Le « cachot
de saint Pothin »
à l’Antiquaille
Quand la foi chrétienne reprend vigueur, le culte des martyrs se réveille. Ce
n'est pas une loi (il n'yen a pas en histoire), mais la vie spirituelle, elle aussi, a sa logique. Le grand élan religieux qui marqua
la première moitié du XVIIe siècle ne pouvait ignorer la dévotion aux martyrs.
Elle remontait au Ve siècle. Au Moyen-Age, cela avait été moins une dévotion
active qu'une sorte de paisible possession d'état, Lyon vivant alors dans le
souvenir de ses martyrs, qui lui assurait le prestige moral dont la primatie
pouvait être regardée comme le fruit légitime. On les vénérait à Ainay, à
Saint-Nizier, et surtout à Saint-Irénée ; mais la ville dans son
ensemble, universitas civium,
se plaçait sous leur protection.
Le culte,
à la longue, s'était-il attiédi ? On le penserait, à voir combien facilement
l'occupation protestante de 1562 l'avait mis à mal. Il était normal que le
grand mouvement de la réforme catholique le rétablît dans son honneur. Cela ne
vint pas avant les années 1640 et suivantes. Le premier indice qu'on en ait,
mineur mais significatif, date de cette année-là : parmi les tableaux que les
minimes faisaient peindre pour leur Chapelle, il y en eut un représentant
sainte Blandine, aujourd'hui conservé dans l'église dédiée à la sainte. En
1643, acte plus important : le vicaire général Jean-Claude Deville rétablit en
l'église Saint-Irénée la confrérie des martyrs, disparue depuis 1562. Dans les
années suivantes, la première édition du livre de Jean Guérin, Abrégé de
l'histoire des martyrs et des
saints de la ville de Lyon, commença de célébrer la gloire de Lyon, ville
des martyrs, et relata plusieurs miracles survenus dans leur sanctuaire de
prédilection. Unissant à la passion du Christ celle des martyrs, fut
érigé derrière le chevet de Saint-Irénée, en 1687, un calvaire qui allait
permettre d'instaurer à Lyon la pratique du chemin du croix.
Cependant que, chaque année, de nombreuses processions amenaient à la « colline sainte » (ce n'était pas encore
Fourvière) les clergés de la Primatiale, de Saint-Just et des paroisses de la
ville, ainsi que des pèlerins en foules.
C'est dans
cette atmosphère roborative que vécut le second monastère lyonnais de la
Visitation quand il se fut installé, en 1630, sur le domaine de l'Antiquaille.
Rien ne désignait le site pour une vénération particulière, même pas les
vestiges antiques, mais non chrétiens, que Pierre Sala, un siècle plus tôt, y
avait découverts et dont il avait tiré le nom de sa maison. Il y avait bien, en
sous-sol, quelques caveaux, qui reçurent les sépultures des premières sœurs
défuntes ; on s'y aventurait peu, et on ne les respectait guère : les portes de fer qui les fermaient furent
même enlevées et réutilisées ailleurs. Et si la nouvelle chapelle du couvent fut, en 1639, dédiée à la Vierge et
aux Martyrs, c'est seulement parce que, non loin de Saint-Irénée, à côté de la
Croix de Colle aux souvenirs légendaires et de ce qu'on pensait être
l'amphithéâtre, on ne pouvait pas les oublier.
Mais comme
on aurait aimé pouvoir les célébrer chez soi ! Et voilà que, peu à peu, un
espoir se fit jour. Depuis la publication par Claude de Rubys de son Histoire
de Lyon, en 1604, tout le monde pensait que l’Antiquaille occupait le site
de l'ancien palais
impérial de Lugdunum. Palais impérial : cela supposait nécessairement une salle
de justice, et donc une prison. Mais alors ! C'est là qu'avaient été interrogés
les premiers chrétiens. Et ces
caveaux : c'étaient les cachots où ils avaient été détenus en attendant les
supplices de l'arène, c'était là que saint Pothin était mort d'épuisement. Ici
aussi, on se trouvait dans un lieu saint ! On en parla d'abord entre soi. On
commença d'aller, le 2 juin, réciter les litanies des martyrs devant les portes
des caveaux, sans y entrer. Mais à titre
personnel, sans que la communauté s'engageât. Le bruit s'en répandit
naturellement au-dehors, attirant une saine curiosité : en 1658, la reine mère et le roi Louis XIV montèrent même en
personne.
Enfin une religieuse particulièrement
enthousiaste, sœur de Thélis, parvint à convaincre la Supérieure, Mère de Riants, et celle-ci,
dans la nuit du3 au 4 novembre 1689, eut un songe merveilleux. Saint Pothin lui apparut dans son
cachot, promettant sa protection à ceux qui viendraient y prier. Nul n'hésita plus : aménagé en oratoire, puis
en Chapelle, le « cachot de saint Pothin » reçut désormais en
pèlerinage évêques, grands personnages et foules des humbles.
Après la
Révolution, les bâtiments de l'Antiquaille devinrent hôpital, mais la chapelle
du cachot fut rendue au culte dès 1804, et confirmée dans sa dignité par la
visite qu'y fit le pape Pie VII en 1805. L'administration des Hospices Civils,
qui en avait reçu la propriété, l'entretint désormais régulièrement, respectant
la dévotion des pèlerins. Dans le dernier quart du XIXe siècle, le chanoine
Claude Comte s'en fit le défenseur attitré, consacrant une grande part de son
activité à promouvoir l'embellissement des lieux et la propagation du culte des
martyrs en ces lieux.
S'il
apparaît aujourd'hui, où la critique historique s'est faite plus exigeante, que
ces caveaux, de date et de destination incertaines, n'ont rien à voir avec les événements de 177,
il ne faudrait pas que cette désillusion se traduisît par un oubli de nos
martyrs et du premier évêque de Lyon.
Henri
HOURS
Eglise à Lyon, 2003, n°14