musée du diocèse de lyon

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IRENEE

TRAIT D’UNION ENTRE LYON, L’ORIENT ET L’ARMENIE

 

 

 

 

 

INTRODUCTION

 

 

« Vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie et jusqu’aux extrémités de la terre » (Actes, 1, 8) dit Jésus à ses apôtres avant son Ascension. De Jérusalem, l’Evangile est parvenu en Occident au cours des deux premiers siècles en suivant les chemins des prédicateurs de doctrines, des marchands, des administrateurs et des soldats. Lyon en Gaule, où la présence du christianisme est attestée dans la seconde partie du second siècle, est une de ces “extrémités“. Irénée, le second évêque de Lyon, se présente comme l’héritier de l’apôtre Jean qui a vu le Seigneur, par l’intermédiaire de Polycarpe, évêque de Smyrne, qu’il a connu dans son enfance. A l’Orient de Jérusalem, selon la tradition, l’Arménie, une autre “extrémité“ aurait reçu l’évangile des apôtres Thaddée et Barthélemy avant que la christianisation complète et définitive du pays se réalise grâce à Grégoire l’Illuminateur sous le règne de Tiridate III (252-330). Dans son action missionnaire, Irénée parlait le grec, le latin et sans doute le celte. S’il a écrit son œuvre théologique dans la langue grecque porteuse  de la grande culture hellénistique, paradoxalement cette œuvre nous a été conservée en latin et en arménien.  Les évangélisateurs de l’Arménie ont sans doute utilisé également le grec et l’arménien comme langue parlée, mais au début du Ve siècle, le moine Mesrop donna au peuple arménien son alphabet qui permit de lui transmettre l’Ecriture dans sa langue et d’exprimer par l’écrit la richesse d’une culture où se fondent les apports grecs, perses, syriaques et hébraïques. De prime abord, ces constatations semblent relever d’un simple et banal parallélisme sans conséquences pratiques. Or, il se trouve que le message d’Irénée, enraciné dans l’hellénisme, mais proclamé  dans l’extrémité occidentale du monde de l’époque, a fait le chemin inverse de l’Occident vers l’Orient. L’œuvre d’Irénée a été traduite en arménien. Bien plus, nous ne connaissons un ouvrage d’Irénée, la Démonstration de la prédication apostolique, que par la version arménienne retrouvée au début du XXe siècle. Ainsi, ce qui apparaissait comme un simple parallélisme nous conduit à évoquer la rencontre de deux évangélisations. Nous parlerons surtout de l’évangélisation de Lyon et de la Gaule et de l’œuvre d’Irénée, en pensant que des personnes plus compétentes nous présenteront l’enrichissement mutuel  de ces deux cultures chrétiennes. Après avoir rappelé les mouvements culturels et religieux de l’Orient méditerranéen vers Lyon, nous nous étendrons davantage sur la naissance du christianisme à Lyon dont témoignent les martyrs de 177 et sur l’œuvre d’Irénée.

 

 

 

LYON  CITE MULTICULTURELLE

 

 

Où qu’elle se réalise, l’annonce de l’Evangile s’adresse aux hommes et aux femmes d’une époque et d’un lieu donnés. L’Evangile se sert des moyens du moment : langues et cultures, moyens de communication, structures administratives et politiques. C’est ce que nous devons évoquer maintenant.

 

 

Lugdunum (Lyon), capitale des trois Gaules

 

Colonie romaine fondée en 43 avant Jésus-Christ, près du confluent du Rhône et de la Saône, capitale fédérale des trois Gaules, Lugdunum apparaît d’abord comme « le miroir de Rome dans les Gaules » (A. Audin), et représente un milieu de culture latine dont témoignent les neuf cents inscriptions latines retrouvées à ce jour. Néanmoins, comme beaucoup d’autres régions de l’Empire romain, la cité lyonnaise est cosmopolite et multiculturelle.

 

A partir des conquêtes de la République, les Romains avaient réduit en esclavage et vendu dans tout l’Empire des milliers d’orientaux, dont beaucoup de culture hellénique. Le déplacement de ces esclaves, des militaires, des administrateurs et des commerçants avait contribué à répandre largement l’usage de la langue grecque jusqu’en Occident. C’est ainsi que l’hellénisme avait sa place à Lyon. Une partie des lyonnais était hellénophone.

 

Carrefour économique, culturel et linguistique

Il faut être prudent sur les estimations. Outre que l’on ignore la population exacte du Lyon antique – certains s’accordent sur une cinquantaine de milliers d’habitants – on analyse ses composantes en extrapolant à partir des épitaphes qui nous sont restées. Plusieurs centaines sont rédigées en langue latine, mais quelques dizaines sont grecques ou bilingues. On souligne que les noms grecs sont nombreux dans les épitaphes latines. Toutefois, les épitaphes ne nous renvoient qu’à une infime partie de la population, aux personnages les plus aisés : prêtres, administrateurs, militaires, commerçants, dont elles nous disent l’importance économique et sociale, mais laissent la masse de la population dans l’ombre. D’autre part, les noms grecs, égyptiens, orientaux n’indiquent pas forcément des gens originaires d’Orient mais peut-être seulement une descendance lointaine ou simplement la mode de noms exotiques. Enfin les épitaphes et les textes officiels rendent  mal compte du fait que les populations de la Gaule et donc certainement celle de Lyon, parlaient la langue locale, le celte ou le gaulois. On repère des noms gaulois de lieux et de personnes dans les inscriptions latines, mais dans toute la Gaule, au regard des milliers d’inscriptions latines, on n’en a conservé qu’une soixantaine en langue celtique, et parmi elles aucun document officiel. La langue gauloise de l’époque reste très mal connue et seuls quelques vocables du monde paysan sont passés dans le vocabulaire français d’aujourd’hui.

