Le Calvaire de Saint-Irénée
et
la Confrérie des Saints Martyrs
Ce n'est
jamais sans une légère émotion que l'on pénètre dans l'enclos de l'église
Saint-Irénée. En dépit des voitures en stationnement qui le dénaturent, en dépit
d'une vétusté mélancolique, on se sent dépaysé par les cyprès et les
sarcophages antiques, et comme transporté en un autre temps par le calvaire
monumental et les stations du chemin de croix qui l'accompagnent.
Chronologiquement,
l'ensemble se présente ainsi. La chapelle souterraine du Saint-Sépulcre est la
plus ancienne. On peut penser que son aspect actuel date de son réaménagement,
lors de l'érection du calvaire en 1687 ; là existait, depuis des temps anciens,
une chapelle ou crypte dédiée à saint Antoine. Le calvaire actuel, remplaçant le premier, détruit par la
Révolution, fut érigé en 1815. Un chemin de croix l'avait accompagné dès 1817,
mais il a été lui aussi remplacé : les stations I et XIII, petits temples doriques ouverts à
deux colonnes, à une date inconnue ; les dix stations murales, en 1868, par les
soins de Fabisch. On sait que les stations XII et XIV sont placées
respectivement à la croix du calvaire et dans la chapelle du Sépulcre.
En plaçant
le calvaire derrière le chevet de Saint Irénée, on avait explicitement voulu
fondre ensemble la dévotion à la Croix et le culte des martyrs de Lyon, dont
cette église gardait depuis toujours le pieux souvenir, et auxquels était
vouée, sur les lieux mêmes, une confrérie très ancienne, disparue après les
destructions de l'occupation protestante en 1562, et rétablie en 1643. L'union
des deux dévotions était manifestée par le grand chemin de croix qui, au XVIIIe
siècle, lors de certaines fêtes, partait de l'église Sainte-Croix, à côté de la
primatiale, et, passant par divers sanctuaires en ville, gravissait la colline
et aboutissait à la crypte de Saint Irénée.
Calvaire et
confrérie disparurent pendant la Révolution. En 1805, une croix de bois fut
dressée sur les lieux, tandis qu'à la faveur de la paix concordataire la
religion populaire retrouvait le chemin de la crypte de Saint-Irénée, la crypte
des martyrs. Ce n'est que sous la première Restauration qu'un original,
Christophe Guillaud, songea à restaurer le site. Cet
important manufacturier-négociant, originaire de Saint-Etienne, dont l'esprit
plein de curiosité bouillonnait d'idées sur l'industrie métallurgique au service de la
Marine, était possédé d'une douce et pieuse manie : il avait, à Collonges-au-Mont- d'Or, empli sa propriété de
la Pélonière, de chapelles, de monuments funéraires, de statues en marbre
sculptées en Italie et représentant des personnages de l'antiquité classique et
chrétienne. Il lui parut naturel d'en faire autant à Saint-Irénée, en érigeant un calvaire
accompagné des statues de la Vierge, de saint Jean et de sainte Madeleine ; le
tout fut béni le 3 mars 1815. Guillaud aurait même voulu occuper l'ancien
cimetière par un Jardin des Oliviers, avec le Christ à l'agonie et apôtres endormis ... Il dut se
contenter d'un chemin de croix, achevé en 1817, pour lequel il reçut l'aide de
Matthieu Rusand et de Louis Frèrejean.
Le premier
était imprimeur de l'archevêché et du Roi ; le second, de la famille Frèrejean,
fondeurs de canons, membre de la célèbre Congrégation des jeunes gens (plus
tard, des Messieurs), dont Rusand était lui-même très proche. Or, cette même
année 1817, le curé de Saint-Irénée, M. Durand, voulut rétablir la confrérie
des Saint Martyrs, dont la restauration du calvaire ravivait et enrichissait le
culte. Pour relancer cette société, il s'adressa à la Congrégation. Celle-ci ne put la prendre officiellement
à son compte,
mais plus de soixante de ses membres adhérèrent tout de suite à la confrérie, et son esprit se sent dans le Manuel imprimé à l'usage des confrères. Non seulement on y retrouve
intimement mêlés, dans la liste des prières et des exercices, le culte des
martyrs et celui de la Passion, mais aussi cette pensée éminemment
congréganiste d'une piété apostolique
par la prière, l'exemple, les exhortations: « Ne vous sauvez pas seuls,
Dieu vous a confié le salut de vos frères ».
Ainsi le
calvaire de Saint-Irénée, en sa magnifique position au-dessus de la ville,
est-il l'authentique témoin du renouveau spirituel de Lyon, en ce premier tiers
du XIXe siècle où, réveillées par la persécution révolutionnaire et par le zèle
nécessaire du culte clandestin, la pensée missionnaire et la dévotion aux
martyrs liée à la
contemplation des souffrances du Christ, marquèrent pour un siècle, avec le
culte de la Vierge de Fourvière, le catholicisme lyonnais et nourrirent sa
fierté. (…)
Henri HOURS
Eglise à Lyon, 1995,
n°10