musée du diocèse de lyon

entrée

Cardinal Maurin aux Ouvriers et Ouvrières catholiques

du Rhône et de la Loire

1936

 

 

 

 

 

Lettre de S. Ém. le Cardinal Archevêque de Lyon

aux ouvriers et aux ouvrières catholiques

du Rhône et de la Loire

 

 

 

 

 

CHERS TRAVAILLEURS CHRETIENS,

 

 

 

Ceux d'entre vous qui sont un peu avancés en âge peuvent se rappeler qu'au lendemain de notre arrivée à Lyon, nous avons dit comment les syndicats catholiques féminins avaient obtenu à Grenoble un développement merveilleux grâce aux services rendus. Quand, au début de la guerre, nous avons vu les pauvres ouvrières plongées dans la désolation par suite d'un arrêt brusque de leur industrie, nous avons aussitôt organisé l'assistance par le travail. Nos chers diocésains ont répondu à notre appel et, par l'intermédiaire du syndicat de la soie et du textile, nous avons pu procurer aux ouvrières, même non syndiquées et ne partageant pas notre foi, un salaire assez rémunérateur, notre organisation nous ayant permis de recevoir d'importante commandes de la Préfecture et de l'Armée. Des envois de linge et de vêtements partaient régulièrement pour le front.

 

Nous avons essayé d'obtenir le même résultat en arrivant au milieu de vous. Mais, d'une part, nous nous sommes bien gardé de porter, en pleine guerre, la moindre atteinte aux organisations existantes et nous devons reconnaître, d'autre part, que notre voix n'a pas trouvé un suffisant écho auprès d’un bon nombre de patrons catholiques et de publicistes chrétiens et que nos travailleurs eux-mêmes n'ont pas alors jugé utile de se grouper entre eux conformément au vœu de l'Église et de ses chefs. L'essor économique et la prospérité relative qui ont suivi la guerre en ont été sans doute l'une des causes principales. Il n'en reste pas moins que, selon la parole du Maître, les fils de ténèbres ont été, une fois encore, plus habiles et clairvoyants que les fils de lumière. Quand la crise est venue et que la situation s'est aggravée, les syndicats cégétistes avaient pris une sérieuse avance sur lei syndicats chrétiens. Aujourd'hui, l’on parait mieux sentir le besoin de s'unir : mais nos chers ouvriers et nos chères ouvrières sont harcelés et pressurés pour qu'ils donnent leur adhésion à la C.G.T.

 

Nous avons, chers travailleurs chrétiens, le devoir de vous rappeler que vous ne pouvez accepter l'offre qui vous est faite. Les communistes déclarent il est vrai, qu'ils vous tendent une main fraternelle et qu'ils ne veulent porter aucune atteinte directe à votre foi. Nous aimons à croire que cette déclaration est sincère de la part de ceux de qui elle émane. Mais nous savons pertinemment que les chefs n'ont pas renoncé à leur doctrine et à leur programme. Ils ont simplement conseillé le recours à une tactique nouvelle, à une nouvelle méthode de travail pour la conquête des masses croyantes. « Pour lutter efficacement contre l'Église, disent-ils, il faut que les masses croyantes soient poussées à la lutte pour leurs intérêts, sous toutes les formes et dans tous les domaines. Dans ce but, il n'est pas absolument nécessaire d'attaquer l'Église et la religion de front... » Le croyant « ne viendra à nous, c'est-à-dire aux travailleurs sans Dieu, que quand il s'apercevra que dans la lutte pour ses intérêts il est trahi par l'Église, par le clergé et par tous ceux en qui il avait mis d'abord sa confirmer ».

 

Dans notre dernière lettre pastorale de Carême, nous avons dit, chers travailleurs chrétiens, quels efforts ont faits les catholiques de notre diocèse, quels sacrifices ils ne cessent de s'imposer pour la création et le développement d'écoles d'apprentissage destinées à la formation professionnelle et morale de nos jeunes ouvriers. L'État n'y prend aucune part. Voilà comment l’Église se désintéresse de la classe ouvrière.

 

Un travailleur chrétien ne peut, en conscience, donner son adhésion à des syndicats socialistes et communistes. Quelle doit être son attitude à l'égard des syndicats dits professionnels qui se fondent en ce moment et qui ne nourrissent aucun sentiment d'hostilité contre l'Église et la religion ? Ces syndicats ne sont pas condamnés et ils ne peuvent l’être. Il est donc permis d'y adhérer : mais, nous adressant à des travailleurs chrétiens, nous les exhortons vivement à donner leur préférence à des syndicats qui, ayant pour but conformément à la loi la défense des intérêts de la profession, se préoccupent en même temps des besoins religieux et moraux de leurs membres. C'est la recommandation que n'ont cessé de faire les Souverains Pontifes. « Les catholiques, a dit Léon XIII, doivent s'associer de préférence à des catholiques ». « Quant aux associations ouvrières, a déclaré à son tour le pape Pie X, bien que leur but soit de procurer des avantages temporels à leurs membres, celles-là cependant méritent une approbation sans réserve et doivent être regardées comme les plus propres de toutes à assurer les intérêts vrais et durables de leurs membres, qui ont été fondées en prenant pour principale base la religion catholique et qui suivent ouvertement les directions de l'Église ». Benoît XV et Pie XI ont tenu le même langage et recommandé exclusivement les syndicats chrétiens.

 

Nous sommes heureux d'apprendre que nos chers syndicats recueillent, en ces temps troublés, un grand nombre d'adhésions et nous faisons les vœux les plus ardents pour que la totalité ou, tout au moins, une grande majorité de nos travailleurs catholiques en fassent partie, assuré que ce sera le moyen de faire régner, au sein du monde du travail la concorde et la paix.

 

Tout en laissant à nos syndicats chrétiens une parfaite autonomie, nous mettrons à leur disposition, pour nous conformer au vœu de l'Église et à la demande qui nous en a été faite par les syndiqués eux-mêmes, des prêtres, missionnaires du travail, chargés de les éclairer de leur lumière et de leurs conseils.

 

Du fond du cœur, chers ouvriers et chères ouvrières, je demande à Dieu de vous soutenir et de vous bénir.

 

 

 

(N.B. Avant de devenir en 1916 archevêque de Lyon, le Cardinal MAURIN avait été évêque de Grenoble durant cinq années. Il meurt le 16 novembre 1936.)

 

 

 

SOURCE : Semaine religieuse du diocèse de Lyon, 19-26 juin 1936, pp.65-67, en haut de la page 65 figure cet avis :

Avis. — Par suite de l'arrêt du travail dans les Imprimeries lyonnaises, le numéro du 19 juin de la « Semaine Religieuse » n'a pas pu paraitre. Nos abonnés trouveront, ajoutée dans ce numéro, la feuille des Offices qui aurait dû paraître la semaine dernière.

 

(N.B. Les élections législatives, qui se sont déroulées les 26 avril et 3 mai 1936, ont amené à la Chambre des députés une majorité constituée de Socialistes, Communistes et Radicaux socialistes (Front populaire). Plusieurs grèves se déclenchent alors dans tout le pays pour obtenir des avantages sociaux.)