15ème
anniversaire de la J.O.C.-J.O.C.F.
1942
LETTRE DU CARDINAL
AUX SECRETARIATS GENERAUX DE LA J.O.C. ET DE LA J.O.C.F.
Mes Chers Amis,
Mes Chères Enfants,
Quelques
semaines à peine nous séparent de la grande journée du 21 juin qui solennisera
le XVe anniversaire de notre J.O.C. Déjà la présence est assurée de
plus .de 80.000 jeunes travailleurs dans les neuf Congrès prévus pour
l'ensemble de la zone libre. Combien seraient-ils si toute la France y
participait !
Ensemble ils vont
commémorer quinze années d'ardent labeur, de luttes souvent rudes, de
rayonnement conquérant : une montée splendide à travers bien des difficultés,
mais dans la joie des âmes. Vous avez le droit d'en être fiers. Nous en sommes
fiers avec vous.
Soyez félicités, non
seulement pour tout ce que va évoquer cette manifestation émouvante, mais aussi
pour le beau courage avec lequel vous l'organisez, en dépit de l’âpreté des
circonstances ; pour ce magnifique acte de foi au milieu de nos tristesses ;
pour cette crâne affirmation du grand idéal de la jeunesse ouvrière de France
et de son invincible confiance dans le redressement de la Patrie.
Une fois de plus, vous
allez vous proclamer témoins du Christ dans un monde qui souffre
douloureusement de L'avoir oublié, et sur les ruines d'un ordre qui s'écroule
parce qu'Il lui a manqué. Ne travaillez-vous pas courageusement depuis quinze
ans à Lui rendre sa place dans une organisation sociale où devront être bannies
les dominations hypocrites et les luttes de classes que stigmatisait hier
encore le Maréchal, mais où devra régner au contraire une justice vraie,
garantie par l'amour fraternel. Le même sentiment n’inspire-t-il pas les
bienfaisantes campagnes que vous consacrez à défendre la dignité morale des
jeunes travailleurs, dans laquelle réside, avec la sauvegarde de leur noblesse
de fils de Dieu, celle des loyers qu'ils fonderont demain pour que se transmette
le message et se poursuive la construction des temps nouveaux.
C'est en songeant
précisément à la belle et dure tâche que les événements actuels et les
problèmes qu'ils créent assignent à votre jeunesse — à toute la jeunesse de
France et de l'Empire, à laquelle vous vous sentez unis cordialement pour ce
grand labeur — que vous marchez, résolus et confiants, vers l'avenir. Une
grande espérance soulève, est cet anniversaire, tous les cœurs jocistes. Elle
ne sera pas déçue.
Nous en avons pour gages
l'élan qui anime depuis des mois la préparation de la journée du 21 juin, les
sacrifices, les gestes remarquables de solidarité qui se sont multipliés, la
prière qui jaillit de toutes vos âmes, et qui atteindra son apogée dans la
Veillée populaire du 17 juin.
De tout cœur, à l'exemple
de tous vos évêques, j'y unis la mienne, aux pieds de Notre-Dame, en vous
bénissant avec une reconnaissante et paternelle affection.
‡ Pierre-Marie, Cardinal GERLIER,
Archevêque
de Lyon.
15 mai 1942
SOURCE : Semaine religieuse du diocèse de Lyon, 1942,
pp.270-271
LE DISCOURS DU CARDINAL A LA MESSE DU CONGRÈS DE
LA J.O.C.
M. le représentant du
Maréchal, Messeigneurs, M. le préfet régional. M. le gouverneur, M. le maire,
Messieurs, mes chers amis,
Quel réconfort qu'un tel
spectacle ; voici donc au milieu de nos tristesses une joie vraie, et
parmi nos humiliations une authentique fierté ! Je vous contemple, foule
innombrable venue de partout, malgré des difficultés, les obstacles qui ont
donné tant de prix à l'effort que vous avez accompli pour préparer cette journée
et pour la vivre. Encore faut-il que nous songions qu'à cette heure même, près
d'ici : à Saint-Étienne, à Grenoble ; là-bas à Limoges, à Toulouse, à
Marseille, à Alger, des manifestations semblables se déroulent ; et elles
ne groupent qu’une faible part de la masse indénombrable qui, de partout, unit
à cette heure sa pensée et sa prière à la vôtre, à travers la France tout
entière, dans le recueillement de nos églises ou dans le silence des foyers.
