Cardinal Maurin
1937
ORAISON FUNEBRE
de Son Eminence le Cardinal Louis-Joseph MAURIN
Archevêque de Lyon et de Vienne
Primat des Gaules
prononcée en la Primatiale de
Saint-Jean, à Lyon
par Son Excellence Mgr SIMEONE
Evêque de Fréjus et Toulon
le 19 janvier 1937
(lors du service de Requiem présidé par le Cardinal Liénart,
évêque de Lille)
Non
veni ministrari sed ministrare.
Je ne suis pas venu pour être servi,
mais pour servir.
EMINENCE REVERENDISSIME,
EXCELLENCES,
MESSEIGNEURS,
MESSIEURS,
MES FRERES,
Par ces deux mots le Divin Maître
résume et caractérise sa mission et son œuvre parmi nous. Par ces deux mots
« absolument les mêmes », je prétends résumer et caractériser la vie
et l'action de celui dont j'ai à faire l'éloge.
Personne, j'en suis sûr ne s'étonnera
de voir appliquer au disciple ce qui est dit du maitre.
Si quelqu'un, en effet, à l'exemple de
saint Paul, a l'exemple des plus authentiques apôtres, a été l'imitateur du
Christ, si quelqu'un a parfaitement écouté, compris et mis en pratique la
grande recommandation de Jésus ses disciples : « Je vous ai donné
l'exemple pour que vous fassiez comme j'ai fait moi-même », n’est-ce pas,
je vous le demande, le pieux et saint pontife que pleure l'Eglise de Lyon ?
Vous l'avez appelé « le bon
cardinal ». Et vous avez raison. Ce titre ne lui sera plus enlevé. II lui
a été décerné avec: un synchronisme touchant et une spontanéité frappante, dès
l'annonce de sa mort, par toutes les voix à la fois : la voix du peuple, la
voix de la Presse, et la plus autorisée de toutes les voix, celle du Souverain
Pontife.
Bon, il l'était de toutes les manières.
Et non pas seulement au sens usuel et tout négatif de ce mot souvent employé.
Il était bon parce qu’il était le
fidèle disciple, la copie exacte du bon Dieu : disciple, copie en qui nous
pouvons saluer, pour notre propre compte, maître et un modèle.
« N'appelez personne « bon »
« si ce n’est le bon Dieu », nous dit Jésus dans l’Evangile.
Dieu seul est bon, c'est la vérité même
qui le proclame, mais il y a des hommes en qui Dieu habite et dans lesquels il
manifeste, il révèle sa bonté.
Cet aveugle ne s'y trompait pas, qui se
sentant secouru et tendrement assisté par un bienfaiteur inconnu qu'il ne
pouvait voir, s'écriait : Ou vous êtes le bon Dieu, ou vous êtes le bon
cardinal de Lorraine ».
Le bon cardinal de Lyon a dû prêter
plus ‘une fois à une édifiante confusion de ce genre.
Dieu vivait en lui et il vivait en
Dieu.
En se donnant, en se prodiguant, comme
il n'a cessé de le faire, c’est Dieu qu’il donnait, c'est Dieu qu'il répandait
autour de lui.
Tous comprenaient qu'une vertu sortait
de cet homme. On disait : « C'est la bonté ». Oui mais dans le sens
le plus élevé du terme, dans le sens où il devient le synonyme de Dieu.
Animé de l'esprit du Christ, autre
Christ lui-même, le disciple fit sienne la devise du Maître : « Je ne suis pas
venu pour être servi, mais pour servir ».
Servir ! toute sa vie tient dans
ce mot.
Il fut, comme on l'a dit, « un grand
ouvrier de Dieu », Il fut un grand serviteur de l'Eglise.
Et il servit comme elle veut être
servie. Tout le monde s'est émerveillé de la souplesse avec laquelle, dès qu’il
connut les directives et les enseignements précis de celui qui est le premier
Pasteur, le premier chef, le premier responsable dans l'Eglise de Dieu, il
s'est adapté immédiatement, malgré son âge et les habitudes prises, aux formes
actuelles de l'apostolat. Lui, le prêtre de la tradition antique, il a souri
tout de suite aux espérances nouvelles.
Catholique dans l'espace, l’Eglise doit
être actuelle dans le temps. Sa perpétuité lui impose, dans l'immutabilité des
principes, le rajeunissement continuel des méthodes.
C’est ce que savait mieux que personne
le Cardinal Maurin. Ses écrits, à la date qu'ils portent, montrent qu'il lit
l’un des premiers à comprendre et à organiser l'action catholique comme le
Souverain Pontife voulait qu'on la comprit et qu'on l'organisât.
D'ailleurs, le diocèse de Lyon, c'est
un fait, et on a pu le constater, soit dans les Congrès, soit dans la vie et le
développement de ses œuvres, est un des diocèses de France où l'action
catholique a le plus de réalisations dans le passé, comme le plus de promesses
pour l'avenir.
ÉMINENCE RÉVÉRENDISSIME,
Le témoignage que je suis heureux
d'apporter au diocèse de Lyon, la stricte justice et non pas simplement le
désir d'être agréable à un Prince de l'Église, m'oblige de le rendre pareillement
au diocèse de Lille.
Dans les congrès d'Action catholique,
même quand ils se tiennent dans le Midi, c'est du Nord, je dois le confesser,
que nous vient la lumière.
La voix de Lille est particulièrement
écoutée, parce que tout le monde sait à quel point elle est le fidèle écho de
Rome.
Rendre le Christ à la société, qui le
perd de plus en plus et qui en meurt, c'est le sens de l'appel tragique et
souvent répété qui part du Vatican, dans toutes les directions du monde.
Pour accomplir cette prouesse
apostolique au milieu des difficultés de l'heure, il faut un miracle
d'adaptation, pour lequel la jeunesse est un appoint considérable.