 

De l’usage des langues, on peut déduire une dimension humaniste en ce sens que des lyonnais pouvaient avoir accès à la littérature latine et grecque. A  travers les monuments et les objets révélés par l’archéologie : architecture, peinture, sculpture, mosaïques, nous pouvons déduire un art de vivre que nous fait découvrir le Musée lyonnais de la civilisation gallo-romaine. Les Lyonnais assistaient à des représentations  dans le théâtre ; poètes et auteurs divers  déclamaient leurs œuvres dans l’odéon. Mais outre que nous n’avons pas la connaissance de ces œuvres, il n’y a rien là de spécifiquement lyonnais. Les jeux du cirque et de l’amphithéâtre appartiennent également à la roman way of life  mais s’agit-il d’un humanisme ?

 

Lyon est un lieu de passage : échanges commerciaux, séjour des empereurs, réunion des représentants autour du temple de Rome et d’Auguste, brassage des religions. On pourrait parler d’un humanisme d’ouverture au monde, du moins aux diverses cultures de l’Empire. L’empereur Claude, natif de Lyon, émet le vœu gravé sur la table claudienne (48 après J.-C.) que des Lyonnais puissent devenir sénateurs à Rome. Les traces des cultes égyptiens sont nombreuses. On a retrouvé à Lyon et dans la vallée du Rhône des sceaux de plomb et des médaillons d’applique portant l’effigie de Sérapis, d’Isis et d’Osiris ainsi que de nombreux objets funéraires déposés dans les tombeaux : oushabtis (statuettes) , amulettes de fabrication égyptienne. Le culte de Mithra, généralement lié aux légions,  est attesté par des découvertes archéologiques : buste du Soleil, dédicace Deo invicto. Plus encore, le culte de Cybèle et d’Attis ou culte de la Grande Mère, originaire de Phrygie, avait une place importante à Lyon, dont témoignent les tauroboles du second siècle. Une inscription grecque retrouvée dans le quartier Saint-Just de Lyon en 1972 associe commerce et prédication d’une bonne doctrine (laquelle ?) chez un personnage venu de Syrie à Lyon :

 

« Euteknios est son surnom, Ioulianos son nom, Laodicée sa patrie, parure admirable de la Syrie. Notable du côté de son père, et sa mère avait un beau rang analogue ; de bon service et juste pour tous, avec en retour l’affection de tous. Quand il parlait aux Celtes, la persuasion coulait de sa bouche. Il a circulé en des nations diverses.  Il a connu des peuples nombreux et, chez eux, exercé la valeur de l’âme. Aux flots de la mer sans relâche il s’est exposé, apportant en présent aux Celtes et à la terre d’Occident tout ce que Dieu a fixé de porter à la terre d’Orient féconde en tous produits, parce qu’il l’aimait, homme qu’il était… »

 

 

 

LE CHRISTIANISME A LYON

 

 

 

Naissance d’une communauté

 

La première description développée de la vie d’un groupe de Lyonnais nous est donnée par le premier historien de l’Eglise, Eusèbe de Césarée (+ 340), dans le cinquième livre de son Histoire ecclésiastique (HE), où il nous a conservé une “lettre des chrétiens de Vienne et de Lyon à leurs frères d’Asie et de Phrygie“. Cette lettre raconte la persécution qui s’est abattue sur la communauté chrétienne lyonnaise en 177. C’est la première attestation du christianisme à Lyon et en Gaule. Ce n’est pas le lieu de raconter ici le déroulement de la persécution. Contentons-nous à travers ce récit de découvrir une affirmation du témoignage de la foi chrétienne qui propose un certain nombre de valeurs. Ces chrétiens sont liés au monde grec et oriental. Sur les 48 martyrs dont les noms ont été conservés, 17 ont un nom à consonance grecque. Il est dit explicitement qu’Attale est originaire de Pergame et qu’Alexandre est phrygien (HE V, 1, 17 et 50). L’esclave Pontique est originaire des bords de la Mer Noire. On ignore d’où sont originaires les autres porteurs de noms grecs comme Pothin, le vieil évêque : immigrés de fraîche date ou descendants lointains d’immigrés ? Certains sont présentés comme gaulois, Maturus et Sanctus, le diacre de Vienne. La majorité est hellénophone au point que l’auteur de la lettre se croit obligé de préciser quand l’un ou l’autre des martyrs s’exprime en latin (HE, V, 1, 20 et 52). La communauté comprend tout l’éventail social, des notables comme Vettius Epagathus, Attale, Alexandre. L’esclave Blandine y côtoie sa maîtresse. Il y a aussi le jeune esclave Pontique. Les chrétiens sont présents partout. On les rencontre aussi bien au forum, lieu de toute l’activité commerciale et judiciaire, qu’aux bains, lieux de la culture et de la détente, qui n’avaient pas toujours bonne réputation.

