musée du diocèse de lyon

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Notre-Dame de l’Ile

protectrice de Lyon

 

 

 

On aimerait pouvoir dresser le tableau et l'histoire des pèlerinages locaux qui attirèrent nos ancêtres : paroissial, cantonal, régional. Depuis longtemps perdu d'oubli, retrouvé dans les archives par les travaux de Madame Cottinet, le pèlerinage de l'Ile-Barbe fut, pendant des siècles, le principal à Lyon. Il avait pour but la chapelle Notre-­Dame, élevée sur l'île, mais hors l'enceinte de l'abbaye, au XIIe siècle semble-t-il. Dès les XIIIe et XIVe siècles, les dons et fondations de princes et de particuliers, les indulgences romaines encouragèrent la dévotion et permirent d'équiper le sanctuaire, dans lequel les Lyonnais aimèrent à venir chercher protection.

 

Par la suite, les aspects matériels du pèlerinage laissèrent dans les archives de l'abbaye des traces abondantes qui permettent de saisir son existence et sa vitalité. D'une part, en effet, l'abbé et ses officiers, responsables de l'île, devaient contrôler les mouvements de la foule. Venus à pieds ou en barques, les pèlerins traversaient le bras de la rivière avant d'aborder au port : il fallait assurer l'ordre, empêcher les querelles entre les bateliers, et les passeurs ayant acquitté un droit de fermage. D'autre part, tout pèlerinage engendre un commerce nécessaire et légitime de menus objets, souvenirs, ex­-voto : des cierges, des figurines de cire. Les marchands, eux-aussi, prenaient à ferme le droit de vente. Et c'est ainsi que la comptabilité de l'abbaye nous informe sur les fluctuations du pèlerinage et du nombre des pèlerins, sur lesquelles, autrement, nous ne saurions rien.

 

L'affluence la plus forte observait un calendrier assez serré. Parmi les fêtes fixes, au premier rang, celles de la Vierge : Annonciation, Assomption, Nativité, Immaculée Conception. Puis celles de saint Georges (23 avril), saint Marc (25 avril), saint Jacques et saint Philippe (1er mai). Enfin les grandes fêtes mobiles : Pâques (avec le lundi et le mardi), l'Ascension, Pentecôte (avec le lundi et le mardi), la Trinité ; il faut y ajouter les trois jours des Rogations. L'essentiel, on le voit, se groupait entre l'Annonciation et la Trinité : le culte de l'Ile-Barbe était un culte de préférence printanier : nos ancêtres avaient bon goût...

 

La dévotion et les invocations à Notre-Dame de l'Ile ne se limitaient pas aux dates et aux circonstances régulières. Au début du XVIe siècle, un marchand lyonnais, Jean Guérin, érigea une croix en bordure du chemin de Lyon à Anse, sur le replat de Balmont à la sortie de Vaise, car, de là, l'île était encore visible et le voyageur, avant d'affronter les dangers et fatigues de la route, pouvait invoquer la Vierge. En 1504, en 1534, durant de grandes misères dues à la disette, c'est vers l'Ile-Barbe que se dirigèrent les processions de pitoyables affamés.

 

Le pèlerinage était même si vigoureux, en cette première moitié du XVIe siècle, qu'il attira une fête plus civique que religieuse, qui eût pu risquer, sinon de l'absorber, du moins de le contaminer. Connue depuis la fin du siècle précédent, et illustrée par les récits de Bonaventure Des Périers en 1539, la procession nautique de l'Ascension fait généralement figure de fête fort joyeuse au cours de laquelle se distinguaient certaines confréries, comme les imprimeurs ou compagnon de la coquille. Mais, comme l'a bien montré M. Rossiaud, organisée par les officiers du Roi assistés des gens de la Basoche, il s'agissait en fait d'une cérémonie rituelle en l'honneur du pouvoir royal.

 

Les guerres de religion ruinèrent l'abbaye et marquèrent le début de son déclin inéluctable. Mais le pèlerinage continuait de vivre. En 1624, par exemple, y vinrent, entre Pâques et Pentecôte, une cinquantaine de paroisses, de Givors à Morancé, de Saint-Galmier à la Saône. Le 14 octobre 1630, quand les deux reines, Marie de Médicis et Anne d'Autriche, voulurent remercier la Vierge pour la guérison inespérée de Louis XIII qui avait manqué mourir dans notre ville, c'est vers Notre-Dame de l'Ile qu'elles se rendirent, à pied.

 

Mais un autre sanctuaire commençait alors de prendre la relève. En 1638, le vœu des recteurs de la Charité contre le scorbut, en 1643 celui des échevins contre la peste, s'adressèrent à Fourvière. Si des pèlerins restaient fidèles, bien entendu, à l'Ile-Barbe, le rôle de protectrice de la cité passait de plus en plus à la Vierge de Fourvière. Après la Révolution, elle devait le retrouver dans toute sa gloire, tandis que l'Ile-Barbe, dépecée par les acquéreurs de biens nationaux, allait perdre définitivement le sien.

 

 

Henri HOURS

Eglise à Lyon, 1996, n°4