Allocution prononcée, à la Primatiale
Saint-Jean,
par Son Eminence le cardinal Gerlier, en
présence du maréchal Pétain
1940
Monsieur le Maréchal,
Cette antique Primatiale,
où j'ai l'honneur émouvant de vous accueillir, enferme dans sa longue histoire
bien des souvenirs glorieux. Le spectacle qui s'y déroule ce matin apportera à
ses annales une page dont nous resterons fiers.
Si le temps m'était moins
mesuré, j'aimerais évoquer devant vous tout ce qui fit de la Cité de Lugdunum
le berceau du christianisme dans les Gaules : cette « aurore
sanglante », illustrée à jamais par l'héroïsme des Martyrs de 177 : persécution
redoutable où, dans le même holocauste, se mélangeait le sang de Pothin, le
vieil évêque de 90 ans, et de Blandine, la petite esclave, que l'Église associe
au Saint Pontife dans un culte qui a traversé les siècles.
Pour m’en tenir à cette
Primatiale elle-même, j'aimerais redire ici un peu de tout ce qu'elle a vu. Car
sous ses voûtes se sont déroulés des Conciles et sont venus prier des Papes et
des Rois. Les travaux de reconstruction — car c'est déjà de reconstruction
qu'il s'agissait — étaient assez avancés en 1245 pour qu'on ait pu y tenir le
XIIIe Concile œcuménique, sous la présidence d'Innocent IV. C'est
ici qu'en 1274 eut lieu, sous la présidence de Grégoire X, le Grand Concile où
fut proclamée la réunion des Églises latine et grecque ; cinq cents évêques y assistaient
avec mille abbés et prélats. En 1316, Jacques d'Euze, élu Pape par le Conclave
dans le couvent voisin des Jacobins, fut couronné dans cette Cathédrale dont il
prit le nom, Jean XXII. Saint Louis y passa, Henri IV y fut marié, Pie VII y a
béni les drapeaux de la Garde Nationale.
Votre présence ici,
Monsieur le Maréchal, demeurera, elle aussi, dans la mémoire de la postérité,
car elle constitue, en une heure historique, un geste singulièrement émouvant.
La France, endeuillée et
meurtrie, avait besoin d'un Chef qui lui montrât la voie du redressement et lui
rendit confiance en son destin. Dieu a permis que vous fussiez là, auréolé
d'une gloire dont l'éclat pouvait suffire à de moins nobles, animé d'un
dévouement patriotique qui vous a rendu plus grand encore à tous nos yeux. Aux
instants les plus dramatiques de notre épreuve, vous vous êtes, en termes
inoubliables, donné à la France. Et la France, remuée jusque dans ses
profondeurs vous a répondu en se donnant à vous.
Avant-hier à Toulouse, à
Montauban, hier à Lyon, vous avez pu mesurer avec quelle ferveur et quelle
confiance elle l'a fait. Ce magnifique peuple de Lyon, dont on vous a peut-être
dit qu'il s'enveloppait de réserve et de froideur, cette grande cité
travailleuse, vouée aux labeurs multiples du commerce, de l'industrie, des
arts, de la vie intellectuelle, de la vie spirituelle, vous avez senti de quel
enthousiasme ils sont capables pour acclamer Celui qui, une deuxième fois,
vient sauver la Patrie.
Hier, pendant que
défilaient là-bas, place Bellecour, sous nos yeux embués de larmes, ces troupes
superbes et ces drapeaux que le malheur, loin d'abolir leur gloire, nous a
rendus deux fois sacrés, avez-vous remarqué. Monsieur le Maréchal, que les
appels vibrants de la foule, d'abord multiples, se sont fondus bientôt en deux
seuls cris : « Vive Pétain ! », « Vive la
France ! » Deux cris ? Mais non : ils n'en font plus qu'un seul. Car
Pétain c'est la France ; et la France, aujourd'hui, c'est Pétain !
Pour relever la Patrie blessée, toute la France, Monsieur le Maréchal, est
derrière vous.
