LETTRE PASTORALE
DE
SON EMINENCE LE CARDINAL ARCHEVEQUE DE
LYON
Sur les Œuvres de Jeunesse
12 Mars 1909
BIEN CHERS MESSIEURS,
Nous avons eu plus d'une fois
l'occasion de vous parler des Œuvres de Jeunesse. Dans toutes circonstances,
Nous vous disions la nécessité de nous occuper des jeunes gens et des jeunes
filles, après la première Communion et après l'âge scolaire.
Ce sont là des obligations strictes
pour les Pasteurs et pour leurs auxiliaires.
Sans doute, si comme autrefois les
familles étaient profondément chrétiennes ; si l'instruction religieuse s'y
poursuivait par les lectures saintes des soirées d'hiver ; si le foyer familial
conservait pour les jeunes gens cet attrait traditionnel qui les gardait contre
tout péril du dehors ; on pourrait contester la nécessité de ces groupements
divers, qui, sous le nom de patronages, cercles, amicales, cercles d'études,
etc..., tentent d'arracher nos jeunes gens aux dangers qui menacent leur foi et
leurs mœurs, et s'efforcent de développer et de raffermir leur instruction
religieuse.
Mais vous le savez, chers Messieurs,
aussi bien que Nous-même : les conditions de la vie moderne ont bouleversé
toutes les anciennes habitudes protectrices de la foi de nos enfants. Les
parents n'ont plus le temps de s'occuper de leurs âmes, ou ils n'en ont plus le
goût. C'est au prêtre à essayer de mille industries pour recueillir ces jeunes
gens et pour achever l'éducation, la formation de ces âmes, qui sont menacées
par tant de périls.
L'ennemi de notre loi ne s’y trompe
point. Avec une clairvoyance diabolique, il s'est bien avisé que lui aussi,
dans son travail de séduction de l'enfance, il n'a rien terminé au moment de la
sortie de l'école. Aussi poursuit-il une campagne acharnée pour attirer dans
ses œuvres postscolaires la jeunesse qu'il a déjà réussi à retenir dans les
écoles sans Dieu. Chaque année, dans les rapports officiels qui sont publiés,
nous pouvons suivre l'effort accompli pour enlever à l'Eglise et à la vie
chrétienne ces enfants et ces adolescents, arrivés à l'âge le plus décisif de
la vie.
N'est-ce point nous indiquer notre
impérieux devoir? Aussi voulons-nous, aujourd'hui encore, vous exhorter, chers
Messieurs, à redoubler d'efforts pour grouper ces jeunes gens, ces jeunes
filles, pour achever leur instruction chrétienne, pour leur donner, avec les
distractions nécessaires à cet âge, l'orientation, plus nécessaire encore, vers
un avenir où leur foi affermie et éclairée demeure la base de ces vertus
courageuses, qui sont la garantie et l'honneur des foyers chrétiens.
Certes, dans notre grand diocèse de
Lyon, il s'est fait déjà un grand progrès en ce sens et des œuvres nombreuses
se sont fondées sous l'influence du zèle ardent de nos prêtres, avec le
concours précieux de nos catholiques intelligents et dévoués. Nous sommes
heureux de vous en féliciter, chers Messieurs, et Nous ne serions pas
embarrassé pour trouver nombre de paroisses qu'à cet égard Nous pourrions citer
comme des modèles à imiter.
Toutefois, il est certain qu'il nous
reste encore beaucoup à faire. Dans un très grand nombre de paroisses rien ou
presque rien n'a été tenté. Et dans toutes celles où déjà les Œuvres sont
établies il y a toujours progrès à réaliser et apostolat à exercer.
Un premier point sur lequel Nous
voudrions attirer votre attention, c'est la nécessité de donner à nos œuvres de
jeunesse une orientation franchement chrétienne.
A cet égard, Nous n'ignorons pas que,
suivant les différents milieux, on est forcé de procéder de diverses manières.
