lettre de Grégoire
VII
aux archevêques de
Rouen, Tours, Sens
confirmant la
primatie de Lyon
1079
Lettre 35 de Grégoire VII.
Aux archevêques de Rouen, de Tours et de Sens. Année 1079.
Pour qu’ils prêtent obéissance à l’archevêque de Lyon, leur primat,
confirmé par lui selon l’antique autorité des Pères.
Démontre la raison et l’origine des divers grades dans l’Eglise.
Grégoire, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, aux frères
évêques de Rouen, de Tours et de Sens, salut et bénédiction apostolique.
Comme votre Fraternité le sait, le Siège apostolique, que nous
présidons, bien qu’indigne, par la volonté de Dieu, l’inspiration de la grâce
divine et l’enseignement du Saint Esprit, plaça des archevêques et des primats
à la tête des diverses provinces et royaumes ; c’est de son institution et de
son autorité que l’Eglise de Lyon est réputée avoir reçu depuis une longue
série d’années le primat sur quatre provinces, celles de Lyon, Rouen, Tours et
Sens.
Nous donc, désirant suivre l’exemple des Saints Pères autant que la
faveur de Dieu nous le permet, nous nous attachons, comptant sur leur
puissance, à confirmer de suite le primat de cette célèbre Eglise, qu’eux-mêmes
ont institué et consacré par leurs décrets.
Cela vient de ce que la divine providence a établi des grades
distincts et des ordres différenciés, pour que, tandis que les inférieurs
montrent du respect aux supérieurs et les supérieurs inondent d’affection les
inférieurs, le lien de la concorde fasse l’unité à partir de la diversité et
engendre une administration correcte de chacun des offices. En effet la
cohésion d’ensemble ne pouvait pas exister autrement que maintenue par un grand
ordre de différentiation de la manière suivante :
Comme vous le savez, la création ne peut pas être gouvernée et vivre
en une unique et même égalité, puisque le modèle des armées célestes nous
l’apprend : anges et archanges ne sont pas égaux et diffèrent les uns des
autres dans le pouvoir et l’ordre. Donc, si on constate une distinction entre
ceux qui sont sans péché, qui des humains refuserait de plein gré de se
soumettre à cette même disposition ? C’est à cause de cela que la paix et la
charité s’embrassent mutuellement, et que demeure une solide concorde et une
inaltérable pureté dans l’amour qui plaît à Dieu.
Donc, puisque chaque office est avantageusement rempli lorsqu’on peut
recourir à un unique supérieur, aussi a-t-on procédé, longtemps avant la venue
du Christ, en la plus plupart des lieux, à des découpages en provinces ;
par la suite cette division a été renouvelée par les apôtres et le bienheureux
Clément notre prédécesseur : aux capitales des provinces il y avait
naguère des primats de loi séculière, et en premier le pouvoir judiciaire, vers
lesquels se tournaient, quand il leur était nécessaire, ceux des autres cités
qui ne pouvaient pas s’adresser à la cour des empereurs ou des rois, ou à qui
cela n’était pas permis ; ils s’adressaient à eux pour leurs oppressions
et injustices, et faisaient appel à eux toutes les fois que c’était utile,
comme c’était prescrit dans leur loi.
Et dans ces cités ou lieux plus connus, (les lois divines et
ecclésiastiques le prescrivent), ont été placés des patriarches et des primats,
qui appartiennent à la même fonction quoique dénommés différemment, auxquels
les évêques, s’il s’avère nécessaire, s’adressent et font appel ; aussi
jouissent-ils du nom de primats et pas les autres.
Et les autres cités métropolitaines, qui avaient des juges inférieurs
bien que supérieurs aux comtes, ont vu cependant leur métropolitains obéir de
manière équitable à ces primats, et, comme dans les lois séculières de jadis,
on avait mis en place des archevêques qui jouissaient du nom de métropolitains
mais non de primats.
Et bien que chacune des cités métropolitaines aient eu ses provinces
et ses évêques métropolitains, comme auparavant elles avaient eu des juges métropolitains,
toutefois, comme il est dit plus haut, ont été décidées, hier comme
aujourd’hui, des primaties, vers lesquelles sont portées après le Siège
apostolique les affaires les plus importantes, de sorte que là on soit
obligatoirement soulagé et de manière équitable réhabilité, et que ceux qui
sont injustement accablés soient rétablis en justice et confortés dans leurs
droits, et que les causes épiscopales et les jugements des affaires les plus
importantes, sauve l’autorité du Siège apostolique, y soient arrêtées en toute
équité.
C’est pourquoi de par l’autorité apostolique nous vous prescrivons de
vous appliquer à rendre avec zèle et humilité à l’Eglise de Lyon l’hommage et
la déférence affichés par nos anciens de vos Eglises, de même que vous n’envisagez
pas vous-même que vos suffragants ne vous les rendent pas.