Et je vois là-bas — et vous
les voyez avec moi — dans les stalags lointains, dans les oflags, derrière les
barbelés, la foule des Jocistes qui pensent à vous, qui prient comme vous, qui
espèrent avec vous.
Je les vois aussi dans tous
nos sanas, les jocistes malades, militants véritables au mouvement splendide
que vous incarnez ; et comme j’imagine qu'ils m’écoutent, ah ! laissez-moi le leur dire : je vous salue, Jocistes malades,
ouvriers de ce triomphe, vous qui de vos douleurs, de vos nuits sans sommeil,
de vos tortures morales, avez acheté cette apothéose.
Il n'est pis jusqu'aux
cloîtres eux-mêmes qui ne soient unis par leurs prières à tout ce qui se passe
ici.
Je sais un monastère
lyonnais dans lequel, dès la première heure du jour jusqu'à la dernière, la
prière ne s'interrompera pas pour le succès de la journée
et où, tout à l'heure, la voix claire des jeunes religieuses ébranlent les
vieux murs étonnés de l'ardeur du chant jociste.
Oui ! c'est toute la France, en vérité, qui vibre avec vous, mes
amis, dans ce glorieux anniversaire : toute la France, à commencer par son chef
glorieux qui a voulu être présent au milieu de nous par l’un de ses
collaborateurs intimes que je salue en votre nom. Ce Chef qui, je le sais,
feuilletait hier avec un intérêt paternel le programme de ces journées en
multipliant les questions et qui, demain, s'apprête à recevoir des délégués de
la Jeunesse Ouvrière Chrétienne. Pouvons-nous nous étonner de sentir son grand
cœur si près du vôtre, lorsqu'il y a quelques jours à peine, nous l'entendions,
dans un admirable message, dénoncer l'inertie, les convoitises, l’égoïsme,
souligner les colères qui grondent contre l'injustice, contre la dureté des
cœurs, contre le pouvoir avilissant de l'argent, contre les lâchetés humaines
que la misère du peuple rend aujourd'hui doublement odieuses. N'avez-vous pas
eu l'impression d'entendre à travers les siècles l'écho des paroles des Pères
de l'Église et des lumineux enseignements des Encycliques pontificales ?
Avec le Chef, ce sont
toutes les autorités, celles de l'État, de la cité, de l'armée, des grands
corps constitués qui vous honorent de leur présence et dont je salue les
représentants éminents.
Et c'est l'Église aussi,
l'Église qui bénit avec prédilection, vous le savez bien, ses fils et ses
filles de la J.O.C., l'Église présente en vos personnes, Messeigneurs, et en
tous ces évêques qui, dans chacun des sept congrès, ont tenu à venir, fidèles
au rendez-vous de la Jeunesse ouvrière ; l'Église en la personne du Pape, du
Pape dont le représentant préside à cette heure la grande cérémonie de Saint-Étienne
avec Mgr Bornet, du Pape qui lorsqu'Il s'appelait Pie
XI saluait magnifiquement, dans son encyclique Quadragesimo Anno, la jeunesse qui, dans la masse
ouvrière, accomplit une si belle tâche ; le Pape, qui s'appelle aujourd'hui Pie
XII, et qui vous envoie une bénédiction paternelle, soulignant l'effort que
vous avez accompli pour la sauvegarde de la dignité des jeunes travailleurs en
un télégramme dont j'ai la joie et l'émotion de vous donner lecture.
Sa
Sainteté, informée divers prochains congrès J.O.C., tient à féliciter vivement
dirigeants et tous participants magnifique travail accompli jusqu'ici, faveur
dignité chrétienne jeunes travailleurs. Encourage paternellement intensifier
apostolat et action formative, pour ramener au Christ et à l'Église toute
classe ouvrière dans votre cher pays. Envoie Votre Éminence, tous participants
gage paternelle bienveillance, large bénédiction apostolique. Cardinal MAGLIONE
Devant un tel spectacle,
devant cet empressement de toutes les autorités, je pense à vos origines, à ce
mois de novembre 1927, il y a quinze ans à peine, où j'avais sous les yeux, à
Clichy, les quinze adolescents qui constituaient à ce moment-là toute la J.O.C.
française. Et ma pensée émue va vers vous, admirable Chanoine Cardjyn, semeur magnifique de cette moisson nouvelle ; vers
vous, humble et fervent abbé Guérin, qui avez jeté dans notre terre de France
les premières semences. Comme elles ont fructifié depuis ans ! Maintenant,
c'est la vague qui déferle, c'est la mystique jociste qui soulève les âmes.
