Ligue des Droits des Catholiques
(Bulletin de la « Ligue des Droits
des Catholiques »)
Court exposé du But et de l'Organisation
de la Ligue des Droits des Catholiques.
Rapport présenté au IVe Congrès Diocésain, par M.
le Chanoine HEURTIER
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On me demande un court exposé du but et
de l'organisation de la « Ligue des droits des catholiques ». A la
réflexion je l'ai jugé inutile.
Ne serait-ce pas humiliant de penser
qu'après les trois lettres pastorales de nos chefs hiérarchiques :
Celle du Cardinal Coullié en 1908,
Celle du Cardinal Sevin en 1913 ;
Celle du Cardinal Maurin en 1918,
toutes trois publiées pour organiser
dans le diocèse le groupement des catholiques sous un nom ou sous un autre,
après tous les Congrès cantonaux menés avec une intelligence et une vaillance
sans égale par Mgr Marnas et Mgr Chassagnon alors directeurs des œuvres, après
tant de conférences diverses sur ce sujet faites dans tous les coins du
diocèse, ne serait-il pas humiliant dis-je, de penser qu'on ignore et le but et
l'organisation et l'esprit de la Ligue ?
N'a-t-on pas répété cent fois que son but
est de grouper les .catholiques pour les pousser à l'action ; que cette action
s'étend à tout ce qui comprend d'une part l'exercice et la défense de leurs
droits sur le terrain solide du droit commun comme le veut et l'a redit souvent
notre Cardinal, et d'autre part, le développement normal de toutes les œuvres
nécessaires à la pratique de la vie chrétienne ; que cette action ne saurait
être efficace sans la collaboration effective, étroite, fréquente, cordiale
aussi — j'insiste sur ce mot — des prêtres et des laïques sous l'autorité du
général en chef, c'est-à-dire de l'évêque par l'intermédiaire des Comités
paroissiaux, cantonaux et diocésains ? A quoi bon le dire pour la cent et
unième fois ?
Ne vaut-il pas mieux essayer de dissiper
les préventions, les malentendus que la ligue suscite encore et réduire à
néant, une bonne fois pour toutes, les objections de certains esprits
apathiques ou chagrins pour arriver à cette conclusion pratique : vous n'avez
décidément plus de raison de bouder la Ligue, il faut vous mettre à l'œuvre,
c'est-à-dire tirer de sa léthargie cette Ligue qui n'existe chez vous que sur
le papier ? Car s'il y a des Ligues très vivantes heureusement — combien ? Il
nous est difficile de le savoir — en beaucoup d'endroits elles sont mort-nées
ou atteintes de la maladie du sommeil.
On boude la Ligue, c'est un fait. Et on
la boude, par je ne sais quel esprit de contradiction ou par paresse peut-être,
mais surtout, par suite de la lassitude qu'un ministère trop chargé rend
compréhensible et excusable chez un grand nombre de nos prêtres.
Que lui reproche-t-on ? Presque tout.
Son nom.
Sa nouveauté.
Son inutilité.
Remarquez en passant que si elle
n'existait pas, on nous reprocherait peut-être sa non-existence ? Qu'attendent
donc nos chefs pour nous grouper ? dirait-on. A quoi servent les directeurs des
œuvres s'ils ne s'emploient pas à la concentration des forces catholiques ?
Mais la Ligue existe et l'on décroche
volontiers à son endroit de faciles et peu bienveillantes critiques. Voyons ce
qu'on lui reproche et sous quelles raisons on couvre son inertie.
Encore une fois je ne parle pas pour
tous, mais pour ceux-là seulement, prêtre ou laïques qui ne veulent rien faire.
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On
lui reproche son nom !
Il fallait bien lui en donner un. Son
Éminence l'a baptisée « Ligue des droits des catholiques ». Vous
auriez préféré le mot Union. Auriez-vous peur d'un mot qui évoque tout aussi
bien l'idée d'union que l'idée de combat ? Et si — ce qui est vrai — c'est
l'idée de combat qui domine dans ce mot, comment des catholiques auraient-ils
peur d'entrer dans notre Ligue, alors qu'ils font partie comme citoyens de la
Ligue des familles nombreuses ou de la Ligue des combattants ou de la Ligue des
contribuables, ou de la Ligue des locataires contre les propriétaires et
vice-versa? Si on emploie ce nom avec tant de facilité, n'est-ce pas une preuve
qu'il a la faveur du public ? Expliquons-le donc loyalement, disons à nos
hommes que la Ligue n'est évidemment pas une confrérie des bras croisés : rien
n'est si désastreux que de réunir des hommes pour leur dire qu'ils n'ont rien à
faire, il vaut mieux les laisser tranquilles au coin du feu ; disons-leur
qu'aux heures où il faudra se défendre ils auront à montrer, comme nos poilus
de la grande guerre, « qu'ils sont un peu là » ; donnons-leur la
devise des braves qui devrait être celle de toute nos Ligues : toujours
combattus, parfois battus, jamais abattus : ils comprendront ! Les femmes
n'ont pas eu peur du nom sous lequel on les fait marcher : ligue des Femmes
Françaises. Est-ce que les hommes seraient plus femmes que les femmes,
c'est-à-dire plus craintifs et plus susceptibles ?