Mais le zèle n'a pas d'âge. Et nous
avons eu l'édifiant spectacle, pour la défense de la vérité, toujours ancienne
et toujours nouvelle, de voir marcher du même pas le Benjamin du Sacré Collège
et le doyen des cardinaux français.
Celui-ci a vraiment, comme le disent
les Livres Saints, renouvelé sa jeunesse comme celle de l'aigle. Sans peur et
sans reproche, chef intrépide et plus discipliné que le dernier des soldats,
voulant servir et non être servi, il a combattu le bon combat, loyalement,
fidèlement, jusqu'à son dernier souffle, jusqu'au moment où on l'a vu, pour
ainsi dire, descendre debout au tombeau.
Il est malaisé de résumer une vie si
remplie, de caractériser une si belle existence. Mais la Sainte Écriture vient
à mon aide. Elle me donne le plan et le cadre de ce que j'ai à dire sur le
grand ouvrier de Dieu, sur le grand serviteur de l'Église, dans la parole qu'entendent
ses pareils, lorsqu'ils franchissent le seuil de la gloire éternelle, et qui a
dû lui servir à lui-même d'introduction au séjour de la récompense :
« Euge,
serve hotte et fidelis: Viens, serviteur dévoué, bon, loyal et fidèle ».
Travail, droiture, zèle de la maison de
Dieu. Voilà les traits principaux de cette belle physionomie morale.
Homme d'action, homme de principes,
homme de cœur, voilà ce qu'on ne peut manquer de dire lorsqu'on veut parler de
celui qui fut — selon la formule solennelle et consacrée — l'Eminentissime
Seigneur Joseph-Louis Maurin, Cardinal Prêtre de la Sainte Église Romaine, du
titre de la Trinité des Monts, Archevêque de Lyon et de Vienne, Primat des
Gaules, mais que je préfère appeler tout simplement, comme vous l'avez fait
vous-même, le bon Cardinal.
I.
L’HOMME D’ACTION
C'est un grand travailleur qui
brusquement nous a quittés, le 16 novembre dernier, pour entrer - comme il faut
bien le dire avec la sainte liturgie - dans le repos éternel : Requiem aeternam !
Quel mot pour un tel homme !
On s'étonnerait d'avoir à le prononcer,
on aurait comme une hésitation, un regret, si l'on ne savait que, par une
équivoque voulue, tout en étant une discrète allusion à l'inertie du corps dans
la tombe, ce mot signifie la paix, la paix définitive, que les élus trouvent au
ciel, paix éternellement féconde ; paix éternellement active, puisque c'est la
paix dans le sein de Dieu, dans la participation à la vie et à l'activité de
l'Être infini.
Telle est la récompense de ceux qui sur
la terre ont voulu servir plutôt qu’être servis ; tel est le salaire que
reçoivent les bons ouvriers de Dieu, quand ils ont fini leur journée et que la
journée a été bien remplie.
C'est le cas (et je n'aurai pas de
peine à vous le montrer), pour le bon travailleur, pour l'homme d'action dont
je vais à grands traits vous résumer la vie.
Né le 15 février 1859, à La Ciotat,
dans le diocèse de Marseille, d'une famille simple et modeste, mais riche en
vertus, après une enfance pieuse et bien préservée — chose capitale pour ceux
qui se destinent au sacerdoce, et même pour ceux qui ne s'y destinent pas,
comme il le dira plus tard devenu prêtre, évêque, cardinal — Louis-Joseph
Maurin entendit l'appel de Dieu, vers l'âge de sa première communion, et entra
au Petit Séminaire de Marseille, dirigé alors par les fils spirituels de saint
Vincent de Paul, les Prêtres de la Mission. Il y fit d'excellentes études,
enleva, la dernière année, tous les prix de sa classe, après quoi il fut admis
au Grand Séminaire diocésain.
Il n'y devait rester qu'un an. L'Évêque
de Marseille, Mgr Robert, ayant distingué le jeune lévite, l'envoya en 1878 à
Rome. Le Séminaire Français accueillit comme un espoir celui qu'il saluera plus
tard comme une gloire.
L'enseignement de l'Université
Grégorienne passionnera le jeune théologien. Au retour du Collège Romain, il se
barricadait dans sa cellule, y faisait l'obscurité la plus complète pour
pouvoir mieux repasser dans son esprit la leçon qu'il venait d'entendre.
Les Directeurs du Séminaire Français, voyant
une chambre aux volets presque toujours clos, se demandèrent d'abord avec une
certaine inquiétude si elle ne renfermait pas un séminariste atteint de la
maladie du sommeil. Ils durent vite se convaincre qu'il n'en était rien.
Le laborieux autant que brillant élève
du Collège Romain, ayant reçu la prêtrise an 1882, revint à Marseille avec le
titre de docteur en théologie et de licencié en droit canonique.
Nommé à son retour de Rome professeur
de philosophie au Collège Belsunce il demanda, l'année scolaire terminée, à
devenir, pour raison de santé, curé de campagne.
Après deux ans passés dans le petit
village de la Destrousse, il revient à Marseille (en 1887) en qualité de
vicaire à Saint-Vincent de Paul. Trois ans après il était aumônier du Grand Lycée.
Nous le trouvons ensuite dans la
banlieue de Marseille (de 1893 à 1899), curé de Sainte-Anne où il assiste aux
héroïques débuts des œuvres de l'abbé Fouque sur le territoire de sa paroisse.
Les affaires matrimoniales, dont on l'a
chargé en même temps, obligent le curé de Sainte-Anne à s'absenter, à venir en
ville. Un vicaire s'impose. La paroisse de Sainte-Marguerite en a un. On la lui
donna en 1899.
Un peu avant l'application de la loi de
Séparation de l'Église et de l'État, il est nommé curé de l'importante paroisse
de Saint-Michel à Marseille. Sa noble et ferme attitude lors des inventaires
impressionna favorablement tout le monde.