 

Le témoignage du martyre

 

Minorité religieuse et ethnique, les chrétiens récusent les rumeurs qui courent à leur sujet : crime rituel, athéisme, promiscuité. Leur témoignage dépasse la seule confession de la foi. En risquant un certain anachronisme, on peut dire que les martyrs luttent pour le respect  des droits de l’homme : le combat pour le Christ est en même temps un combat pour l’homme. Les martyrs affirment l’égalité de tous les hommes et l’universalité de la condition humaine. Les chrétiens veulent voir et rencontrer l’humanité de Jésus dans tous les hommes et particulièrement les plus pauvres et les victimes de l’injustice. Ils luttent pour la liberté religieuse, à la fois liberté de conscience et liberté de culte. De la foi chrétienne découle une dimension nouvelle de la vie sociale. La lettre présente l’Eglise comme une mère aimante, comme une communauté d’échange et d’amour. Cette maternité est exercée collectivement par l’ensemble des chrétiens. Pour ceux qui manquent de courage “ce fut comme un avortement“ (HE, V, 1-11). Mais à leur égard, les chrétiens ont un cœur de mère, versent sur eux des larmes et demandent pour eux la vie (HE, 2, 6-7). Quand ceux qui avaient eu peur reprennent courage, c’est une grande joie pour leur mère. A plusieurs reprises, la lettre fait ressentir cette affection discrète qui lie les chrétiens. L’entraide était pour eux une nécessité dans un monde  hostile.

 

 

 

IRENEE, TEMOIN DE L’HELLENISME ET DE L’HUMANISME CHRETIEN 

 

 

Irénée se trouve au milieu des chrétiens de Lyon, nous dit Eusèbe, comme “presbytre de la communauté (paroikia, paroisse) de Lyon“  quand la persécution éclate en 177. Il succède à Pothin l’évêque martyr. En Irénée, nous rencontrons un grand témoin de l’hellénisme à Lyon et le plus ancien théologien du christianisme. Tout ce que nous savons sur sa biographie provient de l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe de Césarée (livre V) qui en avait puisé les éléments dans l’œuvre d’Irénée en partie perdue. A part la persécution de 177, Eusèbe ne nous fournit guère de repères chronologiques précis.

 

Smyrne

Irénée naquit sans doute à Smyrne, aujourd’hui Izmir, en Asie mineure, à une date située entre 130 et 140. Dans une lettre à son ami Florinus, dont Eusèbe cite des extraits (HE, V, 20, 6), Irénée évoque le souvenir de Polycarpe, l’évêque de Smyrne, dont il écouta l’enseignement dans son enfance :

 

« Je puis dire l’endroit où s’asseyait le bienheureux Polycarpe pour parler, (…) comment il rapportait ses liens avec Jean et avec les autres qui avaient vu le Seigneur, comment il rappelait leurs paroles et les choses qu’il leur avait entendu dire au sujet du Seigneur, de ses miracles, de son enseignement ; comment Polycarpe, après avoir reçu tout cela des témoins oculaires du Verbe de vie, le rapportait conformément aux Ecritures. »

 

Ainsi, à Lyon, à la fin du second siècle, à travers la tradition orale, Irénée pouvait remonter jusqu’à Jésus.

 

 

Rome ?

Nous ignorons tout de l’emploi du temps d’Irénée entre son enfance asiate et sa présence à Lyon dans les années 175-177. Ses écrits laissent supposer qu’il a suivi des études littéraires et rhétoriques  sérieuses. Nous ne savons où il acquit ces connaissances : à Smyrne ou ailleurs ? Plusieurs éléments du Contre les hérésies ou Adversus haereses (AH),  sa grande œuvre, invitent à penser qu’Irénée a séjourné longtemps à Rome. Tous les chemins de l’antiquité vont à Rome ou passent par Rome. Un voyage d’Ephèse ou d’Alexandrie à Lyon suppose l’escale romaine. C’est peut-être à Rome qu’il a fait ses études. La Rome chrétienne, mais aussi politique, tient une grande place dans son œuvre. Irénée a conscience d’appartenir à un grand ensemble politique quand il évoque les multiples provinces de l’Empire où l’Eglise s’est implantée autour du  “milieu du monde“ (AH I, 10, 2). Irénée est élogieux pour la paix romaine qui facilite les échanges : « Par les Romains, le monde a la paix et nous pouvons sans crainte voyager par terre et par mer, partout où nous voulons (AH IV, 30, 4). » C’est l’Eglise de Rome dont il connaît le mieux l’organisation. Il évoque une foule de personnages et d’événements  liés à la capitale de l’Empire.

