Les Hospitaliers-Veilleurs
Il y a deux
ou trois ans, a disparu la plus ancienne société charitable de Lyon. C'est en
1764 en effet, que la
créèrent, sans le savoir encore, deux ouvriers en soie, Claude Pillet et Hugues
Morel, et un tailleur d'habits, Joseph Pelletier. L'un d'eux, malade, ayant été transporté à
l'Hôtel-Dieu, les deux autres allèrent le visiter et l'aidèrent dans quelques
soins de toilette et de propreté. Ils en firent profiter les malades voisins,
et voilà comment tout commença. Les trois amis se connaissaient depuis
longtemps, ayant appartenu à la Congrégation des Artisans, l’une des sociétés mariales entretenues par la
Compagnie de Jésus, à Lyon comme dans toute l'Europe. Privée de ses directeurs par l'expulsion des jésuites en 1762, et dissoute par nécessité, elle
survivait dans l'amitié de ses membres.
Avant la
fin de l'année, un quatrième compagnon s'agrégea aux premiers, Jean-Pierre
Monoizerand. En effet,
sorti de l'hôpital, le malade s'était joint à ses deux amis, et tous
continuaient l'activité secourable. En 1767, étant maintenant une quinzaine, ils éprouvèrent
le besoin de s'organiser, et Monoizerand fut le premier syndic de la nouvelle « Compagnie de l’Oeuvre
manuelle de la Miséricorde chrétienne ». Quarante en 1773, ils étaient soixante-huit en 1782. Ils
se partageaient en trois sections. Les Adorateurs
pratiquaient chaque dimanche l'adoration du Saint-Sacrement. Les Catéchistes se consacraient à préparer
les enfants au catéchisme paroissial. Les Hospitaliers
visitaient les pauvres à domicile et
chaque dimanche et fête, ils allaient dans les hôpitaux et les prisons
réconforter détenus et malades qu'ils lavaient, rasaient, peignaient. (…)
La
Révolution vint semer le trouble. Arriva en effet le moment où l'on ne put plus
prier ouvertement dans les hôpitaux. Mais surtout la compagnie se divisa sur la
Constitution civile du Clergé, que les uns acceptèrent, les autres non. Seuls peuvent rester dans les hôpitaux et sauf pendant la Terreur
dans les prisons, ceux qui avaient suivi les prêtres constitutionnels. La
réconciliation se fit enfin, le 15 août 1803, et la restauration officielle, à la
Saint-Etienne suivante. C'est ce jour-là que fut inaugurée la croix distinctive
que les Hospitaliers portèrent désormais sur la poitrine. Le vieux Monoizerand
était toujours là, pour garantir la continuité.
A deux
reprises, la célèbre « Congrégation » s'intéressa aux Hospitaliers :
dès après leur réunion, en 1804, en tentant de les organiser en une « Congrégation des
ouvriers », qui ne vécut
pas. Un nouvel essai, en 1818,
aboutit à la création d'une « Petite Congrégation » qui, elle, subsista comme société de prière,
parallèle à la compagnie des Hospitaliers, liée à la
Congrégation.
Entre
temps, soins et secours traditionnels avaient été repris, et se poursuivaient
auprès des malades, à domicile et dans les hôpitaux, où l'on aimait « les frères
raseurs ». Après 1830, l'Administration
de l'Hôtel-Dieu interdit toute prière et lecture pieuse dans les salles.
Certains confrères se retirèrent, arguant que la raison d'être essentielle de
la Compagnie était l'apostolat, plus que le peigne et le rasoir. Ils quittèrent
l'Hôtel-Dieu pour la Charité et les prisons, et créèrent des cercles
paroissiaux d'éducation populaire, qui eurent du succès. Cette nouvelle
séparation prit fin dès 1837.
En 1850, sous l'impulsion du
cardinal de Bonald, la Compagnie des Hospitaliers s'agrégea celle des
Veilleurs, fondée en 1830 pour
veiller les malades, et dont les membres l'étaient déjà, pour la plupart, des
Hospitaliers. D'où le nom définitif. Dans le même temps, le recrutement de la
Compagnie se nuançait. Y entraient
maintenant des membres de la bourgeoisie, non
seulement comme honoraires et bienfaiteurs, mais comme actifs. Les liens avec
la Congrégation se resserrèrent : de 1859 à 1954, les syndics
des Hospitaliers-Veilleurs furent tous congréganistes.
Au début de
ce siècle (XXe), la compagnie comptait deux cents actifs et deux mille
honoraires. Elle avait dû, en 1879, quitter les prisons (comme les Charlottes). Entre les deux
guerres, les hôpitaux cessèrent d'avoir besoin d'elle. Elle continua de
s'occuper des vieillards chez les Petites Sœurs des Pauvres, des indigents au
Prado, puis se tourna vers les clochards, pour lesquels elle eut de plus en
plus de peine à trouver un
local où l'on voulût bien les accueillir. Le tarissement du recrutement s'ajoutant à ces difficultés,
elle dut se dissoudre, au bout de presque deux cent trente ans de dévouement
méritoire autant que discret au service des pauvres.
Henri
HOURS
Eglise à Lyon, 1994, n°15