Vicaire général de Mgr Andrieu en 1906,
vicaire général de Mgr Fabre en 1909, il devient à cette date, après avoir été
quelque temps curé de Saint-Charles, recteur de Notre-Dame de la Garde, de la «
Bonne Mère », comme disent les Marseillais.
L'homme d'action, le vrai travailleur
est volontiers matinal.
On s'en aperçut à Notre-Dame de la
Garde (avec le nouveau Recteur). Toujours le premier à la basilique, il y
arrivait même avant que le pont-levis fût baissé. Il attendait l'heure, faisant
les cent pas et récitant son chapelet.
Ce fut le 11 septembre 1911 qu'arriva
de Rome la nouvelle de la nomination à l'Évêché de Grenoble du vicaire général
Maurin. Celui-ci était en pèlerinage à la Sainte-Baume. Mgr Fabre, son évêque,
eut la délicate pensée d'aller lui-même porter la nouvelle au père du nouveau
prélat. Il confia au vénérable vieillard, alors dans ses 83 ans, l'agréable
mission de remettre à son fils la lettre de nomination.
Sacré dans la cathédrale de Marseille
le 24 octobre, au milieu d'un concours immense de fidèles, de prêtres
marseillais et dauphinois, Mgr Maurin fut intronisé à Grenoble le 15 novembre
1911. On a remarqué qu'il est mort dans la nuit du 15 au 16 novembre, juste
vingt-cinq ans après.
L'extraordinaire activité dont il avait
déjà fait preuve à Marseille dans ses divers postes allait pouvoir se donner
libre carrière dans le vaste et beau diocèse de Grenoble qui, outre le
département de l'Isère, enferme une partie de celui du Rhône avec le populeux
canton de Villeurbanne.
A peine installé, le nouvel évêque dit
son intention de visiter chacune de ses paroisses. Projet chimérique,
murmurait-on. Depuis plus de trente ans certaines paroisses, haut perchées,
n'avaient pas vu d'évêque.
Au bout de deux ans il avait visité
trois cents paroisses. Les deux années suivantes il en visite trois cents
autres, et au printemps de 1916, ayant vu jusqu'à la dernière les 620 paroisses
de son diocèse, il se déclara prêt à recommencer, « s'il plaît à Dieu »,
ajoutait-il, et en effet il recommença.
Pendant la grande guerre, il demandait
le dimanche à son vicaire général, M. Champavier, le futur évêque de Marseille,
d'aller remplir l'office de curé à la place d'un prêtre mobilisé. Pendant que
M. Champavier partait d'un côté, lui-même partait de l'autre pour aller remplir
exactement le même office. Il allait à travers la montagne par les sentiers
rocailleux, avec de fortes chaussures dont un curieux, un malin, a réussi à
divulguer le poids « trois kilos cinq cents ».
Les honneurs, dit-on, changent les
mœurs. La promotion à l'archevêché de Lyon, le titre de Primat des Gaules et la
dignité de cardinal ne changèrent absolument rien au dévouement et à la
simplicité de celui qui ne venait au poste où le devoir l'appelait que « pour
servir et non pas pour être servi ».
Arrivé à Lyon en pleine guerre, le
cardinal Maurin continua, comme il l'avait fait dans son précédent diocèse, à visiter
toutes les paroisses avec le même zèle et la même touchante simplicité.
Pour lui faire accepter le siège
primatial des Gaules, il n'avait fallu rien moins que l'ordre formel de Benoit
XV. Six mois plus tôt, il avait refusé l'archevêché de Bourges.
C'est le 2 décembre 1916 qu'il fut
promu archevêque de Lyon. Il prit possession de son siège par procuration le 20
décembre ; il fut intronisé le 25 janvier 1917. Créé cardinal prêtre le 4
décembre 1916, il reçut le chapeau trois jours après en même temps que le titre
de la Trinité des Monts. Le 12 décembre, le Pape lui donnait le Pallium.
C'est au cardinal Sevin qu'il succédait
comme Archevêque de Lyon et Primat des Gaules. Le grand travailleur avait un
vaste champ ouvert à son activité. Sa part était belle. Une population de
1.600.000 habitants répartis en 700 paroisses, desservies par 1.500 Prêtres.
On était en pleine guerre. Lyon, après
Grenoble, put admirer l'activité patriotique et la grande charité de Mgr
Maurin.
L'œuvre des veuves et des orphelins de
la guerre, l'œuvre catholique de secours aux blessés, l'œuvre d'assistance aux
réfugiés des départements envahis montrèrent à la fois son grand cœur et son
esprit d'organisation.
Déjà la croisade pour l'union sacrée,
la campagne de l'or et celle de la souscription pour la défense du pays avaient
mis en relief son ardent patriotisme. Afin de mieux assurer dans son diocèse le
succès de l'emprunt pour la victoire, il avait invité ses curés à recevoir les
souscriptions de leurs paroissiens. Ce fut une idée heureuse dont le Trésor
profita largement.
A l'armistice, il fallut combler les
vides affreux causés par la guerre dans les rangs du clergé. Le cardinal Maurin
réorganisa les grands et les petits séminaires et multiplia les écoles
cléricales. C'est alors qu'il créa pour ses prêtres la Mutuelle du Clergé et le
Syndicat ecclésiastique.
Nous ne pouvons énumérer les œuvre où
les entreprises de l'infatigable ouvrier de Dieu. Ce discours ne serait plus
qu'une interminable nomenclature.
Bornons-nous à l'essentiel.
L'Exposition catholique de Lyon qui
fut, comme on le sait, à tous los points de vue un grand succès, a fait connaître les belles et fécondes initiatives
du bon cardinal.
Il fut un bâtisseur.
