la fête des merveilles
Ce fut, au Moyen-âge, la grande fête lyonnaise,
religieuse surtout, mais également civile, comme il convenait alors. Chaque année, la ville
célébrait la mémoire des martyrs de 177 par une longue procession aux lieux que
la tradition légendaire liait à leur souvenir. Les textes les plus anciens parlent de fête des Miracles (miraculorum),
on ne sait comment ils sont
devenus Merveilles (mirabilia).
Au matin du 2 juin, jour de saint Pothin, tôt
au son de la cloche, la procession de Saint-Paul, bannière en tête, gagnait la
cathédrale où l'attendait le clergé de Saint-Jean. De là, tous se rendaient à
pied jusqu'à Saint-Pierre de Vaise, où l'on disait qu'avait eu
lieu l'arrestation de saint Epipoy et de saint Alexandre. Là les
rejoignaient les processions de l'Ile-Barbe, d'Ainay et de Saint-Just. Après une
oraison commune, les cinq Eglises montaient chacune dans sa barque qui
l'attendait au rivage.
Une fois les bateaux placés sur un rang,
Saint-Jean au centre, on entonnait l'antienne Peccavimus Domine et l'oraison Oremus dilectis,
tout en
s'engageant au fil du courant. Arrivés devant Pierre-Scize, château de l'archevêque, au pied duquel se trouvait
également la chapelle de Saint-Epipoy, on commençait
de chanter matines, puis laudes, chaque
verset étant repris par l'une des Eglises, qui se succédaient ainsi.
Puis il fallait rompre l'ordonnance. On
arrivait au pont de Saône, que l'on devait franchir en
file : Ainay en tête, Saint-Jean en queue ; en temps normal,
une seule arche était commodément praticable, et le passage toujours délicat,
voire dangereux.
Parvenus devant l'abbaye d'Ainay,
tout le monde débarquait et entrait dans l'église, où chacun, priant à voix
basse, vénérait les cendres des martyrs miraculeusement conservées, et baisait
la pierre sur laquelle saint Pothin, dans sa prison, avait reposé la tête.
Ressortis, on chantait dans le cimetière, Requiem et Miserere,
et la
procession entamait à pied l'étape finale vers Saint-Nizier.
Les deux églises étaient en effet intimement liées l'une à l'autre dans le
souvenir des martyrs.
Au chant des très
anciennes litanies de saint Pothin et ses compagnons, on atteignait enfin le
terme de cette longue randonnée. La procession de l'Ile-Barbe
se retirait la première, puis les autres après la messe dite dans l'église par
le clergé de Saint-Jean.
Par beau temps, la fête devait
offrir un beau spectacle, d'autant plus que les barques des Eglises n'étaient
pas seules. Autour d'elles évoluaient, en cercles concentriques,
celles des officiers de la justice seigneuriale de l'archevêque et du chapître, puis celles des corps de métiers et même des
villages les plus proches selon l'ordre
augustinien de la société médiévale. La
flotte comptait au moins plusieurs dizaines d'embarcations, bien décorées.
Toute la ville se pressait pour voir et
comme, nature oblige, il fallait bien se restaurer, on peut penser que les
joyeusetés ne manquaient pas, surtout dans la partie
nautique de la fête.
Une tradition relevée
tardivement, longtemps après que la fête eût disparu, rapporte même qu’à la fin
du passage sous le pont de Saône, une fois éloignées les barques eccléstastiques, un taureau était
poussé dans l'eau du haut du pont, pour réjouir le peuple,
qui le rattrapait dans le courant, puis le sacrifiait sur le
rivage. En fait, , on ne
sait rien de sûr là-dessus, pas plus que sur le grand bateau qui, selon les
mêmes sources incertaines, aurait pris part à la
procession au nom des citoyens et plus tard du conseil de ville. On s'en doute,
les imaginations ont largement brodé là autour
: la réalité était assez pittoresque par elle-même pour pouvoir se passer de
ces enjolivures.
L'existence de la fête
est attestée dès le Ixe siècle. Mais peu à peu, l’autorité municipale,
constituée en 1320, vit la fête d'un œil méfiant, puis
carrément défavorable. Les citoyens ne supportaient plus rien de ce qui rappelait
l'ancienne autorité seigneuriale de l'Eglise, contre
laquelle ils avaient conquis leur autonomie. Cette fête, où les barques civiles
suivaient celles des Eglises et leur faisaient honneur ainsi qu'au château de
l'archevêque, finissait par les exaspérer. D'autant
plus qu'au XIIIe siècle, elle avait été déplacée du 2 juin au mardi précédant
la Saint-Jean, grande fête du chapître primatial.
Durant le XIVe siècle, le conseil de ville
saisit toutes les occasions pour n'y pas participer. En 1394 il en obtint
l'abolition, définitive. Le Moyen-âge lyonnais était clos.
Henri Hours
Eglise à Lyon, 1995, n°22