 

Lyon

On répète souvent qu’Irénée a été envoyé à Lyon par Polycarpe, un peu comme dans les siècles plus récents un évêque ou un pape envoie des missionnaires pour évangéliser un pays. Aucun texte ne nous le dit expressément, à moins d’interpréter dans ce sens une phrase énigmatique d’Eusèbe : « Dans son Traité sur l’Ogdoade, Irénée se montre comme ayant reçu lui-même la succession des apôtres. » HE V, 20,1. En tout cas, il n’est pas question de Lyon dans ce texte. Avant même, semble-t-il, la fin de la persécution lyonnaise, Irénée est envoyé en mission auprès de l’évêque de Rome pour traiter d’une affaire délicate. Un mouvement charismatique, le montanisme (disciples de Montan), né en Phrygie, commençait à trouver des adeptes à Lyon. Beaucoup de communautés chrétiennes, en Asie, à Rome et ailleurs, étaient divisées sur l’attitude à prendre à l’égard de ces exaltés qui annonçaient l’irruption de l’Esprit et l’imminence de la fin du monde. Des chrétiens de Lyon et parmi eux des confesseurs de la foi, c’est-à-dire des chrétiens emprisonnés au cours de la persécution, écrivent à ce sujet des lettres à leurs frères d’Asie et de Phrygie et à l’évêque de Rome, Eleuthère (175-180). Ils chargent Irénée de porter la lettre à Rome. Ils y expriment “un jugement prudent et tout à fait orthodoxe“ faisant œuvre de pacification nous dit Eusèbe (HE V, 3, 4). C’est dans ce contexte qu’ils racontent la persécution lyonnaise et le témoignage des martyrs et confesseurs. Certains en ont déduit qu’Irénée était l’auteur de la lettre des chrétiens de Lyon sur les martyrs.

 

L’évêque et l’écrivain

Eusèbe présente Irénée comme seul évêque des “paroisses“ (paroikia) de Gaule (HE V, 23, 3). Il est bien difficile d’évaluer le nombre des chrétiens à Lyon et en Gaule. Les chiffres proposés par les historiens vont de quelques centaines à plusieurs milliers. De cet épiscopat d’un quart de siècle, Eusèbe a retenu l’abondante activité littéraire d’Irénée et son intervention dans la querelle sur la date de Pâques.

 

Comme tout bon évêque digne de ce nom, Irénée se doit d’écrire des lettres et de parler sur une foule de sujets. Eusèbe nous donne le titre de plusieurs ouvrages d’Irénée qu’il avait dans sa bibliothèque dont un petit livre d’Entretiens divers. De cette production abondante, deux ouvrages d’Irénée seulement sont parvenus jusqu’à nous. C’est d’abord le Contre les hérésies ou Dénonciation et réfutation de la gnose au nom menteur que l’on cite habituellement sous son nom latin, Adversus haereses (AH), puisque seule la version latine de l’œuvre nous est parvenue intégralement. L’allusion à l’évêque de Rome, Eleuthère (AH  III, 3,3) permet de le dater des années 175-180. Le deuxième ouvrage d’Irénée parvenu jusqu’à nous, mais retrouvé seulement au début du XXe siècle dans une version arménienne est la Démonstration de la prédication apostolique. C’est une catéchèse biblique présentée comme une histoire du salut. L’ouvrage reprend d’une manière plus brève et moins argumentée les thèmes du  Contre les hérésies.

 

La controverse sur la date de Pâques

Eusèbe raconte longuement (HE V, 24-25) les épisodes de la controverse sur la date de Pâques qui opposa, à la fin du second siècle, les Eglises d’Asie (la province romaine) à d’autres Eglises, particulièrement à celle de Rome.  Dans cette affaire, Irénée joua un rôle de pacificateur. En Asie, les chrétiens célébraient la résurrection du Christ le même jour que la Pâque juive, le quatorzième jour du mois de nizan. Toutes les autres Eglises reportaient la Pâque chrétienne au dimanche qui suit le quatorzième jour. Ainsi, le jeûne préparatoire à Pâques ne tombait pas les mêmes jours. Certains jeûnaient quand d’autres avaient commencé de se réjouir. Beaucoup s’en accommodaient quand l’évêque de Rome, Victor, dans les années 190-191, veut rompre la communion (les relations) avec ceux qui ne célèbrent pas la résurrection le dimanche car, semble-t-il, à Rome, où des chrétiens venaient de partout et donc d’Asie avec leurs propres coutumes, c’était le désordre.  En fait, la majorité des chrétiens s’accorde sur la célébration du dimanche, Irénée tout comme Victor, mais Irénée n’apprécie pas la manière cassante de Victor. L’évêque de Lyon demande donc à son collègue de Rome de distinguer l’essentiel du secondaire. Les divergences liturgiques entre Polycarpe, évêque de Smyrne, et Anicet, évêque de Rome, rappelle Irénée, ne les avaient pas empêchés de concélébrer l’Eucharistie. « La différence du jeûne confirme l’unité de la foi » et, poursuit Eusèbe, « Irénée portait bien son nom, «le pacifique“, car il était pacificateur par son nom comme par sa conduite ; il exhortait et négociait pour la paix des Eglises » (HE V, 24, 13 et 18).

 

 

La fin d’Irénée

Après avoir parlé d’Irénée, Eusèbe signale le commencement du règne de Septime-Sévère (192-211). On en a déduit qu’Irénée serait mort au temps de cet empereur. Mais Eusèbe ne nous renseigne en rien sur la mort de l’évêque de Lyon. Incidemment, à la fin du IVe siècle, quelques auteurs, dont Jérôme, donnent à Irénée le titre de martyr sans précision. La piété des Lyonnais ne pouvait s’accommoder de cette imprécision. Peu après 500, apparaît une Passion de saint Irénée, sanglante à souhait : Irénée serait mort au cours d’une persécution de Septime-Sévère qui aurait fait dix-neuf mille martyrs. Le sang aurait coulé à flot de Fourvière jusqu’à la rivière. La Gurgès sanguinis,  le “tourbillon de sang“, aurait donné son nom à la montée (descente !) du Gourguillon et la rivière Arar serait devenue la Sagona, la sanglante, la Saône ! Sans doute y eut-il confusion entre la bataille de la guerre civile qui opposa Septime-Sévère aux Lyonnais révoltés.