Partout où il le fallait, il a fondé de
nouveaux foyers religieux, églises ou cités d'œuvres : dans la banlieue de
Lyon, à Roanne, à Montbrison, à Saint-Étienne où il a bâti notamment
l'importante église de Saint-Charles. Un de ses grands regrets a été de laisser
inachevée, par suite de la difficulté croissante des temps, l'église votive du
Sacré-Cœur.
Dans le domaine social, les œuvres
qu'il a établies ou secondées ne se comptent plus.
Mentionnons les caisses primaires
d'assurances, le Foyer lyonnais, la Familiale de la Loire, l'École d'apprentissage
supérieur, la Coopérative Rhône-et-Loire, la maison de retraite des
Instituteurs à Sainte-Colombe, la maison de retraite des prêtres à Vernaison,
les écoles d'agriculture de Ressins et de Pressins, la maison de retraite pour
les travailleuses âgées d'Oullins.
Que dire de sa sollicitude pour les
Syndicats chrétiens, de son zèle pour la Presse catholique ?
L'ceuvre des Vocations sacerdotales fut
toujours, on le pense bien, au premier rang de ses préoccupations.
Et enfin, comme on l'a dit avec tant de
justesse, « lui, dont le cœur s'était conservé si jeune », c'est à la jeunesse,
à tout ce qui concerne sa formation intellectuelle et morale, qu'il a consacré
le meilleur de ses forces et de sort activité.
Sur le terrain de l'enseignement, on peut
juger l'ardeur de son zèle à l'importance des réalisations. Construction du
magnifique grand séminaire de philosophie de Saint-Joseph, réorganisation des
petits séminaires de Charlieu, d'Oullins, de Montbrison, école cléricale de
Joubert, de Saint-Martin-en-Haut, etc. Et comment ne pas souligner l'effort
admirable que son zèle a obtenu en faveur des écoles libres de la part de ses
diocésains toujours si généreux ?
Une plume autorisée écrivait naguère :
« En toutes circonstances, il affirma hautement sa prédilection pour
l'enseignement catholique à tous ses degrés. Les dommages causés aux séminaires
par la Loi de Séparation furent réparés par ses soins. Il laisse tous les
petits séminaires en pleine activité, de nouvelles écoles cléricales,
régionales, prospères, un Séminaire de Philosophie tout neuf, le Séminaire
Universitaire agrandi et la maison Saint-Jean nouvellement créée.
Il était justement fier des Facultés
Catholiques, qui exercent sur toute notre région la plus heureuse influence.
Au sujet de ces Facultés, un détail
émouvant va nous faire connaître l'attachement du Cardinal pour cette œuvre
magnifique.
On a trouvé sur le bureau de Son
Éminence, après sa mort, le texte de l'allocution qu'il aurait dû prononcer
deux jours plus tard pour la rentrée solennelle des Facultés Catholiques. Ce
sont les dernières lignes qu'Elle a écrites, ses Novissima Verba, comme on a dit, une manière de testament.
Laissez-moi vous en lire ce passage :
« Il y a un mois, j'étais aux pieds du
Saint-Père. Sachant les sacrifices énormes que s'imposent le clergé et les
fidèles pour les œuvres d'enseignement, il a bien voulu me dire son entière
satisfaction. L'enseignement à tous les degrés, sous toutes les formes,
m'a-t-il dit, là est le grand remède au mal.
« Or, quand on parle des œuvres
d'enseignement, les Facultés Catholiques doivent être placées en toute première
ligne. Aussi, chers Seigneurs, vous qui avez tant à cœur de répondre aux vœux
du Saint-Père, vous montrez-vous toujours généreux envers nos chères Facultés, de
telle sorte que notre maison Saint-Jean et notre Séminaire Universitaire sont
de mieux en mieux pourvus... »
La mort a fermé les lèvres du bon
Cardinal, avant qu'il ait pu prononcer les paroles que je viens de lire. Mais
elles nous restent comme le témoignage de son attachement profond aux Facultés
Catholiques, en même temps qu'une perpétuelle exhortation à soutenir, à
favoriser l'une des œuvres les plus indispensables au rayonnement de la pensée
catholique dans notre pays.
Je suis heureux de souligner une fois
de plus la frappante communauté d'idées qui existe entre le Prince de l'Église,
dont je prononce l'éloge funèbre et l'Éminence Révérendissime qui préside cette
cérémonie. Nous lisons, en effet, du Cardinal Liénart, ces paroles toutes
récentes : « L'enseignement supérieur n'est pas un luxe. Toute la jeunesse
chrétienne devrait être chez nous, car la pensée chrétienne pénètre la science
pour qu'elle ne se matérialise pas. »
Si le temps me le permettait, je vous
montrerais comment le grand travailleur, l'infatigable ouvrier de Dieu et de
l'Église a servi la cause du bien par sa science et par ses écrits comme par
ses fondations et ses œuvres.
Au temps où il était vicaire général à
Marseille, son Évêque lui rendait ce témoignage qui dit tout : « C'est un
trésor de posséder dans un diocèse, dans son administration, un de ces prêtres
dont l'intelligence garde le dépôt de la science sacrée, sur les lèvres duquel
on peut toujours entendre et les raisons des docteurs et les décisions de
l'autorité.
On a dit du Cardinal Maurin qu'on avait
plus de plaisir à le lire qu'à l'entendre. En effet il était plus penseur
qu'improvisateur. Cela peut étonner d'un homme du Midi. Les orateurs, dit-on,
fleurissent mieux au pays du soleil. D'autres accusent volontiers les beaux
parleurs méridionaux de parler d'abord, de penser ensuite. Ce n'était pas le
cas, tant s'en faut, du Cardinal Maurin. Il avait le scrupule de la pensée
vraie et le souci de l'expression juste. Ce qui amenait quelquefois sur ses
lèvres une hésitation qui ne se trahissait pas sous sa plume.
