musée du diocèse de lyon

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Marcel Légaut

1989

 

 

 

L’année qui précède sa mort, Marcel LEGAUT publie à ses frais dans le journal Le Monde un encart qu’il présente ainsi :

 

 

Comment ne pas se sentir solidaire des mouvements de protestation qui se font jour actuellement dans l’Eglise catholique à propos de nombreuses décisions autoritaires prises par l’institution. Celle-ci dans le passé s’est montrée incapable de préparer le peuple de Dieu à assumer les temps difficiles auxquels l’Eglise est affrontée aujourd’hui. Tant de questions ont été trop longtemps éludées.

 

Beaucoup d’interventions aujourd’hui sont justes et utiles. Mais elles sont faites de l’intérieur des milieux catholiques. Pour qu’elles soient encore plus efficaces, il faudrait qu’elles concernent un public ni seulement catholique, ni seulement enraciné dans certains courants sociopolitiques.

 

C’est pourquoi j’ai cru que, en liaison fraternelle avec d’autres interventions, il serait bon d’adresser un semblable appel à un public vaste, celui du « Monde », catholique ou non, car l’avenir de l’Eglise concerne tout homme. Il faut que ce mouvement d’inquiétude et de protestation puisse être le fait de tout homme, épris de liberté et de dignité ; car l’Eglise, indirectement, retentit sur tout le devenir social et culturel de mon pays, et bien au-delà.

 

 

 

Marcel LEGAUT, Le Monde, 21 avril 1989

 

 

Un Catholique à son Eglise

 

Les Eglises ont toujours à se remettre en cause. Le passé du christianisme ne garantit en rien de l’avenir des Eglises. La foi en Jésus ne conduit pas à affirmer que l’Eglise catholique demain ne sera pas fort différente de celle d’hier.

 

Mon Eglise sera-t-elle capable de la mutation qui lui est nécessaire pour ne pas être condamnée à devenir seulement une secte enfermée sur elle-même sous le couvert de doctrines incompréhensibles pour la plupart des hommes, à s’enliser peu à peu dans la société des hommes, qui en viendront à l’ignorer, ou à ne voir en elle que du folklore ?

 

Ou encore mon Eglise se réduira-t-elle sans se l’avouer à n’être qu’une entreprise humaine à la remorque d’organisations qui, bien avant elle, et souvent malgré elle, se sont efforcées de faire régner plus de justice dans le monde ? Elle en a certes la tentation en faveur des pays du tiers-monde, où elle espère trouver, à moindres frais doctrinaux, un accueil plus favorable que celui des milieux cultivés de l’Occident. Trop souvent, des positions doctrinales ou des décisions pastorales de haut niveau viennent contredire, effectivement et pratiquement, quelques déclarations, ponctuelles et théoriques, de solidarité avec la cause des pauvres.

 

Ou encore se limitera-t-elle aux liturgies festives qui permettent aux individus de célébrer les grandes heures de la vie ? Se bornera-t-elle à jeter en pâture à la foule les réjouissances des pèlerinages et les kermesses des grands rassemblements ?

 

Faudra-t-il que mon Eglise ait à passer par une sorte de mort pour que, du milieu des ruines qui se seront accumulées au long d’un lent et continuel effondrement, jaillisse de nouveau une véritable source de vie ?

 

Tout porte à le craindre, quand on constate combien les autorités religieuses de mon Eglise ont peine à regarder la situation avec sérieux et réalisme, à reconnaître l’importance des causes qui sont à l’origine de la crise actuelle, et à tenir compte à cet effet des connaissances, des techniques et des conditions de vie nouvelles.

 

Avec quelle assurance, sans saisir leurs dimensions, ne tranche-t-elle pas des questions toujours plus complexes ! Avec quelle résolution, sous-tendue de violence, elle se refuse à faire confiance aux chrétiens qui cherchent à trouver des solutions à des problèmes radicalement nouveaux ! Avec quelle hauteur elle les traite lorsqu’ils n’acceptent pas de se laisser lier aux manières de penser et aux comportements de discipline du passé ! Quel gaspillage dans le rejet de tant de bons serviteurs qui comptent souvent parmi les meilleurs !

 

Ce gaspillage conduit insensiblement et inéluctablement mon Eglise, malgré la présence en elle de quelques fortes et solides personnalités, à une médiocrité généralisée… Pour préparer l’avenir les autorités actuellement en place ne savent plus que se tourner vers le passé qui les a formées, qui les a promues, dont elles sont issues et qui les gardent prisonnières. C’est ainsi que meurent toutes les Aristocraties !

 

Et par ailleurs, avec quelle facilité le peuple chrétien n’emboîte-t-il pas le pas à ceux qui le gouvernent, qui le rassurent en se rassurant eux-mêmes ! Comme il fait de leur cécité et de leur optimisme, l’occasion de l’exercice de sa foi et de son espérance !

 

Sans nul doute, plus ou moins rapidement dans les temps qui viendront, les croyants qui resteront chrétiens auront à vivre leur foi dans l’isolement. Dans cette situation de diaspora, puissent-ils à quelques-uns se rencontrer en esprit et en vérité. Réunis au nom de Jésus, souffrant ensemble de voir dans quel état de pauvreté culturelle et spirituelle se trouve leur Eglise, sans désespérer, ils recevront de lui un avenir plus digne de l’Evangile.

 

Un nouveau regard sur l’avenir sera ainsi donné à ces êtres de foi et de fidélité pour qui Jésus est le vivant qui a montré à tout homme le chemin à découvrir pour s’accomplir dans son humanité. Et si, par malheur, mon Eglise, momifiée par un conservatisme matérialiste manquait à sa mission, les réactions seraient tellement fortes que jamais ne s’évanouira la percussion spirituelle provoquée par Jésus. Non ! Jamais passeront la présence active, le souvenir actif de Jésus !

 

 

Cet appel reçoit 2500 soutiens dont 800 lettres, auxquels M.LEGAUT répond.

 

 

 

Marcel LEGAUT, extrait de la Lettre aux signataires de l’Appel, 01 juillet 1989

 

 

…Je ne pense pas que Vatican II ait changé quelque chose d’important dans l’Eglise romaine. Même si celle-ci a pu donner cette impression pendant quelques courtes années. Certes, des modifications mineures – dans la liturgie en particulier- ont pu faire illusion, mais cette Eglise n’a pas encore jugé nécessaire de reconsidérer ses structures, de réviser sa doctrine et de modifier sa discipline, en tenant compte de connaissances et des techniques modernes (…) Il faut avoir l’honnêteté et le courage de l’affirmer : est voué à l’échec tout changement dans mon Eglise qui ferait l’économie de la transformation profonde des présupposées philosophiques sur lesquels est construite sa doctrine…

 

 

 

 

(textes reproduits dans DECOURT Georges, 2008, Ils gagnèrent le large, pp.130-133)