 

 

 

L’humanisme irénéen : le dépassement de l’hellénisme par le christianisme

 

L’Eglise du second siècle est affrontée à une grave crise doctrinale. Les temps apostoliques s’éloignent. L’Eglise reconnaît comme son Ecriture ce que nous appelons aujourd’hui l’Ancien Testament, mais certains chrétiens le récusent. De plus, circulent une foule d’écrits qui se disent apostoliques, des évangiles, des épîtres et bien d’autres encore. Certains de ces écrits expriment le contenu de la foi à l’aide des philosophies grecques ou des traditions orientales. Des historiens comme Harnack ont parlé de l’hellénisation du christianisme. Il en sort des syncrétismes douteux, des spéculations ésotériques échevelées. Leurs auteurs croient avoir trouvé la véritable connaissance, la gnose, la réponse aux grandes questions : qui sommes-nous ? D’où venons-nous Où allons-nous ? D’où viennent le mal et la souffrance ? Irénée est témoin de cette gnose née en Orient, qui a traversé la Méditerranée pour arriver à séduire “des femmes élégantes et riches, celles dont la robe est frangée de pourpre… jusque dans nos contrées du Rhône“ (AH  I, 13, 3 et 7). Irénée décrit en particulier les agissements d’un séducteur nommé Marcos. Sans doute, l’enracinement lyonnais de l’œuvre irénéenne  est peu marqué. L’ouvrage témoigne davantage de la culture  de l’évêque de Lyon qui est entré en contact avec ces gnoses orientales issues de tout l’Orient et particulièrement d’Egypte. Il semblerait que ce soit à Rome où tout aboutissait, qu’Irénée ait rencontré un certain de nombre de ces doctrines et de leurs auteurs sans qu’il soit passé forcément par Alexandrie.

 

Irénée entend réagir contre ce qu’il estime être une perversion du message chrétien. Les gnostiques détournent les chrétiens du Dieu unique créateur en affirmant que la création est mauvaise. Ils blasphèment contre le Christ en niant l’incarnation du Verbe. Ils font désespérer les hommes de leur salut. La réponse d’Irénée nous a valu le premier grand exposé de théologie chrétienne. Dans son Contre les hérésies en cinq livres (parties), il se propose de dénoncer ces doctrines et de les réfuter en trois étapes. L’objet du  premier livre est de dénoncer ces doctrines en les décrivant telles qu’elles sont. Dans le second livre, il les réfute au nom de la raison et de l’histoire. Il poursuivra ensuite sa réfutation en s’appuyant sur l’Ecriture et la tradition de l’Eglise. Cette troisième partie va s’étendre considérablement au point  de faire l’objet de trois livres qui deviennent une sorte d’exposé général de la foi chrétienne qu’Irénée reprendra  ensuite plus brièvement dans la Démonstration de la prédication apostolique.

 

 

La culture grecque d’Irénée

 

Avant de nous arrêter un peu sur cet humanisme grec dans lequel se meut Irénée, il faut rappeler qu’Irénée, au début de son ouvrage, dit à son dédicataire qu’il écrit en Gaule :

« Tu n’exigeras pas de nous, qui vivons chez les Celtes et qui, la plupart du temps, traitons nos affaires en dialecte barbare, ni l’art des discours que nous n’avons pas appris, ni l’habileté de l’écrivain, dans laquelle nous ne nous sommes pas exercé, ni l’élégance des termes ni l’art de persuader que nous ignorons » (AH, I, préface 3).

 

On a interprété diversement cette phrase. Certains ont voulu comprendre qu’Irénée devait se contenter d’un mauvais grec pour s’adresser à ses fidèles, d’autres que cette langue barbare était le latin. Il est tout de même plus simple de penser qu’Irénée a utilisé la langue celtique, le gaulois, pour se faire comprendre des chrétiens dont il avait la charge. Mais elle n’a sans doute pas dépassé le niveau oral ; on chercherait en vain des mots celtes dans le Contre les hérésies !

 

Irénée utilise pour sa réfutation des doctrines  et sa présentation du christianisme les ressources de la culture grecque. Sagnard et Benoît (cf. bibliographie) soulignent qu’Irénée écrit le grec avec une certaine élégance. Lorsqu’il affirme son incapacité littéraire, il fait preuve d’une modestie conventionnelle dans une phrase bien construite.  Il argumente selon les procédés rhétoriques de l’époque, cite écrivains et philosophes. Il utilise pour argumenter les techniques dialectiques des sophistes de son temps. Il affectionne le dilemme – le choix entre deux solutions : “ou bien, ou bien“ -, la question véhémente à laquelle l’interlocuteur doit répondre. Il aime les arguments ad hominem et affectionne l’ironie parfois un peu grosse jusqu’à la parodie. Il illustre ses argumentations par des exemples tirés de l’art, de la chasse, de la musique, de la médecine, de la gymnastique, du travail des métaux. Il a une certaine idée de la culture nécessaire à l’honnête homme et reproche à ses adversaires gnostiques d’en manquer alors qu’ils prétendent tout savoir (AH II, 32, 2).