Un de nos meilleurs écrivains, qui
était lui aussi un médiocre improvisateur, disait ceci : « Quand je parle on
entend mes ratures ; quand on me lit, il en est autrement. »
Ainsi en était-il pour votre bon
Cardinal. A défaut de faconde, il possédait, au service d'une remarquable
culture dans les sciences ecclésiastiques et dans la science juridique, une
excellente plume.
Le style, comme l'homme, était simple,
franc et vigoureux. Il n'avait pas ces audaces de tours, ces sveltes élégances,
ces virevoltes nerveuses, où se complaisent les virtuoses de la plume. Ce
n'était pas le style de virtuose, c'était le style de la vertu. On ne peut
s'empêcher quand on lit les édifiantes et substantielles lettres pastorales du
Cardinal de penser à la définition la plus juste peut-être qui ait été donnée
de l'éloquence. Elle est de Fénelon : « C'est la parole pour la pensée et
la pensée pour la vertu. »
II.
L’HOMME DE PRINCIPES.
Dans le concert d'éloges qui se fit
spontanément autour de la tombe si brusquement ouverte du bon Cardinal, avec sa
belle activité ce qui était l'objet des louanges, c'était l'élévation de son
caractère.
Serviteur diligent de Dieu et des âmes,
comme nous venons de le montrer, il fut aussi le serviteur loyal, fidèle sur
lequel on pouvait compter.
C'était une conscience, un caractère,
c'était un homme de principes, ou comme l'on dit dans un raccourci plus
énergique, c'était un homme.
Le principe qui le guidait dans
l'exercice de l'autorité, c'était bien celui qu'il avait emprunté au Divin
Maitre : « Je suis venu pour servir et non pas pour être servi. »
Notre-Seigneur a fondé moins une
hiérarchie de domination qu'une hiérarchie de dévouement. L'unique raison d'être
de l'autorité dans une société humaine est le bien de la collectivité. Comme
dit saint Thomas d'Aquin : « Toute supériorité est pour le bien commun. » Le
Cardinal Maurin gardait ce principe au plus profond de son cœur et toute sa vie
en fut l'illustration.
Loyal et fidèle serviteur de Dieu et
des âmes, il fut avant tout le gardien Vigilant, et quand il le fallait, le
vengeur intrépide de la vérité.
Sous quelque biais que se soit
présentée l'erreur sur sa route, il l'a toujours combattue.
Lui qui aimait à s'appeler l'Évêque de
la Propagation de la Foi, à cause de l'œuvre admirable qui est une gloire
éminemment lyonnaise, il a tout fait pour propager, protéger, défendre cette
foi d'abord chez lui, dans son diocèse, principalement dans l'âme des enfants.
On sait l'attitude qu'il a prise dans
la défense de l'école libre. Il fut taxé d'intransigeance. Les événements
montrèrent qu'il y a des intransigeances nécessaires pour amener les utiles
transactions.
L'attitude du Cardinal n'avait été ni
une feinte ni une bravade. Il était trop sincère pour cela. Les opposants, tout
en le combattant, l'estimèrent et somme toute tinrent compte, dans une certaine
mesure, de l'avertissement qu'il leur avait donné.
Le principe qu'il défendait, comment
aurait-il pu ne pas le défendre ? C'est qu'à la base de l'éducation, il faut la
religion. Son siècle paraissait entendre les choses d'une autre manière.
En cela, il ne voulait pas être de son
siècle. Cent ans auparavant, son concitoyen, le jurisconsulte Portalis, un
Ciotadin comme lui, disait : « Il faut prendre la religion pour base de
l'éducation. Toute la France appelle la religion au secours de la morale et de
la société. »
Cela est vieux sans doute, mais on y
reviendra. Le Cardinal Maurin a travaillé de toutes ses forces pour qu'on y
revienne avant qu'il soit trop tard.
L'obéissance à l'Église, à son chef,
fut vraiment le principe directeur de toute son existence.
Si on a pu, hélas ! parler de
l'effrayante inattention qu'il y eut à une époque dans les milieux chrétiens et
même ecclésiastiques pour les écrits du Saint-Siège, pour les Encycliques
Pontificales, ce n'est pas le loyal et fidèle Serviteur de l'Église dont nous
parlons qui mérita jamais pareil reproche.
Dès le séminaire, il fit sa lecture
assidue des Actes du Saint-Siège et surtout des Encycliques. Il s'y réfère
souvent dans ses Lettres pastorales.
En 1923, immédiatement après que Pie XI
a parlé de l'action catholique, il en parle lui-même dans sa Lettre Pastorale
de Carême et montre qu'il a tout de suite compris et adopté l'idée du
Saint-Père.
« Loin de rejeter le concours des
laïques, dit-il, nous le rechercherons au contraire avec reconnaissance. » Et
un peu plus tard, il pouvait dire : « Nous sommes heureux de constater que
partout, dans notre diocèse notamment, on semble prêter une oreille attentive à
la parole des Pontifes Romains et que l'Action Catholique si instamment
recommandée par eux a pris un merveilleux essor. »
On aurait pu avoir l'impression qu'un
vétéran du sacerdoce et de l'épiscopat serait surpris par la nouveauté des
méthodes apostoliques demandées par le Pape. Il n'en fut rien. Le Cardinal,
tout en étant l'homme de la tradition antique, et précisément parce qu'il était
cela, se trouva tout de suite, comme on dit, « à la page ».
Il donna de l'impulsion à tous les
mouvements spécialisés et accueillit dans son diocèse les œuvres aux formations
les plus modernes.
« Ces mouvements spécialisés furent
pour lui, lisons-nous ailleurs, une très douce consolation. Que de fois il
voulait aller lui-même bénir et encourager « ces jeunes » qu'il aimait d'un
amour de prédilection ! Ceux qui l'ont vu à Saint-Étienne, la veille même de sa
mort, présider une splendide réunion jociste, trouver les mots affectueux qui
soulevaient des tempêtes d'applaudissements, crier, les yeux pleins de larmes,
sa confiance dans la foi et le dévouement de ces jeunes ouvriers et ouvrières,
ceux-là auront bien compris les sentiments profonds de cette âme de pasteur et
de chef.
