musée du diocèse de lyon

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card.Maurin : sociétés de secours mutuels

1928

 

 

 

 

 

LETTRE

de

SON EMINENCE LE CARDINAL ARCHEVEQUE DE LYON

invitant les fidèles de son diocèse à donner leur adhésion

aux Sociétés de Secours Mutuels familiales diocésaines

qui viennent d'être constituées dans le Rhône

et la Loire.

 

 

 

Louis-JOSEPH MAURIN, Cardinal-Prêtre de la Sainte Eglise Romaine, du Titre de la Trinité-des-Monts, par la grâce de Dieu et l'autorité du Saint-Siège Apostolique, Archevêque de LYON et de VIENNE, Primat des Gaules,

 

 

 

Lyon, le 8 décembre 1928

 

 

Mes Bien Chers Frères,

 

 

La grande famille mutualiste diocésaine dont j'ai annoncé, il y a peu de temps, la fondation est maintenant constituée. Afin de pouvoir mieux s'adapter à la loi sur les assurances sociales, elle comprend deux sections : Rhône et Loire. Des équipes de conférenciers compétents et dévoués parcourent les cantons et les paroisses du diocèse pour renseigner les populations et recueillir des adhésions. Messieurs les Curés sont instamment priés de faciliter leur tâche et de leur prêter pleinement leur concours. La loi doit entrer en vigueur au début de l'année 1930 et les sociétés de secours mutuels sont appelées à jouer un rôle prépondérant dans l'organisation et le fonctionnement de cette loi. Il importe donc de se hâter.

 

Je suis absolument convaincu que, si tous les catholiques sont prêts à faire leur devoir, notre société, sans rien détruire des organisations existantes et en leur apportant, au contraire, un ferme appui, pourra bientôt devenir l'une des plus puissantes. Nous nous conformerons ainsi à l'esprit et aux traditions de l'Eglise. Les premiers fidèles n'avaient qu'un cœur et qu'une âme et mettaient leurs biens en commun. L'une des principales fonctions des diacres était l'organisation de tous les services de la charité et, à ce point de vue, les veuves avaient dans la primitive Église un rôle précis et important. Dans la suite des âges, l'Église, s'adaptant aux aspirations et aux besoins des diverses époques qu'elle a traversées, a su multiplier et varier les institutions charitables en restant toujours fidèle au même principe : l'amour du prochain alimenté par l'amour divin. C'est bien vainement que l'on veut aujourd'hui laïciser la charité et en supprimer jusqu'au nom. Les œuvres sociales ne seront fécondes et durables que si elles remontent à la vraie source, si elles comportent le sacrifice et le don de quelque chose de soi.

 

Sans doute, la justice est le fondement essentiel de l'ordre social. Mais toute seule, elle serait impuissante, car, selon la remarque de saint Thomas d'Aquin, si la justice empêche les hommes de se nuire, il n'y a que la charité qui les porte à s'entr'aider (Cont. Gent, lib. III. c. xxx.)

 

La charité n'est pas une vertu de luxe. C'est un précepte forme, même le tout premier. Rappelez-vous la parole du Maitre : « Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre cœur, de toute votre âme, de tout votre cœur. Tel est le plus grand de tous les commandements. Il y en a un autre semblable à celui-ci : Vous aimerez votre prochain comme vous-même ». (Matth., XXII. 37, 38, 39.)

 

Pour que cette vertu soit vraiment efficace, on doit s'appliquer à l'exercer d'une façon intelligente et utile au bien public. Je sais que Dieu voit le fond des cœurs et que la charité peut être, à ses yeux, méritoire, même si elle est pratiquée sans beaucoup de discernement et qu'on se laisse tromper par les fausses apparences de la pauvreté. Je sais aussi que l'on peut et que l'on doit s'efforcer de secourir et de relever les malheureux imprévoyants qui tombent même par leur faute dans la misère. Mais si c'est là l'une des formes de la charité, ce n'est pas la meilleure. Que de fois on travaille en vain à réparer, alors qu'on aurait pu, sans trop de peine, réussir en cherchant à préserver ! La préservation de la misère est précisément l'un des buts, l'un des grands avantages des sociétés de secours mutuels. Je ne saurais donc trop recommander tant à ceux qui sont à l'abri du besoin qu'à ceux qui vivent au jour le jour, de nous donner leur adhésion, les uns comme membres honoraires, les autres comme membres participants.