 

Comme tout bon grec cultivé, Irénée cite ou mentionne les grands auteurs de la littérature classique : Homère, Hésiode, Stésichore, les comiques Ménandre et Aristophane, l’Œdipe de Sophocle, les fables d’Esope, etc. Ces allusions se trouvent presque toutes dans les deux premiers livres du Contre les hérésies dans lesquels il décrit les systèmes gnostiques et veut les réfuter par la raison. Le plus souvent, c’est pour dire que les doctrines gnostiques ne sont pas originales mais puisées dans les fables de la littérature ancienne. On a relevé également dans le Contre les hérésies trente-deux mentions de la philosophie et des philosophes : Platon, Anaxagore, Démocrite, Epicure, les Cyniques, Aristote, les Stoïciens, Thalès, Anaximandre et Empédocle. Irénée veut montrer que les gnostiques ont emprunté leurs erreurs aux philosophes (AH, II, 14). Irénée n’a que piètre estime pour les philosophes. Une seule fois, il présente d’une manière positive un philosophe, en l’occurrence Platon, qui lui sert à argumenter contre les gnostiques : « Plus religieux qu’eux apparaît Platon, qui a confessé un même Dieu à la fois juste et bon, ayant pouvoir sur toutes choses et faisant lui-même le jugement. » ( AH III, 25, 5). Suit une citation de Platon Lois IV, 715e. Mais si Irénée semble avoir possédé un honnête bagage littéraire et rhétorique, ses connaissances philosophiques apparaissent bien réduites. Il n’a sans doute pas lu directement les œuvres des philosophes mais puisé dans des recueils de citations thématiques. Il faut nous souvenir qu’Irénée n’a pas entrepris une œuvre littéraire ou philosophique. Il se propose  seulement de défendre de toutes ses forces l’intégrité du message chrétien. Tout en utilisant les ressources de l’hellénisme, Irénée propose un dépassement de l’hellénisme par le christianisme. Ce n’est pas le lieu de faire un exposé d’ensemble de la pensée théologique d’Irénée, mais retenons deux thèmes qui peuvent situer Irénée par rapport à l’hellénisme.  Les références de l’évêque de Lyon sont maintenant les Ecritures chrétiennes. Il trouve en elles une théologie de l’histoire qui se démarque de la philosophie classique.

 

 

La Tradition et les Ecritures chrétiennes

 

Irénée, dans les deux premiers livres de son ouvrage, fait appel à la raison et au bon sens en citant un certain nombre d’auteurs grecs classiques, mais bientôt, à partir du troisième livre, il argumente désormais avec les écritures chrétiennes, les seules véritables à ses yeux. Les gnostiques se référaient à une foule d’écritures dont Irénée jugeaient un certain nombre douteuses. Il propose donc pour la reconnaissance des véritables écritures chrétiennes des critères qui ne sont pas littéraires : elles doivent contenir le véritable enseignement des apôtres. Ceux-ci ont d’abord prêché l’Evangile qu’ils ont transcrit ensuite dans les Ecritures. Aussi importe-t-il  de montrer que les livres qui nous parlent du Christ  remontent à un apôtre. Les quatre évangiles reflètent l’enseignement direct ou indirect de quatre apôtres, Matthieu, Pierre (évangile de Marc), Paul (évangile de Luc) et Jean (AH III, 1, 1 et IV, 33, 8). Pour être sûre de transmettre la véritable doctrine, toute Eglise locale doit pouvoir établir la succession de ses évêques ou presbytres depuis les apôtres jusqu’à elle. C’est pourquoi, Irénée attache une importance particulière à présenter la succession des évêques de Rome, car, par cette Eglise, on remonte jusqu’aux deux principaux apôtres, Pierre et Paul (AH III, 2, 4). Autrement dit, la doctrine véritable n’est pas une pure connaissance ou une gnose. Elle est une tradition vivante transmise de personne à personne, qui ne se confond pas avec les Ecritures, car elle est à la fois antérieure et plus large. Il est des peuples barbares « qui possèdent le salut, écrit sans papier ni encre par l’Esprit dans leurs cœurs » AH III, 4, 2. Irénée a lui-même expérimenté cette tradition orale et personnelle qui, par Polycarpe et Jean, lui permettait de remonter à Jésus. Mais, en même temps, Irénée a le sentiment d’arriver à la fin d’une période. Avec le temps, ce lien quasi charnel avec le Christ s’estompe ; il importe de définir ce qu’est une Ecriture authentique. Ainsi le christianisme fonde un nouvel universalisme qui relativise l’hellénisme (AH, I, 10, 2) :

 

« Ayant donc reçu cette prédication et cette foi, ainsi que nous venons de le dire, l’Eglise, bien que dispersée dans le monde entier, les garde avec soin, comme n’habitant qu’une seule maison ; elle y croit d’une manière identique comme n’ayant qu’une seul âme et qu’un même cœur, et elle les prêche, les enseigne et les transmet d’une voix unanime comme ne possédant qu’une seule bouche. Car, si les langues diffèrent à travers le monde, le contenu de la Tradition est un et identique. Et, ni les Eglises établies en Germanie n’ont d’autre foi ou d’autre Tradition, ni celles qui sont chez les Ibères, ni celles qui sont chez les Celtes, ni celles de l’Orient, de l’Egypte, de la Libye, ni celles qui sont établies au centre du monde ; mais de même que le soleil cette créature de Dieu, est un et identique dans le monde entier, de même cette lumière qu’est la prédication de la vérité brille partout et illumine tous les hommes qui veulent parvenir à la connaissance de la vérité.