Dans une Lettre aux patrons et aux
travailleurs catholiques de son diocèse, le Cardinal Maurin rappelle aux uns et
aux autres leurs droits et leurs devoirs. Il établit le principe que le travail
n'est pas une vulgaire marchandise, mais quelque chose de la personne humaine,
et que le salaire n'est juste que s'il n'est pas insuffisant pour faire
subsister l'ouvrier sobre et honnête. Il proclame que l'association est un
droit fondé sur la nature, et que les syndicats sont désirables et même
nécessaires, à condition qu'ils s'inspirent de l'esprit de l'Évangile, qui est
un esprit de justice, de charité, de concorde et de paix.
Un grand principe qui était encore le
sien, une grande parole qu'il ne cessait d'avoir présente à l'esprit était
celle de nos Livres Saints : Nil
innovetur nisi quod traditum est. Ne renouvelez rien que dans le sens de la
tradition. Or, dans les temps troublés que nous traversons et qui nous ramènent
un peu à la situation où se trouvait l'Église militante dans les débuts de son
action et de sa pénétration dans le monde, voici que le Souverain Pontife,
premier gardien, premier responsable de la Tradition, renoue avec ce passé
héroïque et demande aux chrétiens de nos jours de se refaire une âme d'apôtre
et de conquérant. Comment le grand ouvrier de Dieu et de l'Église, comment le fidèle
et zélé serviteur des âmes, aurait-il pu ne pas comprendre la magnifique pensée
du successeur de saint Pierre, comment aurait-il pu hésiter à communiquer sa
flamine intérieure aux catholiques de son diocèse déjà préparés par leur zèle
pour toutes les grandes causes à l'admirable collaboration qui leur était
demandée ?
« Sur le terrain de l'action
catholique, lisons-nous dans un quotidien de Lyon, Son Éminence a déployé une
activité mémorable. Le diocèse est équipé. Il a les œuvres que l'avenir
immédiat imposait. Lyon, Saint-Étienne, Roanne, ont des directeurs des œuvres
adaptées aux besoins contemporains. Des maisons de retraites leur ont été
adjointes pour la formation des élites de tous les milieux. Le Cardinal Maurin
a fondé la Ligue des Catholiques avec toutes ses ramifications paroissiales et
multiplié meetings, conférences et congrès.
A titre de président de la commission
des cardinaux et archevêques, il fut vraiment le promoteur de l'union des-deux
ligues féminines qu'on regarde aujourd'hui comme le prototype de l'action
catholique. Ce fut un spectacle édifiant que de voir la facilité, je dirai même
la souplesse avec laquelle ce vénérable vieillard, qui avait gardé, il est
vrai, la santé, la vigueur des « jeunes », réussit à s'adapter, l'un des premiers,
aux conditions toutes nouvelles de l'apostolat, tel que le veut l'action
catholique.
Il n'y a pas lieu de s'en étonner, si
l'on réfléchit que l'élan imprimé à l'Église par le Pape Pie XI pour refaire
chrétienne la société, correspondait au mouvement secret de l'âme apostolique
du Cardinal : « Je suis venu non pour être servi, mais pour servir. »
Il fut un temps peut-être où, dans une
accalmie assez longue entre deux tempêtes, le ministre de la religion avait pu
se croire dispensé d'aller chercher les âmes, puisque les âmes venaient à lui.
Servi à point et à souhait, ou à peu près, par la bonne Providence, il n'avait
qu'à dire dans sa prière : « Seigneur, envoyez-les-moi.
Les temps sont changés. Maintenant il
s'agit, sans toutefois négliger la brebis restée fidèle, de ramener au bercail
les quatre-vingt-dix-neuf qui se sont égarées.
Tout en déplorant l'éloignement des
masses, le Cardinal avait toujours senti en lui un besoin de partir à leur
recherche. La qualité de son zèle répondait bien à la nécessité du moment.
On peut donc dire que le Cardinal
Maurin était venu à l'Action Catholique à la fois par principe et par
inclination.
C'est exactement cela qu'il faut dire
aussi de lui pour l'action sociale.
La voix de l'Église s'était fait
entendre sur ce point par des Encycliques mémorables et par des recommandations
réitérées des Souverains Pontifes. Cela seul aurait suffi à dicter la conduite
de celui qui était le fidèle serviteur de Dieu et de son représentant sur la
terre. Mais son cœur d'enfant du peuple l'inclinait à tout ce qui favorisait le
monde du travail. Comment aurait-il résisté, lui, à cette injonction formelle
de Benoît XV ? « Qu'aucun membre du clergé ne s'imagine que l'action syndicale
est étrangère au ministère sacerdotal sous prétexte qu'elle s'exerce sur le
terrain économique. Car c'est précisément sur ce terrain que le salut éternel
des âmes est en péril. »
Tout le monde sait quelle activité Mgr
Maurin, soit comme Évêque de Grenoble, soit comme Archevêque de Lyon a déployée
pour les syndicats. Instaurer l'ordre social chrétien, c'était la grande
préoccupation du bon Cardinal. Il a écrit sur cette question des pages
décisives.
Il ne supportait pas que la doctrine
sociale la plus authentique de l'Église catholique apparût à certains comme une
concession faite aux erreurs modernes.
L'Église ne fait jamais de telles
concessions. Et lui, fils dévoué, obéissant de l'Église, il avait appris de sa
mère à être noblement intransigeant sur les principes qui règlent la justice,
que ce soit sur le terrain social ou sur les autres. Il n'était pas dans son
caractère de faire des concessions à l'erreur.
L'indifférentisme social est une
erreur. Aussi n'y est-il jamais tombé.