J'espère que cette querelle de mots est
vidée maintenant. Passons à un reproche plus sérieux.
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C'est
une œuvre nouvelle.
Je réponds : non, si vous entendez par
là une œuvre qui demande des locaux et des ressources supplémentaires. Oui, si
vous regardez la Ligue comme une orientation donnée à nos œuvres d'hommes
différente de celle qu'elles avaient eue jusqu'à ce jour. Les catholiques et
les œuvres étaient isolés, dispersés. Il s'agit de grouper les uns et les
autres dans la paroisse et le diocèse en un faisceau d'activités pour produire
une force organisée sous un commandement unique, marchant vers un but précis
d'après des plans de création, de défense et d'attaque longuement mûris Et si
les circonstances ont changé, si les besoins des âmes demandent une tactique
nouvelle, pourquoi refuserions-nous de nous adapter ? Autre temps, autre mœurs,
dit-om. Autre temps, autres méthodes aussi.
Qui oserait nier que la méthode de
l'isolement pratiquée jusqu'ici ne nous ait pas été funeste ?
Depuis quarante ans on lutte. Les
Lucien-Brun, les de Mun, les Grousseau, les Jacquier et cent autres ont
prodigué leur éloquence sur tous /es terrains. Pourquoi avons-nous toujours été
vaincus ? Parce qu'ils étaient des chefs sans troupes et que leurs campagnes
d'éloquentes protestations n'avaient pas de lendemain et ne faisaient que
surexciter, par une sorte de choc en retour, l'activité de l'adversaire.
Ce que nos adversaires redoutent, ce ne
sont pas les déclarations et les protestations, c'est une action ferme,
énergique, méthodique, c'est l'association, n'est le nombre, faisant bloc. Les
torrents les plus impétueux balayent des tas de pierres accumulés sur leur
passage et voient leur fureur se briser devant un simple barrage. On nous
demande maintenant d'être le barrage et non le monceau de pierres, voilà tout.
Si c'est là une nouveauté il faut bénir la clairvoyance de nos évêques qui ont
compris la situation et veulent remédier à notre faiblesse vis-à-vis de nos
ennemis.
Du reste un jour aussi les sociétés de
gymnastique, les patronages, les écoles libres furent une nouveauté. On
commença par leur faire grise mine et si l'on avait su alors les besoins
d'argent et de dévouement qu'ils nécessiteraient dans l'avenir, la peur de les
entreprendre aurait été atroce. Tout en grognant peut-être on a marché, et en
marchant on a fait des merveilles. Tous les rapports de notre Congrès diocésain
en ont été l'éclatant témoignage.
La Ligue ne demande aux prêtres et aux
laïques qu'une dépense d’activité morale et surnaturelle. Pourquoi la
refuserait-on quand on sait qu'à dépenser de la sorte on s'enrichit splendidement
et on travaille à refaire la France ?
Concluons de ce qui précède que la
Ligue n'est pas une création factice, décrétée par la Direction des Œuvres mais
bien une nécessité de l'apostolat moderne.
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C'est vrai, diront certains esprits,
trop intelligents pour s'offusquer du nom ou de la nouveauté de la Ligue, mais
pour nous dont les paroisses sont foncièrement catholiques et où nous trouvons
chez les catholiques des collaborations intelligentes et généreuses l'utilité de la Ligue nous laisse
sceptiques. Nous marchons par ordre mais sans conviction : il nous reste à
voir les services que nous pourrions tirer de la Ligue car sans elle nous
pouvons nous suffire.
C’est le troisième grief, le plus grave
auquel il me faut répondre.
Je pose en principe que le clergé ne
peut pas et ne doit pas tout faire, que plus son action sera collective plus
elle sera prospère et efficace, que plus ses responsabilités seront partagées,
moins elles seront lourdes ; plus il aura d'auxiliaires plus son influence sera
étendue et conquérante.