Que de difficultés !
Que d'obstacles ! Mais, bien loin de vous décourager, ils ont stimulé vos
efforts et vous vous êtes dressés, fiers, purs, joyeux, conquérants. A ces
foules ouvrières qu'avilissait le matérialisme, vous avez jeté de toute votre
âme l'appel de votre idéal, vous avez crié la noblesse auguste du travail et la
souveraine dignité du plus humble des travailleurs, frère de l'ouvrier divin de
Nazareth. A ce monde qu'écrase l'égoïsme, vous avez rappelé la splendeur
chrétienne du dévouement et la merveilleuse fécondité de l'amour fraternel. A
ceux qu'égare la haine et qui rêvent de luttes fratricides, vous avez opposé,
comme le disait il y a un instant votre interprète, ce peuple laborieux qui
vient prier pour l'union de tous les Français et pour la paix du monde.
Soyez remerciés, chers
Jocistes, c'est au bout du chemin où vous êtes engagés avec tant de courage que
se trouveront les solutions de salut.
N'avez-vous pas été frappés
de l'admirable adaptation de cet Évangile du quatrième dimanche après la
Pentecôte aux besoins urgents du temps où nous sommes. Vous avez entendu tout à
l'heure la lecture. Sur le lac de Génésareth, debout, dans la barque, le Christ
a prêché et soudain il se tourne vers Pierre : « Va vers le large et
jette le filet. — Seigneur, nous avons travaillé toute la nuit sans rien
prendre. Mais puisque vous nous le dites, nous jetterons le filet ».
Et le filet est jeté et il
menace de se rompre et la barque risque de sombrer.
Alors Pierre se jette à
genoux : « Éloignez-vous, Seigneur. — Mais non, mais non, ne crains rien.
Désormais, tu seras pêcheur d'homme. »
Nous l'avons connue, nous,
vos aînés, la nuit dans laquelle on ne prenait rien ou presque rien. La J.O.C
n'avait pas paru... Et voici que soudain fut lancé l'appel jociste... Vous en
savez le retentissement.
Imaginez ce que seraient
les foules si les moyens de transport n'avaient pas mis l'obstacle que vous
savez à leur concentration.
Vous aussi, amis, vous serez
désormais pêcheurs d'hommes, par la loyauté, par la générosité, par l'amour.
Arrière, les découragés ! Sans doute, la tâche est immense encore et la
masse reste à conquérir ; mais un frémissement déjà l'agite au spectacle de
votre vaillance. N'aurait-il pas paru insensé celui qui, il y a quinze ans,
aurait annoncé ce que nous voyons ?
Sur cet autel que vous
venez de bâtir, le Christ va descendre et nous convier à unir nos pauvres
prières à sa prière toute-puissante, nos pauvres souffrances à sa souffrance
rédemptrice. Comment vos cœurs pourraient-ils demeurer hésitants ? Cette
grande espérance qu'affirmait hier le Maréchal, elle doit remplir et galvaniser toutes vos âmes.
Lève-toi donc, Jeunesse Ouvrière chrétienne ; viens semer dans
ce monde désemparé la contagion irrésistible de ta foi et de ton amour.
Sous l'égide de la Vierge
incomparable que nous nommons ici Notre-Dame de Fourvière, et qu'on appelle
ailleurs Notre-Dame de Lourdes, Notre-Dame de France au Puy, Notre-Dame de la
Garde à Marseille, Notre-Dame de Paris, Notre-Dame de Chartres, mais qui,
partout, est la Reine aimée de notre France, redis à la masse ouvrière qui un
jour t'acclamera comme sa libératrice, qu'aujourd'hui comme il y a vingt
siècles, le Christ est le Sauveur du monde : que ceux-là conduiraient
l'humanité à de nouvelles catastrophes qui prétendraient ignorer ou trahir son
message, et qu'avec Lui, avec Lui seulement, il sera possible demain, dans la
justice et dans la fraternité, de rétablir entre les hommes, entre les classes,
entre les races, entre les peuples, cette paix, cette paix divine promise dans
l'ineffable nuit de Noël à tous les hommes de bonne volonté. Amen.
21 juin 1942
SOURCE : Semaine religieuse du diocèse de Lyon, 1942, pp.345-348