Que Dieu tout puissant et miséricordieux, gardien fidèle de la paix
et de la justice, daigne dans sa bienveillance inspirer à votre cœur de vous
appliquer à mettre en œuvre de la manière expliquée plus haut ces grades
solidement établis sur la voie de l’équité et de la concorde en ce siècle,
jusqu’à ce que, voulant gagner les biens éternels plutôt que les temporels,
vous méritiez de parvenir au faîte de la Jérusalem céleste.
Donné à Rome, le 12 des calendes de mai, indiction 2.
NOTES
Dans sa lettre Grégoire VII reprend
intégralement un passage d’une lettre attribuée au pape Anicet (n°II, PL.130)
qui fait partie des « fausses décrétales » écrites au IXè s. :
Et longtemps avant la venue
du Christ, en la plus plupart des lieux, on a procédé à des découpages en
provinces ; par la suite cette division a été renouvelée par les apôtres
et le bienheureux Clément notre prédécesseur : aux capitales des provinces
il y avait naguère des primats de loi séculière, et en premier le pouvoir
judiciaire, vers lesquels se tournaient, quand il leur était nécessaire, ceux
des autres cités qui ne pouvaient pas s’adresser à la cour des empereurs ou des
rois, ou à qui cela n’était pas permis ; ils s’adressaient à eux pour
leurs oppressions et injustices, et faisaient appel à eux toutes les fois que
c’était utile, comme c’était prescrit dans leur loi.
Et dans ces cités ou
lieux plus connus, (les lois divines et ecclésiastiques le prescrivent), ont
été placés des patriarches et des primats, qui appartiennent à la même fonction
quoique dénommés différemment, auxquels les évêques, s’il s’avère nécessaire,
s’adressent et font appel ; aussi jouissent-ils du nom de primats et pas
les autres.
Et les autres cités
métropolitaines, qui avaient des juges inférieurs bien que supérieurs aux
comtes, ont vu cependant leur métropolitains obéir de manière équitable à ces
primats, et, comme dans les lois séculières de jadis, on avait mis en place des
archevêques qui jouissaient du nom de métropolitains mais non de primats.
Et bien que chacune des
cités métropolitaines aient eu ses provinces et ses évêques métropolitains,
comme auparavant elles avaient eu des juges métropolitains, toutefois, comme il
est dit plus haut, ont été décidées, hier comme aujourd’hui, des primaties,
vers lesquelles sont portées après le Siège apostolique les affaires les plus
importantes, de sorte que là on soit obligatoirement soulagé et de manière
équitable réhabilité, et que ceux qui sont injustement accablés soient rétablis
en justice et confortés dans leurs droits, et que les causes épiscopales et les
jugements des affaires les plus importantes, sauve l’autorité du Siège
apostolique, y soient arrêtées en toute équité.
(col.72-73)
Grégoire VII se rapproche d’un passage d’une
autre lettre attribuée au pape Anicet (n°III, PL.130) qui fait partie aussi des
« fausses décrétales » :
Au vrai l’ordre des évêques est un, bien que soient
primats ceux qui occupent les principales cités, qui en certains lieux sont
appelés patriarches par quelques-uns.
Et ceux qui ont été institués dans une métropole par le
bienheureux apôtre Pierre, sur l’ordre de Dieu, et par notre prédécesseur saint
Clément, ou par nous, ils peuvent n’être pas tous primats ou patriarches, mais
ces villes, où dans ces temps anciens-là se tenaient des primats, jouissent du
nom d’évêques, de patriarches ou de primats.
Au vrai les autres métropoles usent des noms
d’archevêques ou de métropolitains, et non de patriarches ou de primats, parce
que celles-là même gardent les lois du siècle depuis leurs débuts, et les
autres principales cités, que nous vous envoyons consignées dans ce fascicule,
ont reçu des saints apôtres et du bienheureux Clément, ou de nous, des
prédicateurs primats.
Au vrai cette sacrosainte Eglise romaine et apostolique
a tenu non des apôtres mais de notre Seigneur Sauveur lui-même le primat et la
prééminence de pouvoir sur l’ensemble des Eglises, et a reçu en garde tout le
troupeau du peuple chrétien, comme Il le dit lui-même au bienheureux apôtre
Pierre: « Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Eglise, et les
portes de l’enfer ne pourront rien contre elle, et à toi je donnerai les clés
du royaume des cieux. Et tout ce que tu lieras sur la terre sera lié au ciel,
et tout ce que tu délieras sur la terre sera délié au ciel » (Matthieu
16/18).
(col.75-77)
L’allusion au pape Clément se réfère à un
passage d’une lettre qui lui a été attribuée (lettre I, PL.130) et fait partie
aussi des « fausses décrétales », où il transmet à Jacques les
instructions de Pierre.