Deux systèmes principaux sont en présence. Les uns ouvrent très grandes les
portes de leurs Œuvres, afin de procurer au plus grand nombre possible le
bienfait du contact du prêtre, sauf à tirer ensuite du sein de ces larges
groupes des élites formées avec soin à la piété et à l'apostolat, d'où jaillira
sur tous les autres une influence conquérante. Un autre système consiste, au
contraire, à prendre des unités, peu nombreuses d'abord, mais franchement
animées de l'esprit chrétien. C'est un noyau très nourri autour duquel
viendront accéder peu à peu d'autres membres qui, à ce contact, se formeront à
leur tour
Nous ne saurions désapprouver aucune de
ces conceptions, à la condition que le prêtre y soit toujours prêtre et que sa
préoccupation soit sans cesse de poursuivre la formation de ces âmes, soit par
l’instruction religieuse donnée sous diverses formes, soit par l’action des
Sacrements, foyers de vie chrétienne.
C'est là le but qu'il faut poursuivre
avec persévérance dans ces Œuvres : ramener à une pratique plus intense de la
piété chrétienne par la fréquentation de la Communion Eucharistique, de façon à
créer partout de ces élites d'hommes chrétiens, vraiment intelligents de leur
foi et inébranlables aux attaques et aux séductions contemporaines.
Ce but sérieux et si digne de tout
l'effort de l'apôtre, ne saurait être exclusif de tout autre ordre de préoccupations.
Il y a en effet pour la jeunesse un autre genre d’intérêt que l'on peut
rencontrer dans le savoir profane, dans l'étude de l'économie sociale et de
toutes les questions qui sont soulevées aujourd'hui parmi nous.
Dans ce dernier ordre d'idées, les
cercles d'études peuvent remplir un rôle singulièrement utile parmi nos Œuvres
de Jeunesse. Nous ne pouvons qu'encourager les efforts accomplis en ce sens par
le groupement du Sud-Est, où des jeunes hommes se sont, depuis nombre d'années
déjà, donné la tâche de promouvoir parmi nous, avec une sagesse et une
persévérance dignes de tout éloge, l'éducation des jeunes esprits dans un sens
vraiment catholique.
Que leur apostolat pénètre nos Œuvres
de Jeunesse ; Nous ne pouvons qu'y applaudir.
Nous n'en dirons pas autant d'un autre
groupement, dans lequel Nous rencontrons certainement des jeunes gens dignes
d'estime, mais dont la direction, affectant de se soustraire au contrôle et aux
conseils de l'Eglise, donne aux Evêques de France de trop légitimes sujets
d'inquiétude.
Enfin, il convient de dire un mot des
distractions et récréations inséparables de tout groupement de jeunes. Il est
clair que ces réunions ne peuvent point se passer sans l'épanouissement normal
que cet âge demande. Et nos Œuvres de Jeunesse ont besoin d'offrir cet intérêt
et cet attrait pour devenir ou demeurer prospères.
D'autre part l'éducation ne peut se
concevoir complète sans s'occuper du développement physique, à côté du
développement intellectuel et moral. Aussi, les jeux, la gymnastique et autres
exercices ou divertissements, sont-ils vraiment nécessaires dans ces Œuvres.
C'est à chaque Directeur de voir en
quelle mesure il doit, dans le milieu où il travaille, faire la part de ces
divers moyens d'intéresser les jeunes gens. Dans un assez grand nombre de
patronages ou de cercles, l'usage s'est introduit de donner de temps en temps
des spectacles, soit pour le simple agrément des membres de l'Œuvre, soit en y
convoquant un public plus ou moins extérieur, et avec la préoccupation bien
légitime de procurer à l’Œuvre les ressources pécuniaires dont elle peut avoir
besoin.
Ces spectacles, quand le sujet en est
bien choisi, peuvent être une très saine récréation, et même, s'il s'agit
surtout de la reproduction de nos mystères chrétiens, ils peuvent fournir aux
spectateurs et aux acteurs un enseignement et une édification.
Mais afin que des abus n'y soient pas à
craindre, il y a certaines règles que nous leurs demanderons d'observer.
1° Il est clair que MM. les Cures étant
responsables personnellement de tout le fonctionnement des Œuvres Paroissiales,
aucune représentation ne peut être décidée, annoncée on exécutée, sans que
préalablement M. le Curé en ait autorisé, même pour les fêtes intimes de
l'Œuvre, et la pensée, et le sujet, et les diverses conditions d'exécution.