 

Il est certain, mes frères, que la prévoyance est pour tous, mais surtout pour les chefs de famille un impérieux devoir. Il faut, de toute rigueur, s'assurer soi-même et assurer les siens contre les risques de la vie. Mais l'effort personnel, laissé à lui-même, restera souvent impuissant. On ne sera pleinement à l'abri des incertitudes de l'avenir que si la prévoyance et l’entr'aide fraternelle se donnent un mutuel appui. Alors, la maladie pourra faire son apparition au foyer, frapper celui qui en est le principal, sinon l’unique soutien, ce sera la souffrance, ce sera la douleur, — on ne peut, hélas! — les exclure de cette vallée de larmes —, mais on aura du moins écarté la misère, le désespoir et, après un temps d'épreuve abrégé, on verra la famille reprendre son essor vers la vie, retrouver une prospérité au moins relative. Si, au contraire, on est soi-même épargné et que l'on puisse obtenir du travail quotidien jamais ou rarement arrêté le pain dont on a besoin pour soi et pour les siens, quelle douce satisfaction de pouvoir constater que les minimes cotisations qu'on a versées sont utilement employées au service de frères moins heureux et leur permettent, à eux et à leurs enfants, de ne pas succomber sous le poids de l'épreuve. Une société est vraiment forte quand ceux qui sont debout volent au secours de leurs frères qui tombent et les aident à se relever. Frater qui adjuvatur a frater quasi civitas firma (Proverb., XVII, 19)

 

Je sais qu'il existe dans le diocèse un certain nombre de sociétés de secours mutuels dont l'esprit est loin d'être hostile à la religion. La plupart même lui sont nettement favorables et se sont fondées sous son inspiration. J'ai dit et je répète que je ne veux rien détruire et je demande instamment aux catholiques qui font partie de ces sociétés de ne pas s'en détacher. Elles possèdent, en général, un patrimoine qu'il serait fort désavantageux de liquider. Mais ces mutualistes, sans abandonner la société à laquelle ils appartiennent, n'auraient-ils pas un véritable intérêt à donner également leur adhésion à la nôtre en versant une cotisation minime ? Si l'on excepte les secours médicaux et pharmaceutiques pour lesquels il pourrait y avoir facilement abus si l'on recevait de plusieurs côtés à la fois, il est incontestable que les autres subsides même additionnés, en supposant qu'ils permettent d'atteindre le salaire vital — ce qui serait un bien— ne remplaceront jamais d'une façon absolue les gains dont on sera privé par suite de la maladie, de l'invalidité ou de la vieillesse.

 

Je n'ai pas à revenir sur les déclarations faites dans une lettre précédente au sujet des futurs assujettis à la loi sur les assurances sociales. Ceux-là mêmes qui sont et qui voudront rester dans le cadre naturel des grandes organisations professionnelles, ont, tout aussi bien que les assurés facultatifs et les Mutualistes ordinaires, un véritable intérêt à venir à nous aux conditions modeste que je viens d'indiquer.

 

Quant aux favorisés de la fortune, je ne saurais mieux faire que de citer textuellement le passage de l'encyclique Rerum novarum où le Pape Léon XIII leur rappelle l'obligation où ils sont de s'acquitter du grand devoir de la charité. « Si l'on demande en quoi il faut faire consister l'usage des biens, l'Église répond sans hésitation : sous ce rapport, l'homme ne doit pas tenir les choses extérieures pour privées, mais bien pour communes, de telle sorte qu'il en fasse part facilement aux autres dans leurs nécessité. C'est pourquoi l'apôtre a dit : ordonne aux riches de ce siècle de donner facilement, de communiquer leurs richesses » (I, Timoth., VI, 17.) Nul, assurément, n'est tenu de soulager le prochain en prenant sur son nécessaire ou sur celui de sa famille, ni même de rien retrancher de ce que les convenances ou la bienséance imposent à sa personne. Nul, en effet, ne doit vivre contrairement aux convenances. Mais, dès qu'on a suffisamment donné à la nécessité et au décorum, c'est un devoir de verser le superflu dans le sein des pauvres. C'est un devoir, non pas de stricte justice, sauf les cas d'extrême nécessité, mais de charité chrétienne, un devoir, par conséquent, dont on ne peut poursuivre l'accomplissement par les voies de la justice humaine. Mais, au-dessus des jugements de l'homme et de ses lois, il y a la loi et le jugement de Jésus-Christ, notre Dieu... Du reste, voici, en quelques mots, le résumé de cette doctrine, quiconque a reçu de la divine bonté une plus grande abondance soit des biens externes et du corps, soit des biens de l'âme, les a reçus dans le but de les faire servir à son propre perfectionnement et tout ensemble, comme ministre de la Providence, au soulagement des autres. C'est pourquoi, quelqu'un a-t-il le talent de la parole, qu'il prenne garde de se taire ; une surabondance de biens, qu'il ne laisse pas sa miséricorde s'engourdir au fond de son cœur ; l'art de gouverner, qu'il s'applique avec soin à en partager avec son frère et l'exercice et les fruits ». (Encycl. Rerum novarum, 5, Itaque fortunati.)