 

 

Une théologie de l’histoire

 

Au temps cyclique, à l’éternel retour de l’hellénisme, Irénée substitue le temps linéaire de l’histoire biblique. Pour Irénée, le déroulement du temps des peuples comme l’existence de chaque individu est une longue marche, une croissance et une réalisation progressive. L’homme tout entier, corps et esprit, ainsi que la nature sont création de Dieu, une œuvre bonne et Dieu ne recommencera pas son ouvrage. Mais la croissance est la loi universelle des êtres vivants. Dieu a créé l’homme comme chacun d’entre nous entre dans la vie, comme un être qui commence. Irénée dit qu’Adam était un enfant. Tout en ayant reçu la liberté, “il n’avait pas un jugement achevé“ (Démonstration 12). Ceci explique qu’il ait été tenté. Irénée ne dramatise pas la faute d’Adam, conséquence d’une faiblesse native que l’homme doit accepter : « Ils sont tout à fait déraisonnables ceux qui n’attendent pas le temps de la croissance et font grief à Dieu de la faiblesse de leur nature » AH IV, 38, 4. L’histoire de l’humanité est une longue maturation de l’enfance à l’âge adulte.

 

Ce cheminement de l’homme, c’est d’abord le temps de l’Ancien Testament. Dieu accompagne l’homme par son fils, le Verbe, qui demeure invisible. Le Verbe est ce pédagogue qui donne à l’homme la nourriture assimilable aux différentes étapes de son existence. Le Verbe “accoutume l’homme à saisir Dieu et accoutume Dieu à habiter dans l’homme“ (AH III, 20, 2). L’homme devenu adulte est capable de voir Dieu. Le premier terme de cette marche, c’est l’incarnation du Verbe. En devenant homme en Jésus, le Verbe récapitule toute l’histoire des hommes, c’est-à-dire la reprend pour la mener à son achèvement. Par l’incarnation du Verbe, l’homme acquiert le salut, car le Verbe a renouvelé la première alliance. C’est pourquoi il y a une correspondance entre les événements de l’Ancien Testament et ceux du Nouveau. Mais ce n’est pas une répétition. La venue du Christ ne met pas fin à cette croissance de l’humanité qui “a toujours vers quoi progresser“ (AH IV, 20, 7). Au cours de sa propre existence, chaque homme se fait imitateur du Christ et le suit sur le même chemin : « Dieu a permis que l’homme passe par toutes les situations et qu’il connaisse la mort, pour accéder ensuite à la résurrection » AH III, 20,2. Irénée partageait les rêves millénaristes fondés sur l’Apocalypse. Résolument optimiste, la théologie d’Irénée est un hymne à la vie : « La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant, et la vie de l’homme, c’est la vision de Dieu » AH IV, 20,7.

 

 

 

LE RAYONNEMENT D’IRENEE ET DE L’EGLISE LYONNAISE

LA RENCONTRE DE L’ARMENIE

 

 

Ainsi, pour Irénée, le christianisme est un dépassement de l’hellénisme. Il s’exprime dans la culture grecque, certes, mais celle-ci n’est pas la condition unique de son annonce. Irénée doit parler le celte. Les barbares peuvent avoir accès au message chrétien même s’ils sont analphabètes. L’universalité de l’Eglise recouvre et dépasse celle de l’Empire romain. La conséquence en est la présence des Eglises dans des régions bien éloignées du foyer de l’hellénisme : la Germanie, la Gaule, l’Espagne ; (AH I, 10, 2). Irénée devient ainsi un des premiers artisans d’un nouvel humanisme qui va naître de la rencontre de l’hellénisme, du christianisme et de la multitude des cultures et des langues de notre Europe.

 

L’œuvre d’Irénée dans l’Orient méditerranéen

 

Tout au long des siècles, son œuvre a suscité l’intérêt des chrétiens d’Orient. Des fragments grecs de l’Adversus haereses ont été retrouvés en Egypte dans plusieurs papyrus. Le papyrus d’Oxyrhynque n°405 qui reproduit un passage d’AH III, 9, 3 peut être daté de la fin du second ou du début du troisième siècle. Il témoigne du large rayonnement  d’Irénée. « L’œuvre d’Irénée contre les gnostiques, écrite avant tout pour les chrétiens de Gaule, serait ainsi parvenue dans la lointaine Egypte, pays par excellence du gnosticisme à plus de 400 km au sud d’Alexandrie quelques vingt ans et peut-être plus rapidement encore, après sa rédaction à Lyon, extraordinaire cheminement d’un livre sur la diffusion duquel nous avons si peu de renseignements … » (L. Doutreleau)  On a retrouvé également des traces des versions syriaques et arabes de la grande œuvre d’Irénée…

 

L’œuvre d’Irénée en Arménie

 