La surenchère démagogique est une
erreur d'un autre genre. Ce n'est pas le Cardinal Maurin qui allait s'en rendre
coupable.
Lui, flagorneur, flatteur du peuple !
Il l'aimait trop pour cela. Écoutons-le : « Fermement attaché à la classe
laborieuse, et par devoir d'état et par le milieu familial auquel j'appartiens,
je ne cesserai de défendre et de promouvoir ses intérêts. »
Dans une lettre de carême, sur la
question sociale, il proclame que du côté patron, comme du côté ouvrier, il
faut avant tout sauvegarder les droits de la justice. Que le patron n'aille pas
frustrer l'ouvrier du salaire qui lui est dû. C'est un crime qui crie vengeance
au ciel, ainsi qu'il est écrit dans l'épître de saint Jacques.
D'un autre côté, que les ouvriers
s'acquittent consciencieusement de leur tâche, qu'ils se détournent des
espérances trompeuses et des rêves démesurés.
L'égalité est une utopie. Les hommes
diffèrent de toutes manières, en forces physiques, intellectuelles et morales.
Il est normal que les mieux doués arrivent à être un peu plus avantagés.
Le droit de propriété est inviolable.
La charité est un devoir pour les riches.
Voilà la doctrine sociale du Cardinal
Maurin. Elle est celle de l'Église, celle de la vérité, de la justice et non
pas de la flatterie et de la surenchère.
Serviteur fidèle de Dieu et de
l'Église, autant qu'actif et entreprenant, le Cardinal Maurin réglait toute sa
conduite et toute son action d'après l'ordre même de Dieu qui lui parvenait,
selon les cas, par la voix intime de la conscience, ou par la voix officielle
de l'Église.
C'était réellement, comme le dit
l'Écriture, le juste vivant de la foi.
C'était l'homme pour qui le surnaturel
existe et à tel point qu'il n'y a que cela qui compte.
III.
L'HOMME DE CŒUR.
En étudiant l'homme de principes, nous
avons déjà montré dans le bon Cardinal l'homme de cœur. Il était tout à tous.
Il n'y avait pour lui, ni classes, ni partis, ni riches, ni pauvres, ni grands,
ni petits, mais il embrassait dans la même charité tous ses diocésains, quels
qu'ils fussent.
Lui, le bon pasteur, il aimait toutes
ses ouailles ; il aimait d'une tendresse de prédilection ses prêtres.
Un évêque était allé se confesser au
Curé d'Ars. Celui-ci lui avait fait cette simple exhortation : « Aimez vos
prêtres, aimez vos prêtres ». Mgr Maurin racontait cette histoire le jour de
son sacre aux prêtres de Grenoble et il leur disait : « De ces mots du Curé
d'Ars, je veux faire ma devise, la règle de ma vie. Restons toujours unis,
Messieurs, et nous ferons du bien dans notre diocèse.»
En effet, il prit comme devise cette
parole magnifique, évocatrice de la charité des premiers chrétiens : Cor unum et anima una ! Un seul cœur et
une seule âme.
Que de traits de bonté dans sa vie !
Vous connaissez tous le Sanatorium de Thorenc, où les prêtres et les
séminaristes, menacés de la tuberculose, vont retrouver la santé et la vie.
Œuvre magnifique, qui a excité l’admiration du Souverain Pontife Pie XI. C'est
le Cardinal Maurin qui a cherché et trouvé lui-même l'emplacement du
Sanatorium. C'est lui qui a eu la haute main et qui a joué le rôle principal
dans la réalisation de cette œuvre aussi belle que nécessaire.
Sa bonté se doublait d'une simplicité
charmante.
Un jour (il était évêque de Grenoble),
se rendant à pied par un chemin de traverse à une paroisse de montagne où il va
donner la confirmation, il rencontre un char à bancs embourbé qu'un brave homme
ne réussit point à remettre sur la route. Sans se faire connaître, l'évêque
retrousse ses manches, pousse à la roue et finit par dégager le véhicule. Tout
en remerciant, le brave homme exprime sa crainte d'arriver en retard à l'église
où sa fillette doit être confirmée. « Quant à cela, répond gaîment Mgr Maurin,
vous pouvez, être tranquille, je vous assure que vous arriverez avant l’évêque.
»
On l'a vu faire jusqu'à une heure de
marche, à partir de l'église, pour aller confirmer un enfant retenu à la maison
par la maladie.
Une fois entre autres il arriva en
costume de chœur à la pauvre cabane d'un garde-barrière. Un train vint à
passer. Les voyageurs ébahis de voir en pareil endroit un rochet et une mosette
violette acclamèrent avec enthousiasme un évêque si charitable, si simple et
qui ne craignait pas de payer à ce point de sa personne. C'était un cas entre
mille où il aurait pu dire : « Je suis venu pour servir et non pas
pour être servi. »
Ce qui révélait également en lui
l'homme de cœur c'était sa parfaite droiture. On pouvait être sûr de lui.
Animé du plus grand esprit de justice
il savait défendre l'innocent à ses risques et périls. Certains trouvaient
excessive cette inflexible rectitude morale et disaient de lui qu'il était plus
droit qu'adroit.
Mais Mgr Maurin était homme à dédaigner
certaines adresses.
Sa loyauté lui faisait convenir avec
joie et empressement de ses torts.
S'étant aperçu un jour qu'il avait
outrepassé ses droits, en refusant une chose que le droit canon concédait, il
alla tout de suite présenter des excuses, disant qu'un cardinal devait être
plus qu'un autre soumis aux décisions de l’Eglise ;
Ayant autrefois mal auguré, quand il
était curé de Sainte-Anne, d'une œuvre audacieuse que l'abbé Fouque
entreprenait avec des moyens de for une ou plutôt d'infortune, il disait, vingt
ans après, son bonheur et sa joie d'avoir été mauvais prophète et il remerciait
Dieu de lui avoir donné tort.