 

Je vous le demande, mes bien chers frères, quel meilleur usage pouvez-vous faire de vos talents et de vos biens qu'en le mettant au service de ceux de vos frères qui ne sont pas garantis comme vous contre les risques de la vie, en adhérant à notre société de secours mutuels soit comme membres fondateurs, soit comme membres bienfaiteurs, soit, tout au moins comme membre honoraires suivant l'importance de votre superflu ? Vous faites partie de la grande famille diocésaine dont je suis le père et le chef. Je me garderai bien de vous inviter à ne pas tenir compte dans vos largesses de ceux qui ne partagent pas votre foi s'ils sont réellement dans le besoin. Je vous invite également à donner de préférence — c'est l'ordre de la charité bien comprise — à ceux qui, à un titre quelconque, sont plus directement à votre service. Ce devoir accompli, vous ne sauriez oublier ceux qui ont le même idéal et qui servent le même Dieu que vous. Ceux-là, vous les aiderez de vos conseils, vous les empêcherez, dans toute la mesure du possible, de tomber, et si, malgré tout, ils tombent, vous les aiderez à se relever. Tel est, en effet, le rôle des membres honoraires des sociétés de secours mutuels, rôle qui est tout à la gloire de ceux qui distribuent leurs faveurs et qui n'a rien de déshonorant pour ceux qui en bénéficient. Ce qui serait pour eux un déshonneur, ce serait de vouloir rester inactifs de s'obstiner dans l'imprévoyance, de s'exposer ainsi à devenir de pauvres épaves, uniquement à charge à la société. Il me parait bon d'ajouter qu'en vertu d'une clause des statuts, les membres honoraires seraient, en cas de revers, membres participants.

 

Les catholiques lyonnais, malgré les lourdes charges de l'heure présente, n'ont pas attendu le vote de la loi des assurances sociales pour entrer dans la voie des réalisations. Nombreux sont les établissements charitables qu'ils ont créés. Je n'ai pas à parler de ceux qui remontent à une date plus ancienne et qui sont bien connus de tous, mais je m'en voudrais de ne pas citer le préventorium et le sanatorium pour les jeunes filles atteintes ou menacées de la tuberculose. J'aime à rendre un public hommage, ému et reconnaissant, aux organisateurs dévoués qui paient non seulement de leur bourse, mais aussi de leur personne, aux admirables infirmières qui donnent aux chères malades des soins intelligents et maternels. Je rappelle qu'il y a peu de temps, on a ouvert à Sainte-Colombe-les-Vienne une maison de retraite pour les institutrices et qu'une autre maison, située à Oullins, recevra, au mois d'avril prochain, des ouvrières et servantes âgée qui ne peuvent pleinement se suffire. Nos sociétés de secours mutuels nous mettront en mesure de fonder d'autres œuvres quand le besoin s'en fera sentir.

 

Ces sociétés, mes bien chers frères, il m'a plu de les placer tout-à-l ‘heure sous le manteau tutélaire de Notre-Dame de Fourvière, la Vierge Immaculée, gardienne de la cité. Après lui avoir instamment demandé d'étendre sa maternelle protection sur les malades et les familles en deuil que la récente épidémie vient de soumettre à une rude épreuve et d'obtenir de son divin Fils la prompte cessation du redoutable fléau, j'ai déposé à ses pieds le vœu ardent que l'œuvre entreprise dans notre diocèse et dans la France entière ait une heureuse issue. J'ai la ferme confiance que, sous l'inspiration de cette bonne Mère, nos chers diocésains s'empresseront de nous donner leur adhésion. Ils accompliront ainsi un acte éminemment chrétien et social et ils répondront aux desseins de la divine Providence qui revêt le lis des champs, donne aux animaux leur pâture et soutient, dans le chemin de la vie, l'homme courageux et prévoyant prêt à faire son devoir et à marcher résolument vers l'éternité bienheureuse.

 

Et sera la présente lettre lue et publiée dans toutes les églises et chapelles de notre diocèse, le dimanche qui en suivra la réception.

 

 

†Louis-Joseph, Cardinal MAURIN,

Archevêque de Lyon.

 

 

 

 

 

SOURCE : Semaine religieuse du diocèse de Lyon, 14 Décembre 1928.