L'esprit chrétien
dans la classe patronale
1932
Déclaration
de M. Rousson, Président de la Confédération Française des Professions (Section
Forézienne)
au Congrès diocésain de Saint-Étienne,
le 30 janvier 1932
C'est
à titre de Président de la Section Forézienne de la C.F.P. que je prends ici la
parole. Comme vous le savez, la C.F.P. (Confédération Française des
Professions) est pour le milieu patronal ce que la C.F.T.C. est pour le milieu
ouvrier : l'organisation nationale sur le plan professionnel et économique
d'après l'esprit et les principes de la doctrine sociale chrétienne.
En
service commandé par notre Chef spirituel, Son Excellence Monseigneur Delay, je
dois vous entretenir quelques instants de « L'esprit chrétien dans la
classe patronale ».
II
ne m'appartient pas de faire un exposé doctrinal, je vais essayer de vous dire,
concrètement, comment la C.F.P. conçoit cet esprit.
Rendre
service, assurer un service, parle clair au cœur de tout homme. Laissez-moi
préciser, concrétiser l'esprit chrétien
dans la classe patronale, chose très simple et très complexe à la fois, par
cette belle expression du service, et
je dirai, l'industriel, envisagé d'abord comme entrepreneur, d'affaires,
artisan de l’économie nationale et internationale, doit regarder sa tâche comme
un service ; si nous le
considérons ensuite comme employeur, je dirai que son rôle est encore de servir.
Le
chef d'entreprises chrétien doit considérer sa tâche connue un service. En effet, l'industrie comme
l'agriculture, comme l'enseignement, loin de n'avoir qu'un but égoïste de pur
lucre, d'âpre intérêt, est une fonction sociale : elle est source d'aisance, de
prospérité, créatrice de richesses matérielles et, à ce titre, pourvoyeuse de
bien commun. L'exemple de la banque fait admirablement apparaître la différence
qu'il y a entre une fonction sociale, un service, et une entreprise de pur
lucre : la banque a pour fonction véritable la création du crédit, son
organisation, sa régularisation. Si, infidèle à sa fonction, elle se transforme
en organisme financier qui, poussé par le seul intérêt, le désir de gain
immodéré, accapare et monopolise l'argent, nous n'avons plus un organisme
pourvoyeur du bien commun, mais la finance immorale et tyrannique, stigmatisée
par Sa Sainteté Pie XI ; la fonction, le service social ont cédé la place au
pur trafic. M. Harvey Firestone, multimillionnaire américain, connu sous le nom
de « Roi du Pneu » disait dernièrement : « La crise nous a
inculqué une leçon des plus utiles et vraiment moralisatrice, puisqu'elle nous
a démontré empiriquement que personne ne pouvait travailler pour soi seul, mais
que tout travail, tout effort doit également servir la société toute
entière. »
Dès
qu'il assume la tâche de producteur, de créateur de richesses, le chef
d'entreprises chrétien doit donc prendre conscience de ce devoir du service de
la collectivité et des obligations qu'il impose. Ce devoir : Une organisation
sage de la production sur le plan national et international, une modération
chrétienne pour le taux du profit, un esprit de collaboration cordiale envers
les autres entrepreneurs, esprit qui écarte l'âpre concurrence et ses
conséquences funestes : procédés déloyaux, bas salaires, etc...
Venons
maintenant à l'autre rôle du chef d'entreprises, celui d'employeur. Suivant la
parole admirable du Christ : « Si quelqu'un parmi vous veut être le
premier, qu'il se fasse le serviteur de tous », son idéal à lui aussi
devra être servir. Idéal très haut et
difficile à atteindre qui demande une compétence profonde et une conception
vraiment chrétienne de la société et de la profession.
Le chef
d'entreprise doit posséder une compétence profonde. En effet, pour servir pleinement au poste qu'il a
assumé, il doit être technicien averti, organisateur sagace, caractère trempé
qui sait conduire et tenir aux heures
lourdes… A ces conditions, personne ne songera à lui disputer ce poste qu'il
sait occuper et où il sert, personne
ne lui mesurera la confiance et la soumission nécessaires à toute œuvre
d'ensemble.
De
plus, sa conception chrétienne de la société, de la profession, lui imposera un
respect profond de la dignité humaine : le salarié est un homme doué d'une âme
qu'il doit développer et sauver… Le chef veillera donc à ce que les conditions
de travail ne soient destructrices ni du corps, ni de l'âme. L'esprit chrétien
fait de justice et de charité lui fera comprendre que ses salariés sont des
collaborateurs, aussi assurera-t-il des rapports fréquents, cordiaux, si
possibles directs, afin que dans la confiance et la charité puissent être
résolus tous les problèmes qui leur sont communs et spécialement celui des
salaires à ajuster en toute justice.
En
terminant cette déclaration, est-il nécessaire d'insister sur l'importance
capitale de l'organisation professionnelle pour promouvoir cet esprit chrétien
? Comment le chef d'entreprises chrétien pourra-t-il organiser sa production
dans le cadre corporatif, national, international, s'il est seul, isolé ?
Comment patrons et ouvriers pourront-ils collaborer s'ils n'existent qu'à
l'état de poussières, ou si leurs organisations ne sont pas animées d'un esprit
commun : l'esprit social chrétien ?
Mes
derniers mots seront donc un appel à tous ceux qui n'ont pas encore rejoint nos
organisations professionnelles, et pour ma part je dis aux patrons conscients
de la tâche magnifique de reconstruction qui s'offre à cette heure :
« Venez grossir les rangs de la C.F.P., venez lui assurer les secours de
votre expérience et de vos compétences, car cette tâche magnifique est immense
et les ouvriers encore trop peu nombreux ».
SOURCE : Semaine religieuse du diocèse de Lyon, 12 février 1932