 Et, ce qui nous intéresse au plus haut point dans cette assemblée qui accueille des envoyés de l’Eglise de Lyon, ce sont les versions arméniennes des œuvres d’Irénée qui nous disent l’intérêt que portait l’Eglise d’Arménie pour la pensée de l’évêque de Lyon. Nous n’entrerons pas ici dans les détails du travail considérable des savants et érudits qui ont travaillé à l’édition des œuvres d’Irénée, les derniers en date étant ceux de l’Institut des Sources chrétiennes de Lyon, lié à l’Université catholique de Lyon et à l’Université d’Etat de Lyon II. Les fragments arméniens  de l’ Adversus Haereses (Contre les Hérésies)  sont relativement modestes pour les livres I et II, beaucoup plus importants pour les livres III, IV et V. La version arménienne des œuvres d’Irénée date vraisemblablement de la fin du VIe siècle. Les fragments de la version arménienne de l’AH doublent la version latine dans laquelle a été conservée la plus grande partie de l’œuvre, mais aussi des fragments grecs. Il arrive que les fragments arméniens permettent de corriger et de rectifier les autres témoins.

 

 Quant à une autre œuvre d’Irénée, la Démonstration de la prédication apostolique, elle n’était plus qu’un titre conservé par Eusèbe jusqu’à ce qu’en décembre  1904 l’archimandrite  Karapet Ter-Mekerttschian découvrît dans la bibliothèque de l’église de la Mère de Dieu, à Erevan, un manuscrit arménien qui contenait des passages de l’AH  et le texte intégral de la Démonstration. La première édition de cet ouvrage parut en 1907 avec une traduction allemande et des notes de Adolphe Harnack.  La première traduction française du jésuite Barthoulot parut en 1916. L’Institut des Sources chrétiennes de Lyon publia en 1959 une nouvelle traduction française de L.M. Froidevaux. En 1995, le P. Adelin Rousseau, déjà éditeur et traducteur de l’AH, a proposé aux Sources chrétiennes une traduction latine et une traduction française à nouveaux frais.

 

Lyon et la traduction des œuvres arméniennes

 

Au delà d’Irénée, l’Institut des Sources chrétiennes a publié deux classiques de la littérature spirituelle arménienne,  le Livre de prières de Grégoire de Narek  (944-1010) et Jésus, Fils unique du Père du patriarche Nersès Snorhali (1102-1173). Ce sont encore des moines arméniens de Venise, les Mekhitaristes qui découvrirent et publièrent en 1878 un manuscrit arménien de l’Apologie d’Aristide, adressée à l’empereur Hadrien vers 125. Ce texte écrit en grec à l’origine a pu être reconstitué dans son ensemble à travers  une version syriaque et des fragments grecs. Il a été publié également par Sources chrétiennes.

 

Enfin la Faculté de théologie de Lyon et la Fondation Bullukian s’honorent de proposer depuis plusieurs années année un cours d’arménologie du professeur Krikor Bélédian, dont nous citerons quelques thèmes : “Histoire et traditions de l’Eglise arménienne“, “Poésie et liturgie dans l’ancienne littérature arménienne“, “Grégoire de Narek, poète et théologien de l’An mille“, “Dieu dans la littérature contemporaine arménienne“…

 

 

D’autres évoqueraient, en de telles circonstances, des aspects plus contemporains et plus concrets des relations entre l’Arménie et la région et Eglise lyonnaises, en particulier cette importante présence arménienne qui est la conséquence des drames du XXe siècle. Mais il n’est pas sans intérêt de découvrir que les liens entre Lyon et l’Arménie s’enracinent dans les lointaines origines chrétiennes.

 

 

 

Quelques références :

 

Sources :

Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique, Intr. F. Richard, trad. G. Bardy, Paris, Cerf, Sources chrétiennes, 2003 ; Irénée de Lyon, Contre les hérésies, trad. A. Rousseau, Paris, Cerf, 2001 ; l’édition critique et traduction française du Contre les hérésies due à A. Rousseau et L. Doutreleau est d’abord parue en dix volumes de Sources chrétiennes de 1965 à 1982 ;  Irénée de Lyon, Démonstration de la prédication apostolique, trad. A. Rousseau, Paris Cerf, SC, 1995, Irénée de Lyon, La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant, textes choisis et présentés par J. Comby et D. Singles, Paris, Cerf, 1994 et 2000.

 

Travaux :

A. Audin, Lyon, miroir de Rome dans les Gaules, Paris, Fayard, 1979 ; J. Burdy et A. Pelletier, Guide du Lyon gallo-romain, Lyon, ELAH, 1994 ; Les martyrs de Lyon, 177, CNRS, Paris, 1978. ; M. Sagnard, La gnose valentinienne et le témoignage de saint Irénée, Paris, Vrin, 1947 ; A. Benoît, Saint Irénée, introduction à l’étude de sa théologie, Paris, PUF, 1960 ; J. Fantino, La théologie d’Irénée, Paris, Cerf, 1994.

 

Littérature arménienne

Les volumes de Sources chrétiennes : 78 - Grégoire de Narek, Le Livre de prières (dernière édition, 2000) ; 203 – Nersès Snorhali, Jésus, Fils unique du Père (1973) ; 470 – Aristide, Apologie (2003).

 

 

(conférence donnée en 2004 par le Cardinal Barbarin devant les étudiants en théologie d’Arménie ; texte de Jean Comby)