Le
Chancelier Gerson à Lyon
En face du portail de l'église
Saint-Paul de Lyon, un groupe sculpté, niché dans le mur de la gare, montre un
ecclésiastique enseignant un enfant. Il s'agit de Jean Gerson, ou plutôt Jean le
Charlier, dit Gerson, du nom du village dans lequel il naquit en 1363, à Barby,
dans les Ardennes.
En temps ordinaire, rien ne
l'eût attiré à Lyon.
Elève des Ecoles de Rethel puis de Reims, il fit à Paris ses études de théologie jusqu'au
doctorat, conquis en 1395. Très tôt apprécié pour ses dons d'orateur, il eut
par exemple l'occasion de prêcher devant le pape Clément VII d'Avignon contre
le dominicain Jean de Monzon qui niait l'Immaculée Conception, et qui fut d'ailleurs
condamné. Gerson regretta la dureté de la sentence. Ce trait révèle l'homme de
paix qu'il fut toujours, non sans difficultés. Nommé en effet chancelier de
l'Université de Paris, il se trouva, de par ses fonctions, contraint de prendre
position dans les conflits religieux et politiques qui déchiraient alors
l'Europe et la France.
De 1378 à 1417, la chrétienté fut
partagée par le célèbre et scandaleux « grand schisme d'Occident ». Deux
papes, et même trois à un
moment, se disputaient le gouvernement de l'Eglise, suivis chacun par une partie
des Etats européens. Impossible de mesurer les dégâts causés dans les âmes et
dans l'Eglise ; impossible de douter qu'ils furent immenses et de longues
conséquences. Nombreux sont ceux qui en souffrirent, au premier rang desquels
Gerson. Considérant qu'au fil des ans la matière était devenue douteuse, se
sentant incapable de trancher entre les deux compétiteurs, il s'efforça de
faire accepter l'idée d'une solution pacifique pour amener les intéressés à se
retirer ; sans pour cela de moyens brutaux : « A quoi sert de vexer et de troubler les âmes par
l'excommunication ou autrement? A quoi bon rejeter opiniâtrement une partie des
chrétiens de la communion de l'autre? » Ainsi
en vint-il, avec beaucoup de ses contemporains, à penser que le Concile œcuménique
pourrait avoir autorité pour débrouiller la situation. De là à reconnaître
supériorité et autorité du concile sur le pape, il n'y avait, du fait des
circonstances, qu'un pas que Gerson franchit, avec beaucoup d'autres. Il fut,
au concile de Constance, l'un des principaux représentants de cette thèse, et
en même temps chaud partisan d'une réforme qui lui tenait à cœur pour le bien
de l'Eglise. Ce manque de sûreté doctrinale se retrouva chez lui quand il
suivit Guillaume d'Occam et Pierre d'Ailly pour fonder la morale, non sur la
nature humaine confirmée à la nature divine, mais sur la seule volonté de Dieu.
S'il ne fut pas un théologien
très rigoureux, il fut un homme d'action infatigable au service de la paix et
de l'unité de l'Eglise, et un mystique. On a longtemps vu en lui, à tort
vraisemblablement, l'auteur de l'Imitation de Jésus-Christ. C'était
prêter à un riche, car son œuvre en ce domaine est abondante.
Ce fut aussi un pédagogue,
comme les Lyonnais eurent l'occasion de le constater. Il fut conduit dans la
ville par la guerre civile. En 1407, le duc d'Orléans, chef du parti Armagnac,
fut assassiné par les hommes de son cousin le duc de Bourgogne, qui trouva des
théologiens pour le justifier, notamment le savant Jean Petit. Gerson fut
l'adversaire le plus déterminé de ses thèses, qu'il fit condamner jusqu'au
concile. Une fois clos celui-ci, il ne put rentrer à Paris alors aux mains de
Bourguignons, et vint à Lyon,
où l'appelaient à la fois
son frère, prieur du couvent des Célestins, et l'archevêque Amé de Talaru. Il
vécut là dix années de calme, hébergé par le chapitre de Saint-Paul, et se
consacra à l'enseignement des petits enfants dans l'école du chapitre. Il eut
le loisir de rédiger un traité d'éducation, de nombreuses lettres, des poèmes.
Célèbres sont les mémoires qu'il écrivit à Lyon sur la mission de Jeanne d'Arc, pour en affirmer
l'authenticité. Il mourut peu après, le 12 juillet 1429.
Sa tombe fut découverte en
1643, lors de travaux dans l'église Saint-Laurent, qui jouxtait celle de
Saint-Paul, puis à nouveau en 1842, En 1879, l'ingénieur Mangini fit élever par
le sculpteur Bailly le monument cité au début de cette note, et, en 1929, ses
restes furent mis dans un sarcophage placé dans l'église, chapelle des
Trois-Rois, sur les plans des architectes Benoît et Mortamet, surmonté d'un
vitrail de Décôte, toujours en place.
Henri Hours
Eglise à Lyon, 1997, n°16