Or la Ligue, essentiellement
association d'apostolat, me semble seul susceptible de fournir aux prêtres à la
fois la collaboration fréquente, méthodique, multiple aussi dont ils ont
besoin, et le groupement résolu sur lequel ils peuvent agir. Bien comprise, la
Ligue n'est pas une surcharge mais une décharge pour le prêtre. De quoi se
compose-t-elle ? D'un chef, d'un état-major et d'une troupe.
Elle demande que le chef réunisse
fréquemment son état-major ou plus simplement ses chefs de quartier pour
discuter avec lui en toute franchise des mesures à prendre, des œuvres à.
soutenir, écoles, sociétés de gymnastique, patronages, cercles d'études, comité
de presse, etc. Et déjà il est facile d'imaginer l'influence et l'ascendant que
peut exercer une phalange choisie de quinze à vingt hommes pénétrant dans
toutes les avenues de la paroisse, marchant avec identité de vues et de
mouvement et travaillant avec leur curé à la fondation, à la diffusion, à la
prospérité des œuvres reconnues nécessaires et possibles.
Ce Comité c'est l’œil et le bras du
curé. Les affaires religieuses deviennent ses affaires. Et c'est autour de ce
noyau que vient s'opérer le groupement paroissial.
Les chefs de quartier sont les
recruteurs des adhérents à la Ligue : ils les prennent partout dans la partie
saine de la population. Et quand, avec de la ténacité et de l'intelligence, ils
auront fait le tour de leurs relations, de leurs amitiés, voire même de leurs
clients, quel bataillon ne peuvent-ils pas amener à M. le Curé pour les
réunions générales ? Bataillon qui n'est pas une masse amorphe puisque chacun a
donné son adhésion et sa cotisation volontaires, bataillon qu'on aura dans la
main puisque, avec les adresses, il sera facile de mobiliser chaque membre en
moins de quarante-huit heures.
Et si, poussant plus loin le souci de
la collaboration méthodique, on réalise ce qu'ont fait plusieurs curés, celui
de Saint-Michel, celui de Chazelles-sur-Lyon, par exemple pour qui la Ligue est
non pas une œuvre mais la Fédération de toutes
les œuvres d'hommes qui viennent se greffer sur elle comme sur un tronc
puissant, œuvre mère dont elles sont les filiales, avec un Bureau général qui
est le bureau même de la Ligue augmenté des présidents de chaque œuvre
particulière, respectant scrupuleusement l'autonomie de chaque groupement, ne
voulant être une gêne pour aucune mais une aide pour toutes, alors on a
vraiment un instrument de premier ordre d'organisation catholique et de
restauration de vie paroissiale. Que les paroisses, surtout les grandes,
essayent d'organiser ce que j'appellerais volontiers un syndicat d'initiative
sur le terrain religieux, on sera étonné de résultats.
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Je me résume, il est temps. Grouper la
masse, grouper les catégories, grouper les élites, grouper les intérêts, grouper
les forces, tel est le devoir impérieux de l'heure présente, telle est
l'essence de la Ligue des droits des catholiques, tel est le moyen de décupler
l'activité du clergé et des laïques...
On raconte que le soir du jour qui
précéda la bataille d'Isly, Bugeaud, montrant à ses officiers la multitude des
Arabes et le nombre restreint de ses soldats, parla en ces termes : « Ces
hommes sont une cohue, nous sommes une armée, c'est nous qui aurons la
victoire ».
Formons le vœu qu'un jour nos évêques puissent
opposer à la cohue des ennemis de l'Église, divisés par tant d'intérêts et de
passions, des troupes, moins nombreuses peut-être, mais plus disciplinée et
s'écrier : Nous sommes une armée, c'est nous qui aurons la victoire !
Cette victoire nous la devrons à la Ligue : à ses chefs valeureux et à ses
soldats aguerris.
Le Congrès forme le vœu que, sous
l'impulsion du clergé et avec l'aide des catholique agissants, dans chaque
paroisse, la Ligue s'établisse et qu'une fois établie, elle s'emploie à grandir
en nombre et en qualité. Qu'elle devienne effectivement le groupement central
des catholiques et des œuvres et que, par le moyen de réunions aussi fréquentes
que possible, une vie intense y circule dont toute la paroisse profitera.
B. HEURTIER
Directeur des Œuvres.
DOCUMENTS
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Semaine religieuse du 6 mai 1921, n°24