Le génie organisateur de Pauline Jaricot
Toute vie
en Dieu, si elle est vraie, s'appuie sur des qualités humaines naturelles. Pauline Jaricot
en eut beaucoup, et ses
biographes ont su les mettre en lumière, soulignons ici celle qui lui permit de réussir ses deux
entreprises majeures.
On sait que
la Propagation de la Foi fut fondée par elle sur le principe de la collecte
permanente de sommes minimes auprès de personnes très nombreuses, souvent de très petites gens; le fameux « sou par semaine », dont la multiplication
produisait un total considérable, pour le plus grand bien des missions. En soi,
l'idée n'était pas neuve. Son frère Philéas, qui la lui avait suggérée, la tenait de l'Association de prières créée en 1817 par les Missions
Etrangères de
Paris pour faire prier à l'intention des missions et pour organiser des
quêtes sur ce principe. Il semble que les M.E.P. elles-mêmes, s'étaient inspirées de ce qui se faisait chez les
méthodistes anglais. Mais point
besoin d'aller si
loin. En ce début du XIXe siècle, on avait découvert que la somme d'une
multitude de petites cotisations régulières pouvait constituer une force
financière importante, applicable
à des œuvres
collectives. L'exemple le plus notable en était celui des sociétés de secours
mutuels, dont la première à Lyon avait été fondée en 1802, et que les autorités surveillaient étroitement, leurs caisses
pouvant, non seulement fournir à leurs membres l'aide prévue par les statuts, mais en outre subventionner
des mouvements plus ou moins clandestins, voire des grèves. Autre exemple, beaucoup plus modeste mais tout aussi topique : en
1804, Madame
Bureaux de Puzy, femme du préfet du Rhône, avait fondé une Société des Jeunes Economes, recrutée parmi les enfants de la bourgeoisie et qui, en recueillant auprès de chacun un sou
par jour, pouvait secourir des enfants pauvres. L'idée était donc courante.
Ce qui
appartient en propre à Pauline Jaricot est l'invention du système qui lui permit d'organiser la collecte avec une efficacité
jamais atteinte jusque-là. Il jaillit
tout armé de son cerveau, à l'automne de 1819. Les membres de l'Association
seraient groupés en dizaines, elles-mêmes assemblées en centaines, puis en milliers. A chaque échelon, un chef recueillerait les fonds collectés,
transmettrait les consignes pratiques, diffuserait les intentions de prières.
Le tout aboutirait à un centre
unique, d'où partiraient l'impulsion et l'information.
C'est
devant le succès rapide, d'une ampleur inespérée, que Pauline Jaricot se
résolut à se
dessaisir de son œuvre, le 3 mai 1822, entre les mains de la Congrégation des
Messieurs, qui allait lui donner le développement que l'on sait.
Même
processus dans la création du Rosaire Vivant. Un vicaire de Saint-Nizier,
paroisse de Pauline, l'abbé Jean-Baptiste Marduel, avait mis sur pied, sous ce
nom, une association de prière destinée à réveiller la dévotion du chapelet. Il avait en outre
constitué une bibliothèque importante de livres édifiants : à cette époque, en effet, se multiplièrent les
initiatives pour répandre « les bons livres », comme on disait. Mais,
faute d'une organisation solide, l'œuvre périclita quand l'abbé Marduel fût
parti pour Paris dans l'hiver 1820-1821. Elle finit même par s'éteindre.
Pauline Jaricot avait suivi toute l'affaire, et Marduel lui faisait confiance.
En 1826, elle restaura l'œuvre, mais avec son organisation à elle. Les associées formaient, cette fois, des
quinzaines, dont chaque membre disait chaque jour la dizaine de chapelet qui
lui était échue par le sort, pour un mois. Si bien que le rosaire entier était
dit chaque jour par le groupe, et par chacune en quinze mois. Avec le bulletin
de liaison, la diffusion de petits livres « propres à répandre et entretenir
la foi » assurait une formation spirituelle.
L'œuvre se développa immensément, un million d'adhérents en 1834 ; il fallut désigner deux co-directeurs,
un à Lyon, un à Paris, ce dernier fut l'abbé Marduel.
Ainsi, dans
les deux cas, c'est par son génie de l'organisation que Pauline Jaricot put
mettre au service de la foi deux instruments qui, sans elle, n'avaient obtenu
que des effets limités. Par elle également, et pour la première fois en France,
le catholicisme voyait se former en son sein des organisations de masse,
fondées sur la multitude de petites contributions personnelles, efficaces et
centralisées, par dessus les limites des paroisses et des diocèses (ce qui
explique sans doute les frottements des premières années).
Comme le
dit La Plaisante sagesse lyonnaise, « Le
tout, c'est pas d'y faire, c'est d'y penser ; mais le difficile, c'est pas d'y
penser, c'est d'y faire ».
Henri
HOURS
Eglise à Lyon, 1993, n°4