(adresse)
Clément à seigneur Jacques, évêque des évêques,
dirigeant la sainte Eglise des Hébreux à Jérusalem, mais aussi à toutes les Eglises,
qui ont été fondées de partout par la providence de Dieu, avec les Pères et les
diacres et tous les autres Pères. Que la paix soit toujours avec toi.
(col.19)
….
Nous avons envoyé quelques-uns en Gaule et en Espagne,
et certains en Germanie et en Italie, et nous désirons en diriger vers les
autres peuples ; là où nous savons qu’il existe des peuples plus farouches
et plus rebelles, nous avons l’obligation de diriger les plus sages et les plus
austères, eux qui ne cessent chaque jour de semer des semences divines, de
gagner la multitude au Christ, et de conduire vers la foi correcte et la voie
de vérité, pour pouvoir présenter au Seigneur un plus grand nombre de gerbes.
En fait dans ces cités où existaient autrefois les
archi-flamines des païens et les docteurs en premier de la loi, ils mirent en
place des primats d’évêques ou des patriarches qui examinent en confiance les
jugements des autres évêques et les affaires plus importantes (toutes les fois
qu’il est nécessaire) et, suivant la volonté de Dieu, comme les saints apôtres,
ils les ont institués pour que personne ne connaisse une situation
injuste ;
et dans les autres cités, où naguère existaient ces
archi-flamines qu’ils tenaient pourtant pour inférieurs à ces primats, il (Pierre) prescrit que soient institués des
archevêques qui ne jouissent pas du nom non pas de primats mais d’archevêques.
Et les jugements des évêques, comme il est rappelé plus
haut, et les affaires plus importantes des Eglises, s’ils les contestent ou ont
quelque crainte, ou s’ils trouvent ceux-là ou d’autres suspects, il prescrivit
de les transférer vers ces primats ou patriarches pour que personne ne soit
anéanti à tort.
En fait aussi dans chacune des cités, il prescrit que
soit institué un seul évêque, et non pas deux ou trois ou plusieurs, qui prenne
le nom non pas de primat ou d’archevêque ou de métropolitain (les plus petites
cités n’en ont pas), mais use seulement du vocable d’évêque, puisqu’entre les
apôtres eux-mêmes n’existait pas une égalité institutionnelle, mais qu’un seul
était à la tête de tous. Il institua qu’on pourvoie à cela, afin que dans les
villages, ou castels ou modiques cités, des évêques ne soient pas institués,
afin que le nom d’évêque ne soit pas dévalorisé. Donc il disait que le Seigneur
avait enseigné que l’on remplace les apôtres par des évêques, et il suggérait
que l’on mette des prêtres à la place des autres disciples.
(col.30)
…
(conclusion)
C’est pourquoi, très cher frère Jacques, ces préceptes
que j’ai reçus de la bouche de saint Pierre qui nous l’ordonne, c’est pour toi,
comme tu souhaitais, que je les ai recherchés, afin que tu prescrives de les
conserver tous intacts, parce que il ne faut pas que les affaires
ecclésiastiques soient menées avec négligence mais avec diligence.
(col.38)
Ces textes se retrouvent intégrés dans le Décret de Gratien (XIIè s.), prima pars,
distinctio LXXX
archi-flamines : les flamines étaient des fonctionnaires de la société romaine
à la fois pour l’administration et le sacerdoce, organisés hiérarchiquement (flaminat, pontificat, augurat…), avec flaminat
municipal, provincial…, en duumvirat, triumvirat, quattuorvirat…,
avec des enquêteurs, des juges…
TEXTE LATIN
1701, Recueil
de quelques-unes des principales pièces produites au procès pour la
primatie de Lyon
MIGNE, 1853, Patrologie
Latine, Migne, tome
I
BRIAL, 1806, Recueil
des Historiens des Gaules, tome
14
SEVERT, 1678, Chronologia historica successionis hierarchicae
Lettre
de Clément, Patrologie latine, Migne, tome 130, col.30
Lettres
d’Anicet, Patrologie latine, Migne, tome 130
Décret de Gratien, prima pars, distinctio LXXX
DOCUMENTS
- site Méditerranées,
Flamen
-
RONY, 1929, Saint
Jubin, archevêque de Lyon et la primatie lyonnaise,
Revue d'Histoire de l'Église de France, 15/69, pp.409-430
- VILLARD François,
1991, Primatie
des Gaules et réforme grégorienne, Bibliothèque de l'Ecole des chartes, 149/2, pp.421-434
- LAUWERS Michel,
2008, Territorium
non facere diocesim. Conflits, Limites et
représentation territoriale du diocèse Vè-XIIIè siècle, in MAZEL
F. (dir.), L’Espace du diocèse. Genèse
d’un territoire dans l’Occident médiéval (Vè-XIIIè siècle)
- PELLETIER André, 2001, Vienna,
Vienne
- LAMOINE Laurent,
2009, Le
Pouvoir local en Gaule romaine
g.decourt