les Universités de Salamanque et de Paris ont été intimement solidaires dans la naissance de la scholastique et de la philosophie moderne, évoque leur coopération pour la formation de futurs théologiens espagnols et français :

 

Ce trait d'union est nécessaire en ce moment d'angoisse et de douleur que traverse le monde civilisé. La fondation d'une telle chaire est un gage d'espoir comme l'est également la présence d'hommes comme le Maréchal et comme le Caudillo, à la tête de leurs pays.

 

Le soir il revient à Madrid.

 

 

 

LUNDI 16 JUIN

 

Après la messe célébrée chez les Dames de Saint-Maur et une courte visite à Saint-Louis-des-Français, le Cardinal est reçu à l’Institut d’investigation scientifique.

 

Il voyage de nuit jusqu’à Barcelone où il visite des établissements français, puis revient à Lyon.

 

 

 

A son retour il déclare :

 

Je rentre d'un voyage triomphal. Partout nous avons reçu un accueil enthousiaste, partout, au cours de nos nombreuses visites en Espagne, les ovations de la population nous ont suivis.

Le souvenir le plus impérissable, celui qui restera gravé éternellement dans ma mémoire, est la messe que j'ai célébrée dans la cour Charles-Quint, à l'Alcazar de Tolède, devant quelques-uns des héroïques défenseurs de la place. Je l'ai dite, avec quelle émotion, à la mémoire des soldats admirables qui ont écrit avec leur sang une page douloureusement glorieuse de l'Espagne catholique.

Ma rencontre à Madrid avec le colonel Moscardo, qui soutint un siège épique et qui préféra voir immoler son fils que ternir son honneur, fut non moins émouvante.

Le Caudillo s'est écrié à plusieurs reprises : «  Ah ! je l'aime tant, votre Maréchal ! »

A Salamanque, j'ai eu le grand honneur d'inaugurer, dans l'une des plus anciennes universités du monde, une chaire française de théologie et de droit canonique. Dans l'auditoire immense qui m'écoutait, on sentait véritablement l'union étroite qui, dans la chrétienté entière, resserre le peuple espagnol et le peuple français dans les mêmes liens spirituels.

Certes, des souvenirs fâcheux sont à effacer en Espagne comme en France, mais croyez-moi, nous arriverons à un complet accord entre l'Espagne rénovée et la France nouvelle.

(Semaine religieuse, 1941, p.377)

 

La Semaine religieuse résume ce séjour ainsi :

 

Au lendemain du merveilleux voyage en Espagne ressuscitée, — Espagne, aristocratie du monde ! — où Son Éminence le cardinal Pierre-Paul-Marie Gerlier, ancien blessé et prisonnier de la grande guerre, otage de la terrible défaite 1940, porteur d'un message du Maréchal au Caudillo et pieux pèlerin de Notre-Dame del Pilar, présida la procession de la Fête-Dieu et l'hommage unanime du peuple de Madrid au Christ-Roi, puis bénit l'église Saint-Louis des Français, relevée de ses ruines et magnifiquement restaurée, où il recueillit, avec les vivats des Madrilènes, le serment de fidélité des Français d'Espagne au Maréchal Pétain, …

(Semaine religieuse, 1941, p.378)

 

Quelques jours plus tard la Semaine religieuse publie un article du Nouvelliste dont voici un passage :

 

… si l'Espagne s'est déchirée en deux camps ennemis, c'est qu'une partie des Espagnols s'était dressée criminellement contre cette note fondamentale de l'hispanité qu'est le christianisme, attaquant par là la vocation même de leur pays... On a tenté, il est vrai, de le nier, on a osé prétendre que les violences contre les prêtres, les religieuses, les objets du culte dont les rouges se sont rendus coupables n'étaient que les accidents inévitables de la guerre et qu'il n'en fallait pas exagérer la portée. Mais de toute son autorité de témoin que lui donne ce voyage récent, le Cardinal s'élève avec une force extrême contre cette thèse ; elle n'a pu être soutenue de bonne foi que par des esprits mal informés et aveuglés par la passion. La vérité est que le gouvernement rouge s'était engagé délibérément dans une entreprise systématique de destruction antireligieuse. En luttant contre lui, c'est sa personnalité historique que l'Espagne défendait. Car avant tout, pour un peuple, et quoi qu'il doive en coûter, il importe d'être fidèle à son âme, et celle-ci, à bien voir les choses, c’est toujours du côté du Christ qu'il faut la chercher... (Le Nouvelliste de Lyon)

(Semaine religieuse, 1941, p.407)

 

 

 

 

SOURCE : Semaine religieuse du diocèse de Lyon, 1941, pp.360-368, 376-377, 406-408