musée du diocèse de lyon

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card. Maurin : les assurances sociales

1928

 

 

 

 

 

LETTRE

de

SON ÉMINENCE LE CARDINAL ARCHEVEQUE DE LYON

au Clergé et aux Fidèles de son Diocèse, à propos des Assurances sociales.

 

 

Mes BIEN CHERS FRÈRES,

 

Notre Seigneur Jésus-Christ a rappelé au monde les deux grandes lois de la justice et de l'amour. Si elles étaient universellement observées, la question sociale serait, en grande partie, résolue.

 

L'Église, fidèle avant tout à sa mission essentielle et première qui est de conduire les âmes à leur destinée éternelle, s'est, en même temps, toujours appliquée à remplir ici-bas le rôle du bon Samaritain, à guérir les blessures, à généraliser le bien-être dans une juste mesure, à faire régner l'harmonie et la paix au sein des diverses classes de la société.

 

Les premiers chrétiens ne formaient qu'un cœur et qu'une âme et l'on sait que les fidèles de Jérusalem avaient mis en commun tous leurs biens. C'est à l'Église qu'on doit les merveilleuses institutions sociales fondées au cours des siècles et répondant aux besoins les plus divers. La plupart des établissements hospitaliers de nos jours portent encore la marque indélébile de leur origine.

 

Le pape Léon XIII, par les enseignements donnés dans son admirable Encyclique Rerum novarum n'a fait que continuer une tradition vieille de dix-huit siècles et, il a pu dire avec raison : « C'est avec assurance que nous abordons ce sujet et dans toute la plénitude de notre droit : car la question qui s'agite est d'une nature telle qu'à moins de faire appel à la religion et à l'Église il est impossible de lui trouver une solution efficace. » Et l'illustre Pontife ajoute : « C'est l'Église qui puise dans l'Évangile des doctrines capables de mettre fin au conflit, ou tout au moins de l'apaiser en lui enlevant tout ce qu'il a d'âpreté et d'aigreur ; l'Église qui ne se contente pas d'éclairer l'esprit de ses enseignements, mais s'efforce encore de régler en conséquence la vie et les mœurs de chacun ; qui, par une foule d'institutions éminemment bienfaisantes, tend à améliorer le sort des classes pauvres ; l'Église qui veut et désire ardemment que toutes les classes mettent en commun leurs lumières et leurs forces pour donner à la question ouvrière la meilleure solution possible ; l'Église enfin qui estime que les lois et l'autorité publique doivent, avec mesure sans doute et avec sagesse, apporter à cette solution leur part de concours. »

 

Vous ne serez donc pas surpris, mes bien chers frères, que je vienne aujourd'hui vous entretenir de la part que les catholiques doivent prendre à l'application de la loi sur les assurances sociales.

 

La plupart des hommes sont obligés de demander au travail ce dont ils ont besoin pour vivre et si la stricte justice exige seulement qui ils reçoivent l'équivalent du service rendu, l'équité naturelle, la charité, une sage organisation professionnelle et le bien commun réclament que, dans des conditions normales, les travailleurs sobres, honnêtes et prévoyants puissent non seulement gagner leur pain de chaque jour mais être assurés contre les risques de la maladie, de l'invalidité et de la vieillesse.

 

Il est incontestable, qu'en ces derniers temps, de sérieux efforts ont été tentés, notamment dans certains milieux patronaux, en vue d'améliorer le sort de la classe laborieuse et l'on est heureux de voir s'élever, çà et là, des cités ouvrières où les travailleurs trouvent, à bon marché, des habitations saines avec jardin au lieu de leurs misérables taudis d'autrefois. Mais, du point de vue des assurances sociales, l'initiative privée est, dans l'ensemble, restée manifestement insuffisante. La législation elle-même n'ayant donné que des résultats partiels, on pouvait souhaiter qu'elle se complétât. Mais il aurait mieux valu, semble-t-il, que l'État, se bornant à établir le principe de l'obligation, laissât les organisations professionnelles régler les détails d'application et administrer, sous son contrôle, les caisses d'assurances. Le projet de loi voté par le Sénat et adopté par la Chambre des députes a une tendance trop nettement étatiste.

