Pauline
Jaricot
devant
l'insurrection de 1831
L'insurrection des ouvriers en
soie, en 1831, fut provoquée par le refus des fabricants de consentir aux chefs
d'ateliers un tarif minimum pour le prix des façons du tissage. Le 25 octobre,
après plus de trois semaines de tension et de discussions, les fabricants s'y
étaient résignés, sous la pression du préfet et des manifestations dans la rue,
pacifiques mais inquiétantes. Sitôt l'accord conclu, ils se reprirent et
obtinrent du gouvernement qu'il désavouât le préfet et déclarât nulle une
convention signée sans la liberté suffisante. Déçus et se sentant trompés, les
ouvriers préparèrent armes et munitions et, le 21 novembre, un premier coup de
feu déclencha la bataille générale ; le 23 au soir, après trois jours de
combats meurtriers, les ouvriers se trouvaient maîtres absolus de la ville,
embarrassés d'une victoire inespérée dont ils ne savaient que faire. Le 3 décembre, l'armée
réoccupa pacifiquement la ville que le gouvernement reprit en mains.
Plus impressionnante encore que
la violence de l'affrontement avait été la discipline des ouvriers, pendant la
longue période des discussions, dans les combats, et durant les quelques jours
où l'émeute victorieuse avait été responsable de la cité.
Les archives
de l'archevêché possèdent, dans leur fonds Jaricot,
quelques pages écrites par Pauline, encore sous le coup de l'émotion. Ce
n'est pas un récit des évènements, mais l'expression, à chaud,
de son bouleversement et de son
admiration pour les ouvriers, dont on la sent fière.
Elle stigmatise l'injustice
et la hargne des fabricants : « Les
ouvriers font une pétition pour obtenir un tarif, on leur répond par des
injures. Ils se promènent en silence
dans les rues, on les injurie. Ils prennent la résolution d'aller en plus grand
nombre, la garde nationale fait fermer les portes de la Croix-Rousse (…). Injures
de part et d'autre. La garde nationale tire un coup de fusil, les
ouvriers se défendent ».
Elle vibre en évoquant le courage des ouvriers, l'humiliation des
troupes, de ces « Goliaths » fanfarons : « les plus fiers guerriers sont humiliés
par des enfants ». Elle est émue du respect que
les ouvriers, au plus fort des combats, témoignaient aux prêtres et à la religion. Elle se sent prise
d'une joie sacrée en disant leur maîtrise et leur honnêteté même dans la victoire : « Si leur victoire est un prodige de la toute puissance de Dieu, leur conduite
pendant ces trois jours, l'ordre qu'ils ont gardé dans le plus affreux désordre, est le
prodige de la toute puissante intercession de Marie ». Quant aux crimes commis sur des
soldats lâchement massacrés, ce n'était pas le fait des ouvriers, mais sûrement
celui de forçats libérés.
La place nous manque, passons
sur les distributions de médailles pieuses aux troupes qui réoccupèrent la
ville. Le tableau qu'elle dresse de la garnison de Lyon tout entière saisie par
la piété, au point qu'il fallait envoyer ailleurs les régiments devenus trop
dévots, laisse perplexe.
Revenons à Pauline.
Dans ces pages, est-elle pour les ouvriers ? Prend-elle parti pour eux ? Elle n'en
a pas besoin : leur cause est la sienne, elle réagit avec leur indignation,
leur enthousiasme, leurs partis pris. Dans ces pages, elle n'est pas pour eux,
elle est l'une d'entre eux.
Couramment, on dit de Pauline
Jaricot, pour mettre en valeur son amour des humbles, qu'elle appartenait à la
bourgeoisie, parfois à la grande bourgeoisie. En fait, Antoine Jaricot, son
père, n'était pas un bourgeois, mais un homme du peuple enrichi, un parvenu.
Accéder à la bourgeoisie n'était pas seulement une question d'argent, et
c'était le plus souvent à la deuxième génération qu'une famille y parvenait.
Tandis que ses frères et sœurs suivaient le cursus ordinaire, Pauline, depuis
sa « conversion » de 1817, se dégoûta des occupations et des pensées
mondaines. A la découverte de la vraie misère et des souffrances des pauvres,
elle s'indigna de l'indifférence des riches et, pire, de leur satisfaction à
donner, du haut de leur condescendance, une intime part de leur superflu.
Est-il exagéré de penser que, lorsqu'elle rompit avec les frivolités qui
l'avaient occupée jusque là, l'intransigeance de la jeunesse (elle avait 18
ans) l'écarta aussi de la classe sociale qui, à ses yeux, leur était liée et où
elle commençait de s'intégrer, et qu'elle se sentit reprise par ses origines où
la charité lui montrait tant de bien à faire ? Désormais, elle serait du peuple. Peut-être
cela aide-t-il à comprendre
les conflits dans lesquels elle allait se débattre toute sa vie.
Henri HOURS
Eglise à Lyon, 1996, n°19