Leidrade
(745-816)
Durant le très haut Moyen-âge, l'histoire
de l'Eglise de Lyon, comme de la plupart des autres, apparaît à nos yeux comme
une nuit obscure, tout juste marquée de quelques noms faiblement éclairés : des
évêques, Eucher, Sacerdos, Nizier, Ennemond, ou des établissements connus
surtout par l'archéologie, églises basilicales ou monastères.
C'est avec l'arrivée de Leidrade
sur le siège épiscopal, vers 798, que les jalons se rapprochent l'un de l'autre
pour commencer de réduire les zones d'ombre et de nous rendre sensible une
continuité historique.
Quand Charlemagne, qui n'était
encore que roi des Francs, l'envoya à Lyon, ce n'était plus un personnage
insignifiant. Né en Bavière, quelque cinquante cinq ans auparavant, d'abord
moine à Freising,
il était devenu clerc du Palais royal d'Aix, où il avait reçu l'enseignement du
grand Alcuin. Ses contemporains sont unanimes à louer sa pratique des vertus
chrétiennes, et aussi son expérience des affaires publiques. D'ailleurs,
Charlemagne lui avait déjà confié à plusieurs reprises, à travers le vaste
royaume franc, des missions d'inspection et de gouvernement, et même de lutte
contre l'hérésie adoptianiste.
Il arrivait à Lyon
assez âgé, pour l'époque, et aspirant surtout au repos, mais il se mit au
travail, qui ne manquait pas. Depuis le temps des grands évêques, les
désordres, les pillages, les catastrophes avaient abondamment frappé la ville
et son église ; de plus, on ne voit plus, à ce moment, trace d'une autorité
civile bien nette, l'évêque allait en tenir lieu. La première tâche fut
d'assurer les conditions matérielles d'une action possible : il fallut
récupérer une partie du temporel et des revenus financiers que, depuis
plusieurs dizaines d'années, les puissants, à l'exemple de Charles Martel,
avaient pris l'habitude de s'approprier.
On put alors réparer les édifices
religieux : couverture de Saint-Jean et de Saint-Etienne, reconstruction de
Saint-Nizier et de la maison épiscopale, édification d'un cloître permettant
aux clercs de l'église cathédrale de reprendre la vie commune, restauration de
Sainte Eulalie (= Saint-Georges), de Saint-Paul, des monastères de Saint-Pierre
et de l'Ile Barbe. La vie régulière pouvait reprendre, accompagnée d'un
recrutement prometteur : 90 moines à l'Ile Barbe, 52 chanoines au
« chapitre de Saint-Etienne » (= Saint Jean), 32
moniales à Saint-Pierre.
S'étant doté d'auxiliaires, sur
les pouvoirs desquels nous sommes, à vrai dire, très mal fixés, il put
élargir son action ; on parle de missions dans les campagnes, mais nous serions
bien en peine de dire quelle en était la situation religieuse...
Soucieux de la formation du
clergé, il fonda des écoles de chantres, de lecteurs, de
copistes, et eut la joie de voir que les premiers élèves devenaient capables, à
leur tour, d'en former d'autres. La liturgie, empruntée à la
chapelle impériale d'Aix, put donc trouver un bon terrain, dans lequel elle
allait prospérer pendant mille ans. Des « scriptoria »
ou ateliers lyonnais sortirent de précieux manuscrits, dont quelques uns
sont parvenus jusqu'à nous. L'un d'eux porte la marque du
diacre Florus, le plus connu des clercs éduqués dans ces écoles. Ainsi
Leidrade, restaurateur de l'Eglise de Lyon, fut-il aussi l'un des acteurs de la
célèbre « Renaissance carolingienne », à la fois
restauration de la culture intellectuelle et remise en ordre de la vie
spirituelle et ecclésiastique. Sous son impulsion particulièrement vigoureuse,
Lyon allait en être un foyer durable.
A mesure que les années
passaient, le besoin de repos se faisait plus pressant. Vers 814, il put enfin
se retirer dans un cloître, laissant pour lui succéder son disciple Agobard,
forte personnalité, qui, à sa mort en 816, devint évêque en titre avant d'être
le premier, encore n'est-ce pas sûr, à porter le titre d'archevêque de Lyon.
Henri Hours
Eglise à Lyon, 1999, n°1