 

Quoi qu'il en soit, bien que l'on puisse encore et que l'on doive même, s'efforcer d'obtenir les amendements nécessaires, l'heure n'est plus aux critiques et aux regrets. Il faut voir comment on peut mettre à profit le peu de liberté qu'on nous donne. Je me propose de constituer dans le diocèse, pour le Rhône et pour la Loire, deux grandes sociétés de secours mutuels familiales qui, en temps opportun, recevraient les transformations exigées par la loi.

 

La prévoyance est un devoir moral. Chacun est le principal artisan de son bien-être, présent et avenir. Le père de famille est, dans la mesure du possible, obligé de l'assurer pour lui et pour les siens. Il faut cependant reconnaître que l'effort individuel serait, habituellement du moins, à lui seul, impuissant. Le projet de loi a pourvu à cette insuffisance pour les salariés. Les employeurs seront légalement tenus d'y concourir en assumant la moitié de la charge.

 

Mais il y a un grand nombre de travailleurs isolés, artisans, commerçants ou fermiers, dont les gains annuels sont loin d'être supérieurs à ceux des ouvriers de nos usines. Or, ceux-là, s'ils veulent couvrir les risques de la vie — et ils doivent le vouloir — seront forcés de faire eux-mêmes tous les frais. Les avantages que la loi leur accorde sont minimes, pour ne pas dire, nuls. J'estime que les favorisés de la fortune ont ici à combler les lacunes de la législation, et en s'enrôlant comme membres honoraires de nos Mutualités diocésaines, aider les travailleurs isolés à faire, en vue des assurances sociales, un versement convenable. Ce sera pour eux un excellent moyen de concourir à la paix sociale, de pratiquer l'entr’aide, la vraie fraternité et de s'acquitter ainsi de l'un des grands devoirs de la vertu de charité qui n'est pas seulement, une vertu de luxe, mais une vertu qui s'impose rigoureusement à la conscience chrétienne. Or, la charité ne portera des fruits durables que si elle est sagement organisée. Je vais m'appliquer avec ardeur à cette tâche et j'espère aboutir avec l'aide de Dieu, le concours d'hommes compétents et dévoués, la collaboration de nos deux Ligues et la générosité bien connue de mes chers diocésains.

 

Ces lignes, mes bien chers frères, ont été écrites au lendemain même du vote de la loi sur les assurances sociales. Réflexion faite, j'ai mieux aimé, avant de les rendre publiques, attendre le résultat de l'étude à laquelle se sont livrés, sur ma demande, la direction des Œuvres et le Comité dont il a été précédemment question. On est arrivé ainsi à des prévisions qui complètent utilement la lettre qui vous était destinée. La Semaine religieuse donnera prochainement ces précisions et publiera les Statuts de nos deux grandes Mutualités diocésaines. Je demande à Dieu, par l'intercession de Notre-Dame de Fourvière, de bénir ce projet qui permettra aux favorisés de la fortune de pratiquer avec fruits le grand devoir de la charité et aux classes laborieuses d'améliorer leur sort, de se couvrir contre les risques de la vie et de chercher, dans la pratique de l'entr'aide et la fidélité à l’Eglise, le meilleur remède aux maux et aux misères d'ici-bas.

 

Et sera la présente lettre lue et publiée dans toutes les églises et chapelles du diocèse, le dimanche qui en suivra la réception.

 

 

 

Lyon, le 25 octobre 1928.

 

 

† L.-J. card. MAURIN, Archevêque de Lyon.

 

 

 

 

 

SOURCE : Semaine religieuse du diocèse de Lyon, 19 octobre 1928