Antoine
Lacroix
1708-1781
Déjà,
avec l'abbé Rozier, nous avons rencontré un de ces hommes complètement engagés dans le mouvement des « Lumières »,
et qui n'en prenaient pas moins leur sacerdoce au sérieux. Ils donnent parfois l'impression
de s'imaginer que le christianisme était assez installé pour pouvoir oublier la
mission et s'identifier au mouvement vers le progrès. Mais comment sonder les
reins et les cœurs ? A son tour, l'exemple de l'abbé Lacroix donne l'occasion
de se poser la question.
Il
naquit en 1708, dans une famille qui se trouvait au sommet de l'échelle sociale
lyonnaise. Son père était trésorier de France au Bureau des Finances de la
généralité, administration
qui avait la haute main sur la gestion du domaine royal, sur la perception des
impôts et sur la grande et petite voirie en Lyonnais, Forez et Beaujolais. Les
revenus de l'office étaient considérables.
Cadet
de famille, il fut destiné à l'état ecclésiastique et fit ses études à Paris, jusqu'au doctorat de théologie
en Sorbonne inclus. Prieur commendataire du prieuré de la Ferté-Macé en
Normandie, il commençait de mener l'agréable mais peu apostolique existence
d'un « abbé de cour » quand la mort de son père, en 1732, le ramena à Lyon. La charge de trésorier des
finances, selon le funeste système alors en usage, était héréditaire et le fils
aîné, pour diverses raisons, ne pouvant la recueillir, le cadet devait le faire
à sa place pour éviter qu'elle ne sortît de la famille ; son état
ecclésiastique n'était pas un obstacle. Au même moment, un oncle lui céda la
fonction d'obéancier, ou principal dignitaire, du chapitre collégial de
Saint-Just. Titre peu lucratif, mais très honorable : l'obéancier prenait la
parole au nom du clergé lyonnais dans les grandes occasions, et le représentait
auprès du consulat. Le jeune abbé partait dans la vie bien pourvu d'honneurs et
de revenus.
Il
commença par s'offrir en Italie un long séjour consacré aux arts. On en retient
généralement l'amitié qu'il y noua avec le sculpteur Michel-Ange Slodtz et le
grand architecte Soufflot. Rentré à Lyon, il fut, en 1737, élu recteur de l'Aumône générale (ou Charité), et membre à la fois de l'Académie des Sciences et
Belles-Lettres et de l'Académie des Beaux-Arts. Dans les deux académies (qui n'en
firent plus qu'une à partir
de 1758), il fut assidu, multipliant les communications sur tous les sujets
possibles, sérieux ou légers. Parmi ceux qu'il étudia davantage, figure un plan
pour l'éducation, conçu de façon étonnamment utopique : les jeunes gens
auraient vécu à la
campagne, dans de petits établissements sous le contrôle exclusif de l'Etat,
sans intervention des parents...
Beaucoup
plus pratique fut son projet pour une école publique de dessin qui, après bien des
difficultés, ouvrit ses portes en 1756 : c'est l'ancêtre de notre école des
Beaux-Arts. Son intérêt pour les arts, en effet, ne s'était pas démenti depuis
l'Italie : le souvenir en subsiste par les quatre bustes, œuvre de Slodtz et de
Pierre Puget, légués par lui à l'Académie de Lyon, qui les conserve encore. Après avoir
attiré Soufflot à Lyon,
il soutenait les grands projets de l'architecte Jean-Antoine Morand. Cependant,
il poursuivait sa carrière au Bureau des Finances, qu'il présida en 1767.
Enfin, il se mit, à partir
de 1764, à dépouiller,
avec exactitude et précision, les registres de catholicité de Lyon pour en
tirer des statistiques démographiques et sociales : il fut à Lyon le pionnier de cette discipline
qui ouvrait l'esprit du temps aux prodromes de l'histoire sociale.
Toutes
activités fort respectables, mais à nos yeux peu ecclésiastiques : elles ne l'empêchèrent pas
d'être choisi comme vicaire général par Monseigneur de Tencin en 1748, puis par
Monseigneur de Montazet en 1758, et comme official métropolitain en 1756,
inspirant ainsi confiance à deux prélats de tendances opposées. De plus, obéancier de
Saint-Just, nommé abbé de Saint-Rambert en Bugey en 1775, il se dépensa
activement pour la défense des intérêts temporels de ses deux établissements.
De
cette vie, se dégage une impression d'activité débordante, voire d'activisme,
dans toutes les directions. En assumant toutes ces tâches, Antoine Lacroix ne
se considérait sûrement pas comme infidèle à son état. Simplement, sociétés civile et ecclésiale ne lui
semblaient sans doute pas très distinctes l'une de l'autre. Qu'eût-il fait
devant la Constitution civile, en 1790 ? Eût-il prêté le serment ? Nul ne peut
le dire...
Henri HOURS
Eglise à Lyon, 2001, n°2