Un homme si bon, si droit, si loyal,
n'avait pas d'ennemis. Ceux qui lui faisaient opposition l'estimaient en le
combattant. Lui-même, que sa loyauté, sa droiture contraignaient quelquefois à
la résistance, même un peu vive, embrassait volontiers l'adversaire, dès que
les principes étaient saufs.
Je n'insisterai pas sur sa modestie, sa
simplicité qui étaient proverbiales. On l'a dit mieux que je ne saurais le
dire. Il se prêtait, plus qu'il ne se donnait, aux cérémonies éclatantes, aux
parades officielles et il avait toujours hâte de s'y dérober pour retrouver au
sein de sa famille une vie de piété, de simplicité et de dévouement.
A la base de toutes ses vertus il y
avait une vie surnaturelle, une vie intérieure intense. Pour vivre, comme il
l'a fait en fidèle disciple, en copie exacte du Christ il fallait que le Christ
vécut en lui. Pour travailler avec tant de zèle à l'avènement du royaume de
Dieu dans les âmes, il fallait que Dieu régnât souverainement dans la sienne.
« Quand nous aurons fermement
établi en nous le règne du Christ, disait-il, nous pourrons, pour notre faible
part, coopérer plus efficacement à l'étendre au dehors. »
Toute la vie et toute l'âme du bon
Cardinal s'expliquent par ces paroles.
Sa dévotion était plutôt celle d'un
habitant du ciel que de la terre.
Il a aimé d'un amour filial vraiment
céleste la Très Sainte Vierge qu'il a mise deux fois, qu'il aurait voulu mettre
trois fois dans ses armes.
Sa consolation a été de vivre toujours
sous la protection spéciale de sa bonne Mère du ciel. Il fut Recteur de
Notre-Dame de la Garde, il fut ensuite l'Évêque de Notre-Dame de la Saiette et
enfin le Cardinal de Notre-Dame de Fourvière.
Lors du couronnement de Notre-Dame de
la Garde, qui eut lieu en 1931, il représentait le Pape à titre de Légat. Dans
une autre circonstance, pour la consécration de la Basilique de Saint-Martin de
Tours, il fut également Légat Pontifical.
Cet homme qui a touché au sommet des
honneurs était, vous le savez, le plus simple, le plus modeste, le plus humble
des hommes.
Les honneurs sont venus à lui, mais il
n'est pas allé aux honneurs. Il a voulu servir, mais non pas être servi, ni se
servir.
« Comme je serais malheureux, si
j'avais fait un signe, disait-il, au soir de son sacre épiscopal.
« Me voilà devenu le chef, le père
spirituel de 600.000 âmes et de mille prêtres. Quelle terrifiante pensée ! Dieu
m'est témoin que je n'ai envié ni l'honneur, ni la charge. »
A quoi Mgr Andrieu répondait :
« Vous n'avez pas fait un signe. Il vous est donc permis d'avoir
confiance. Mais le signe que vous ne vouliez pas faire, nous l'avons fait pour
vous. Car malgré tout, c'est une œuvre bonne et sainte que l'épiscopat dont
vous êtes cligne autant que vous le redoutez. Vous serez évêque dans toute la
force du mot. »
Nous pouvons dire maintenant si cette
parole s'est réalisée.
Il fut aussi désintéressé au point de
vue de l'argent que des honneurs.
Savez-vous que votre cardinal est mort
pauvre, très pauvre, sans rien ?
Il avait tout donné, au fur et à mesure
qu'il recevait.
Laissez-moi vous lire dans son
testament une ligne, une seule qui dit tout « Ma sœur voudra bien, si elle les
trouve dans ma succession, consacrer mille francs à faire célébrer des messes
pour le repos de mon âme. »
Mille francs... Si on les trouve !
Est-ce là le testament d'un Prince de l'Église, d'un Archevêque de Lyon, d'un
Primat des Gaules. C'est le testament de votre bon Cardinal qui, pour imiter
jusqu'à la fin son divin Maître, a voulu mourir dans la pauvreté.
Aux grandioses funérailles que vous lui
avez faites, on a chanté, ainsi que le veut le rituel lyonnais, le Salve Regina. Comme cette hymne était de
circonstance !
Après l’exil de cette vie, montre-nous
Jésus, le fruit béni de tes entrailles, ô clémente, ô pieuse, ô douce Vierge
Marie !
Marie aime surtout à montrer son Fils à
ceux qui ont le plus travaillé à l'imiter et à le reproduire.
Quelle réception a-t-elle dû faire, au
seuil de la gloire éternelle, à celui qui arrivait, ressemblance parfaite du
Christ, autre Christ lui-même.
« Bon, loyal et fidèle serviteur, lui
a-t-elle dit avec la Sainte Écriture, tu as été le disciple dévoué de ton
Maître, son imitateur de tous les instants, sa copie exacte. Comme Lui tu as
voulu servir et non pas être servi. Comme Lui tu as été humble et tu t'es fait le
protecteur, le défenseur des humbles tu as été pauvre et l'ami des pauvres tu as été le Bon Pasteur, qui ne vit et
respire que pour ses ouailles. Entre dans la paix de ton Seigneur. »
Le voilà dans son repos éternel, le
grand ouvrier de Dieu. Il est allé recevoir le salaire de sa journée bien
remplie. La récompense sera d'autant plus grande qu'il ne s'en est octroyé
aucune à lui-même. Sur la terre, venu pour servir, il n'a pas voulu être servi
ni se servir.
Dieu s'est réservé de le servir
lui-même. Et transiens ministrabit illis.
Après une vie entière de travail et de dévouement, Il lui aura donné, nous en
avons la confiance, la récompense céleste, qui dépasse tous les honneurs,
toutes les jouissances et toutes les richesses de cette triste terre.
A.S.