Les Laïcs dans les
Missions de Linsolas
1796
On sait que pendant la Révolution, pour continuer de
vivre, le diocèse de Lyon fut constitué clandestinement en missions, de quarante à soixante paroisses chacune, ayant à leurs têtes des chefs de mission qui dirigeaient les missionnaires exerçant dans l'ombre sur leurs territoires. A la fois structuré et souple, le système n'eût quand même pas tenu longtemps, en ce temps de persécution et de clandestinité, sans la participation active des laïcs. C'était une nouveauté,
plus que le réseau de secours matériel et spirituel aux prisonniers de la Terreur qui
fonctionnait
à Lyon, et le vicaire général Linsolas pensa devoir la justifier en prenant
exemple des missions lointaines. Son Instruction
du 8 février
1796 s'y
réfère explicitement : « C'est par la ferveur et le zèle des catéchistes de la Chine, du Tunquin et autres missions étrangères
que les missionnaires y soutiennent la catholicité au milieu des séductions journalières, des persécutions fréquentes que le monde et le démon opposent de concert aux
progrès de la foi ».
Notons au passage qu'en attisant la ferveur des fidèles par ces exemples lointains, Linsolas
était aux origines du réveil de l'esprit missionnaire qui devait se manifester avec éclat dans le diocèse de Lyon à partir de 1815.
Missionnaires et chefs de missions eurent donc à recruter des hommes sûrs : piété, dévouement, expérience, courage, discrétion. L'un d'eux, chef de village ou, mieux, chef de paroisse, avait une lourde responsabilité. Présider
les assemblées des fidèles en
l'absence des missionnaires, y diriger les exercices religieux, faire ou faire faire lectures et prières,
communiquer annonces et informations du chef de mission ; choisir le local des assemblées, assurer leur discrétion et leur sécurité ; veiller à la sûreté du missionnaire lors de ses passages ; tenir la liste des décès, des naissances et des ondoiements ; entretenir la paix et la concorde entre les fidèles ; exercer à l'égard des « schismatiques » (ceux qui suivaient le clergé constitutionnel) une action discrète et charitable en vue de les
ramener à la vraie Eglise.
Avec eux, furent désignés des catéchistes, hommes également sûrs, chargés surtout de fonctions de liaisons : informer les fidèles des prochaines assemblées, assurer les liens de la paroisse
avec le missionnaire, assister malades et mourants (et si possible prévenir le missionnaire), organiser les secours aux pauvres ; ils avaient en outre la responsabilité de l'ondoiement des nouveau-nés ; en dépit de leur titre, on ne leur voit pas de tache d'enseignement religieux. Les plus confirmés protégeaient les déplacements du missionnaire, ou même allaient secrètement sonder les paroisses voisines non encore touchées par les missions, et y préparer le terrain.
Voilà le programme idéal. Sans doute, dans la réalité, les rôles furent-ils moins rigoureusement répartis que sur le papier, mais c'est bien dans cet esprit que fut menée, avec efficacité, l'action des laïcs : en aucun cas suppléance du clergé (à l'exception des ondoiements, explicable par l'urgence), mais protection, soutien matériel et moral rendant possible l'exercice
du ministère sacerdotal, dont aucune parcelle n'était remise en cause ; l'assemblée des fidèles n'était pas un succédané de la messe, ni
son président celui du prêtre ; c'était une mesure conservatoire, destinée à faire survivre la communauté chrétienne en attendant le retour à l’ordre.
Une question se pose. Ces laïcs qui s'étaient dévoués, à leurs risques et périls, que devinrent-ils, une fois l'ordre revenu et chacun retourné à sa place ? Nous n'en savons rien. Aujourd'hui, on leur prêterait facilement amertume et rancœur à se voir évincés de responsabilités qu'ils avaient si généreusement assumées. Nous ne connaissons, à vrai dire, aucune trace de
tel sentiment et sans doute, à les présupposer, commettrait-on le péché d'anachronisme : à cette époque, l'influence diffuse de la dialectique marxiste n'était pas encore
venue habiter les esprits à ne voir en toute relation humaine et sociale que conflit de pouvoirs. Le plus vraisemblable est qu'ils retrouvèrent leurs tâches de chef de famille, qui
suffisaient à les occuper. Il est possible que plusieurs prirent places dans les conseils de fabriques ou de confréries. Peut-être aussi est-ce cette redécouverte des responsabilités laïques, bien connues
du XVIIe siècle, largement oubliées par le XVIIIe, qui permit le foisonnement des initiatives laïques, dont tout le XIXe siècle est plein : Propagation de la Foi, Facultés catholiques, Chronique sociale et toutes les autres, petites et grandes, sans oublier les congrégations féminines nouvelles, le plus souvent créées par des laïques.
Henri HOURS
Eglise à Lyon, 1993/53