2° Lorsqu'il s'agira de représentations
vraiment publiques, et qui dépassent la simple réunion des fêtes de famille, il
est indispensable que le « libretto » en soit soumis à M. l'Archidiacre,
et qu'aucune annonce n'en soit faite sans qu’au préalable le « nihil obstat »
ait été obtenu.
3° Même en ce cas, où un plus large
public serait convoqué à ces représentations, on devra éviter la publicité
tapageuse, telle qu'elle est usitée pour les spectacles mondains. Le Bulletin Paroissial, la Semaine Religieuse, pourraient suffire à
l'annoncer, et cette annonce, conçue en termes simples et convenables, serait
sans inconvénient reproduite par nos journaux catholiques. On ne devra recourir
à la publicité par voie d'affiche qu'à la condition que la rédaction de ces
affiches soit autorisée.
4° On prendra garde, autant qu'il en
pourra dépendre de MM. les Directeurs de Patronages, que les comptes rendus de
ces spectacles ne revêtent point le caractère de « Revue Théâtrale », mais
conservent l'air de modestie, et, s'il s'agit des mystères de notre foi, la
note de piété qui leur convient.
5° La présence sur le théâtre de
personnes de différent sexe ne peut pas régulièrement être tolérée. Dans la
reproduction des mystères de la naissance, de la vie ou de la Passion de
Notre-Seigneur, on peut admettre une exception cette règle. Mais alors, il est
nécessaire de veiller avec le plus grand soin à ce que, pour le choix des
personnes, au cours des exercices, dans la représentation elle-même, les
précautions de la plus stricte réserve soient notoirement prises, en sorte qu'aucune pensée déplacée ne puisse
ressortir chez aucun de spectateurs, de la tenue, du vêtement, des paroles de
ces personnages.
6° Les chœurs mixtes, toujours interdits
à l'église, ne pourraient être tolérés dans ces réunions, que si les exercices
se font séparément, et si, par le choix des exécutants, on écarte, aux yeux de
l'opinion comme en réalité, tout péril et tout soupçon de la plus légère
inconvenance.
Sur ce point, il faut encore se
rappeler que rien ne petit s'organiser sans le contrôle de M. le Curé, dont la
responsabilité ne saurait se dégager d'aucune de ces circonstances.
7° Enfin, MM. les Directeurs de
Patronages, tout en donnant tous leurs soins à la préparation de ces
solennités, dans lesquelles ils n'ont en vue que le bien de leurs jeunes gens
et le succès de l'Œuvre qui leur est confiée, veilleront à ne pas se laisser
tellement envahir par cette préoccupation exclusive, qu'ils en arrivent à négliger
quelque autre part de leur ministère, ou les exercices de piété qui sont la
garantie de la vie sacerdotale.
Il est bien entendu que les Patronages
non paroissiaux devront suivre les mêmes règles. La responsabilité des
Directeurs de ces Œuvres s'y substitue simplement à la responsabilité de MM.
les Curés.
Dans toutes ces dispositions, chers
Messieurs, comme dans tous les conseils que Nous livrons à vos bonnes volontés,
vous ne manquerez pas de découvrir l'ardent désir que Nous avons au cœur de
vous voir de plus en plus vous attacher à la formation des âmes de nos jeunes
gens et de nos jeunes filles.
Nous avons à préparer un avenir de
lutte chaque jour plus difficile pour la conservation de la foi et de la vie
chrétienne. Une formation superficielle des âmes ne peut plus suffire à les
armer, en face des ennemis acharnés à leur perte. Notre devoir strict est de
leur donner une trempe suffisamment forte, pour qu'elles ne fléchissent point
au combat. C'est donc avec les plus vives instances que Nous vous adressons cet
appel, en vous félicitant des efforts déjà accomplis.
Recevez, chers Messieurs, l'assurance
de mes sentiments tout paternels et vraiment dévoués en Notre-Seigneur.
† PIERRE, Cardinal COULLIE
Archevêque de
Lyon et de Vienne, Primat des Gaules
MM. les Curés pourront lire cette
lettre en chaire, en tout ou en partie ; mais elle devra être lue tout entière
dans la première réunion des conférences, mention sera faite de cette lecture
au procès-verbal.