Mais la France, ce ne sont
pas seulement les vivants ; ce sont aussi les morts : morts glorieux de la
victoire, morts douloureux de la défaite, ensevelis dans les sillons sanglants
de la terre ancestrale, ou perdus dans l'immensité des flots, ou frappés en
plein ciel, dans les redoutables combats de l'air. Et nul de vous ne me
reprochera, mes Frères, d'affirmer que les premiers ouvriers de la grande tâche
réparatrice, ce sont eux, qui ont donné leur sang pour l'honneur du drapeau.
Voilà pourquoi, en des
jours semblables, il serait douloureux de les oublier. Voilà pourquoi nous les
avons avec vous salués, hier, Monsieur le Maréchal, au monument qui garde leur
souvenir. Voilà pourquoi nous vous avons conviés à leur rendre, ici, le plus
nécessaire de tous les hommages, celui de la prière.
Merci. Monsieur le
Maréchal, du geste paternel et chrétien qui vous a conduit dans cette
Cathédrale pour vous y associer. Merci aux collaborateurs d'élite dont nous
sommes fiers de vous voir entouré, et à toutes ces autorités, à cette foule où
se confond, sans distinction de classes, tout le peuple lyonnais.
Nos morts, n'est-ce pas
d'eux, mes. Frères, que nous recevons la grande et indispensable leçon ? Au
service de toutes les grandes causes, pour la rédemption de la Patrie
cruellement frappée, il ne suffit pas de l'enthousiasme. Il faut le
renoncement, le don de soi, le sacrifice. C'est par la souffrance quo les
peuples, comme les hommes, se rachètent. Il y a vingt siècles que le Christ
nous l'a appris au Calvaire. Et nos morts nous le redisent après Lui.
Leur immolation a préparé
la formidable tâche : à nous maintenant de l'achever. Et nous ne saurions la
parfaire sans nous engager résolument dans la voie d'abnégation, d'effort, de
travail obstiné, de vaillance devant l'épreuve, à laquelle leur exemple nous
convie.
Ah ! puissent-ils nous
y entraîner d'un irrésistible élan. De la lumière sereine où la miséricorde
divine les a appelés, ils nous répètent l'enseignement séculaire de l'Évangile.
Par votre courage au travail, par votre énergie devant la souffrance, par votre
fidélité au culte du foyer, par la générosité de votre amour fraternel, vous
préparerez des lendemains réparateurs. Fidèles à l'esprit du Sauveur Jésus qui,
dans la Rédemption du Golgotha, a uni tous les hommes, tous les peuples, toutes
les races, vous rêverez d'un relèvement qui ne menace personne ; qui ne
fera couler ni plus de sang, ni de larmes ; mais qui voudrait rapprocher,
dans la justice, dans l'honneur, dans l'amour, tous les fils de Dieu. Et ce
sera le salut de la pauvre famille humaine désemparée, qui s'apercevra, une
fois de plus, que, pour devenir plus heureuse, il lui suffit de devenir plus
chrétienne.
Mais, tandis qu'ils nous
jettent ce bienfaisant appel, ils ont le droit, nos grands morts, d'attendre
l'aide fraternelle de nos prières, qui ne sauraient oublier non plus la
détresse de ceux qui les pleurent. Ensemble, supplions, mes Frères, le Dieu de
justice et de bonté, par la Vierge maternelle qui, du haut de sa colline de
Fourvière, domine et protège la Cité, supplions-le de faire miséricorde à leurs
âmes immortelles et d'apaiser les douleurs que leur disparition a créées.
Est-il un geste qui puisse, plus normalement, unir aujourd'hui tous les cœurs
français ?
Et ne croyez-vous pas
qu'ils répandront, à leur tour, à notre fidélité en confiant au Maître suprême
le rude effort que nous accomplissons ici-bas pour garder le fruit de leur
sacrifice, et en nous aidant à mériter et à rétablir la prospérité et la
grandeur de cette Patrie incomparable que vous nous avez appris, Monsieur le
Maréchal, à aimer encore, s'il est possible, d'un plus généreux amour.
SOURCE : Semaine religieuse du diocèse de Lyon,
1940 pp.4sq