musée du diocèse de lyon

entrée

Heinrich

père et fils

 

 

 

Par les beaux temps du laïcisme triomphant, il n'était pas banal que fût publié un petit livre de piété, dont l'auteur, sur la couverture, faisait suivre son nom du titre « Doyen de la Faculté des Lettres de Lyon... ». C'est ainsi, pourtant, que Guillaume-Alfred Heinrich, en 1884, présenta, chez Mame, son Livre de persévérance, conseils après la première communion, patronné en plus par trois évêques. Né à Lyon le 4 décembre 1829, élève de l'abbé Noirot, il fut admis à l'Ecole Normale Supérieure en 1848. Un long séjour outre-Rhin l'orienta vers l'histoire de la littérature allemande, qu'il enseigna avec les autres littératures étrangères, à la Faculté des Lettres de Lyon, de 1857 jusqu'à sa mort, survenue le 19 mai 1887 ; il fut doyen de la Faculté pendant quinze ans, de 1871 à 1886.

 

Sur ce que furent son enseignement et son activité au décanat, tous les témoins furent unanimes : Heinrich fut l'un de ceux qui contribuèrent le plus à tirer l'enseignement universitaire de l'éloquence superficielle héritée du romantisme, dans laquelle il s'entretenait trop volontiers, et à y développer une spécialisation scientifique fondée sur une vaste culture intellectuelle. Quant à ses publications sur l'Allemagne, en particulier son Histoire de la littérature allemande, elles firent autorité.

 

G.-A. Heinrich ne fit jamais mystère de sa foi catholique profonde, qui le porta à s'engager activement. Secrétaire de la Société Saint-Vincent de Paul, confrère du Saint-Sacrement, membre des Hospitaliers-Veilleurs, membre du conseil de fabrique de la Rédemption ; il fut en outre agrégé à la Congrégation, dès 1864. Politiquement, ses sympathies allaient à la monarchie, une monarchie libérale, comme l'indiquent ses amitiés, par exemple avec Monseigneur Thibaudier, sa collaboration au Correspondant et tout son comportement tout au long de sa vie publique.

 


 

En un temps où cela n'allait pas de soi, il sut, avec une maîtrise, un équilibre, un esprit de paix fondés sur une vraie vie spirituelle, se donner à la fois à son enseignement dans l'Université laïque, et à l'apostolat de l'intelligence et de la charité, suivant en cela l'exemple d'Ozanam, à la famille duquel le liait une étroite amitié. Cet équilibre se manifesta notamment quand se prépara la loi de 1875 sur la liberté de l'enseignement supérieur. Partisan résolu de cette liberté, il réclamait en même temps le contrôle de l'Etat sur les diplômes des professeurs des Facultés libres, afin de garantir la valeur des titres qu'ils pourraient délivrer. La position des hommes libres et inclassables est rarement confortable : ne se sentant plus en faveur au ministère, il préféra, en 1886, ne pas solliciter un nouveau mandat de doyen.

 

Son troisième fils, Pierre, né à Lyon le 8 juillet 1874, hérita la tradition paternelle, légèrement infléchie, toutefois, sous l'influence des luttes politico-religieuses au milieu desquelles il grandit et se forma. Elève au lycée Ampère, agrégé d'histoire, docteur ès-lettres, il enseigna en divers lycées avant de prendre en 1917 la chaire d'histoire de la « khâgne » de Lyon. Le professeur qu'il fut, un élève, un collègue, son proviseur devaient le dire lors de ses funérailles : conscience professionnelle, qualités d'éveilleur d'âmes, loyauté, serviabilité. Comme son père, il se consacra au métier de professeur.

 

Comme son père membre de la Congrégation (1923), il fut comme lui confrère des conférences de Saint-Vincent de Paul, dont il présida jusqu'à sa mort, survenue le 6 mai 1936, le Conseil particulier de Lyon. Sous sa présidence, le nombre des conférences passa de 25 à 43, et c'est lui qui assura la fondation, par Mademoiselle Waltz, de la première conférence féminine.

 

Il est resté surtout comme le refondateur des Professeurs catholiques de l'Université (« Paroisse universitaire »). Le fondateur, Joseph Lotte, avait été tué à l'ennemi en décembre 1914. Avec deux collègues lyonnais, Pierre Heinrich relança le Bulletin, qui reparut le 15 décembre 1917 et qu'il anima désormais. C'est lui qui, à Pâques 1922, créa la première des « Journées universitaires » annuelles. Il se trouvait de fait, et de façon informelle, diriger de Lyon le mouvement national. Ses sympathies actives et notoires pour l'Action Française, connues du cardinal Maurin qui lui garda jusqu'au bout toute sa confiance, provoquaient dans le mouvement de fortes tensions. Désireux de sauvegarder la vie de l'œuvre, Heinrich laissa la place : à la rentrée de 1928, il suspendit la parution du Bulletin, et passa la présidence du groupe de Lyon à André Latreille, pour n'en être plus qu'un membre assidu et effacé. Ce qui permit une réorganisation du mouvement, et le transfert de sa direction à Paris.

 

 

Henri HOURS

Eglise à Lyon, 1998, n°9