musée du diocèse de lyon

Entrée

Le carême prêché par Lacordaire en 1845

 

 

Quand le P. Lacordaire ouvrit à Saint-Jean la station de carême, le 9 février 1845, il n'était pas un inconnu. Il avait déjà prêché à Lyon, en petit comité il est vrai, quatre ans plus tôt, et surtout il était au faîte de sa renommée. La restauration de l'ordre dominicain, l'éclat de ses conférences à Notre- Dame, son combat pour la liberté fondée sur l'Evangile, son talent pour aborder les questions du temps présent de la façon dont tous se les posaient, l'avaient rendu plus que célèbre.

 

Dès le premier dimanche, ce fut l'enthousiasme. A 7 heures du matin, les auditeurs se pressaient afin de s'assurer une place pour le sermon qui était à 13 h 30. Le dimanche suivant, dès 5 heures. La fabrique de Saint-Jean avait fixé le prix des chaises à cinq sous (vingt-cinq c.), au lieu du tarif ordinaire de deux sous pour les jours de sermon : de nombreux pauvres occupèrent donc dès la première heure des places qu'ils revendirent à un franc. La cohue et la bousculade envahirent la cathédrale. Il fallut louer les services d'une compagnie d'infanterie qui, les dimanches suivants, vida l'église après la grand'messe, et contint la foule à l'entrée, à partir de midi. La fabrique, qui ne perdait pas la tête, en profita pour monter le prix des chaises à deux, quatre, et même cinq francs les deux derniers jours.

 

Très délibérément, Lacordaire visait le public le plus éloigné de la foi, celui des hommes de la bourgeoisie. D'où ce tarif ; d'où aussi la réservation de la cathédrale au sexe fort. Mais les dames ne l'entendirent pas ainsi, et trouvèrent le moyen de s'introduire là où elles n'avaient pas été prévues. Mystérieusement organisées - peut -être par la « Congrégation des Dames », dont plusieurs étaient unies aux membres de la Congrégation des Messieurs par les liens les plus légitimes -, elles obtinrent de faire monter dans la chapelle de la Croix une tribune de bois pour trois cents personnes, accessible par la cour de l'Archevêché, qui leur coûta mille huit cents francs, sans compter le prix des places, chaque dimanche. En ville, on s'arrachait le prédicateur, et tous voulurent le recevoir ; l'Académie, les internes des hôpitaux, les Dames de la Maternité, l'Institut catholique (sorte de petite académie), la Société des bons-livres, la Conférence de Saint-Vincent de Paul. Deux fois, on le porta en triomphe jusqu'à l'archevêché, où il logeait. 


 

La Congrégation des Messieurs tint avec lui plusieurs réunions, d'où sortit, le 5 avril, un nouveau quotidien, La Gazette de Lyon. D'abord cantonnée dans le domaine religieux pendant les dernières années de la Monarchie de juillet, elle prit sa liberté après la révolution de 48, et révéla les convictions légitimistes de ses rédacteurs. En revanche, c'est au « Christ républicain », très en honneur en ces années, que se donnaient les jeunes gens qu'il admit à composer une fraternité du tiers-ordre dominicain.

L'ébranlement moral fut profond, bien des jeunes gens se convertissaient à sa parole, le plus connu est Camille Rambaud, futur fondateur de la fameuse « Cité ». Des séminaristes entrèrent chez les Frères Prêcheurs, à Sorrèze ; deux d'entre eux, les PP. Delhomme et Captier, devaient en 1871 tomber sous les balles de la Commune, à Arcueil.

 

Dans la vie de Lacordaire, Lyon a tenu une place importante, que rien n'annonçait à l'origine, mais que justifiait la place du diocèse français dans le catholicisme. Le succès inouï du carême de 1845 confirma sa confiance dans la justesse de ses vues. La reprise du collège d'Oullins, en 1852, lui donna occasion de créer la branche enseignante de l'ordre dominicain. La création du couvent des Brotteaux, en 1856, qui se fit en partie contre lui, fixa à Lyon un môle d'opposition, à côté d'une de ses créations les plus chères.

 

Henri HOURS

Eglise à Lyon, 1992, n°3